Biologie de la conservation
La biologie de la conservation est une discipline scientifique de synthèse d’apparition relativement récente. Elle s’attache à étudier les causes de la perte de diversité biologique à tous les niveaux (génétique, des populations, des écosystèmes, etc.) et à trouver comment minimiser cette perte (Soulé 1985; Groom, Meffe, & Carroll 2006; Hunter & Gibbs 2006). Les objectifs de la biologie de la conservation sont : 1) d’étudier et de décrire la diversité du monde vivant ; 2) de comprendre les conséquences de l’activité humaine sur le fonctionnement des espèces, communautés et écosystèmes ; et 3) de développer des approches interdisciplinaires appliquées, de protection et de restauration de la diversité biologique (Millennium Ecosystem Assessment 2005). Ses objectifs varient selon le niveau hiérarchique de biodiversité envisagé, par exemple les écosystèmes ou les espèces animales et végétales menacés, ou la conservation des ressources génétiques des organismes domestiques (Hunter & Gibbs 2006).
Pour quoi conserver la diversité?
La diversité est définie comme la variété de la vie dans toutes ses formes (les plantes, les animaux, les champignons, les bactéries, etc.) et dans tous ses niveaux d’organisation (des gènes, à l’espèce ou l’écosystème) (Hunter & Gibbs 2006). La biodiversité inclus des composantes structurelles ainsi que fonctionnelles, des processus écologiques et évolutifs au travers desquels les gènes, les espèces et les écosystèmes interagissent entre eux et leur environnement. La diversité est souvent mesurée à travers des indices quantitatifs de diversité basés sur la richesse et leur abondance relative (Meffe & Carroll 1997). Pourtant, ces indices quantitatifs de diversité ne sont pas forcément les critères les plus adaptés pour assurer le maintien de la diversité. Dans certains cas, avoir une valeur élevée de diversité est moins importante en comparaison à d’autres critères tels que le risque d’extinction des espèces. Aujourd’hui la perte et/ou la transformation des habitats sont les menaces principales qui causent la diminution de la diversité biologique (Primack & Ralls 1995; Lawler et al. 2006). Cela est également une des causes principales de la modification des processus écologiques et de la modification des cycles biogéochimiques. L’intérêt de conserver la biodiversité provient du fait qu’elle est fortement menacée par les activités humaines (Corvalan, Hales, & McMichael 2005; Nellemann & Corcoran 2010). Les taux actuels d’extinction des espèces montrent des fréquences plus élevées que ceux rapportés pour les extinctions passées (Frankham, Ballou, & Briscoe 2002; Millennium Ecosystem Assessment 2005; Butchart et al. 2010). L’augmentation des taux d’extinction est due soit à la dégradation, la transformation ou la destruction de l’habitat soit à l’extermination ou à la collecte d’espèces particulières, ces deux actions étant les causes directes d’extinction des espèces (Lawler et al. 2006); la fragmentation de l’habitat et l’introduction d’espèces invasives causent de manière indirecte l’extinction des espèces fragiles (Soulé 1991; Meffe & Carroll 1997). La biodiversité a une valeur mesurable pour l’homme, une valeur économique, puisqu’il exploite et utilise les ressources naturelles (Sanderson et al. 2002; Hails, Loh, & Humphrey 2008). Pourtant la diversité a aussi une valeur esthétique (Ehrlich & Ehrlich 1992), non mesurable économiquement, mais basée sur une justification éthique (Meffe & Carroll 1997). La réduction de la destruction des écosystèmes, de la perte d’espèces et la conservation des services écosystémiques sont des aspects cruciaux dans la conservation de la diversité (Millennium Ecosystem Assessment 2005). Le bon fonctionnement des écosystèmes est indispensable à la survie de l’homme qui bénéficie des services écosystémiques (production d’O2, contrôle du climat, etc.). Ainsi, la biologie de la conservation porte son attention sur le maintien de la biodiversité structurelle parce que si la diversité génétique, en espèces et en écosystèmes, est maintenue, la diversité écologique et évolutive sera probablement maintenue également (Hunter & Gibbs 2006).
Principes de la biologie de la conservation
Cette discipline, si elle intègre d’abord les contributions de diverses disciplines comme l’écologie, la génétique, la biogéographie, la biologie du comportement, l’écologie du paysage, la taxonomie, elle intègre aussi les concepts et principes d’autres disciplines dans le domaine des sciences humaines telles que les sciences politiques, la sociologie ou l’anthropologie (Groom et al. 2006) (Figure 0-6). La coopération entre ces disciplines est essentielle, puisqu’elles sont complémentaires : certaines apportent les éléments, les outils et les connaissances théoriques, les autres transposent les connaissances acquises à la pratique, de façon à ce que ces méthodes et techniques soient appliquées dans la réalité, au bénéfice de la société et de la nature.Trois principes sont fondamentaux en biologie de la conservation (Meffe & Carroll 1997): i. L’évolution est l’axiome basique qui unit toute la biologie. ii. Le monde écologique est dynamique et rarement à l’équilibre. iii. La présence humaine doit être incluse dans la planification de la conservation. Plusieurs d’espèces qui constituent les communautés naturelles sont le produit de processus co-évolutifs. Et plusieurs des processus écologiques, démographiques et génétiques ont des seuils, au-delà desquels elles changent dans leurs comportements (Soulé 1985). L’évolution est le mécanisme qui explique le patron de diversité présent actuellement.Les problèmes de conservation doivent ainsi prendre en compte ce concept. Contrairement au paradigme sur le point d’équilibre maximal des écosystèmes (ou climax), les théories plus récentes introduisent des définitions plus dynamiques où les communautés peuvent avoir de multiples états alternatifs en réponse aux processus externes qui les affectent. L’exclusion de la présence humaine dans les projets de conservation conduit à un développement non durable.
Dynamique de végétation
Les communautés végétales
La succession écologique est un processus important à la base de la régénération, naturelle ou induite, des écosystèmes (McCook 1994). Ce processus est le résultat d’une perturbation, naturelle ou anthropique qui altère les conditions originales d’un écosystème et dont la conséquence principale est la génération d’espaces disponibles pour la colonisation des espèces (Pickett, Collins, & Armesto 1987; Pickett & Kolasa 1989; Glenn-Lewin, Peet, & Veblen 1992). L’existence d’un espace disponible combinée à la disponibilité de propagules et à la performance différentielle de ces propagules est à l’origine de la succession écologique dont le résultat est la communauté végétale. Une communauté végétale est le résultat de l’interaction des facteurs biotiques et abiotiques. Cependant, la connaissance des événements historiques qui ont influencé les communautés (feu, pâturage, inondations, etc.), est fondamentale pour la compréhension de leur organisation dans l’écosystème. Une communauté est une association de populations de diverses espèces qui interagissent les unes avec les autres et avec les caractéristiques physiques de leur habitat. Toutes les espèces d’une communauté interagissent donc entre elles directement ou indirectement et sont contrôlées par les mêmes contraintes environnementales. La façon dont se forment et évoluent les communautés végétales a été décrite par plusieurs auteurs suivant différentes théories sur les processus écologiques et les facteurs qui les influencent. Clements (1916) donne une des premières définitions du terme communauté, qui définit la communauté comme une entité propre, un « super-organisme ». Il a considéré que la dominance séquentielle des espèces résulte de la modification de l’environnement par les espèces dominantes, qui produisent des conditions moins favorables pour elles-mêmes et plus favorables pour de nouvelles espèces, et ainsi, ces nouvelles espèces peuvent à leur tour dominer par compétition avec les espèces précédentes. Gleason (1926) a proposé une théorie individualiste, opposée à celle de Clements, où la communauté est considérée comme un ensemble aléatoire d’individus. Il a envisagé que la nature des changements d’un site dépend entièrement de sa composition en espèces, assemblées par des évènements complexes et stochastiques. Grime (1977, 1979) ajoute à la théorie des communautés végétales, la description de stratégies suivies par les plantes pendant la succession et basées sur les niveaux particuliers d’adaptation aux perturbations et au stress. Connell et Slatyer (1977) suggèrent trois modèles alternatifs de succession basés sur trois mécanismes qui contrôlent les interactions entre les espèces qui composent une communauté : la facilitation, la tolérance et l’inhibition. Lortie et al. (2004) ont proposé une définition plus récente dans laquelle la structure et la composition des communautés végétales sont déterminées par l’interaction entre les différents processus ou filtres, stochastiques (événements biogéographiques, limites à la dispersion), abiotiques (tolérance physiologique des espèces aux conditions environnementales) et biotiques (interactions plante/plante ou avec d’autres organismes)
Les perturbations
Les perturbations, naturelles ou anthropiques, représentent des mécanismes importants pour créer une hétérogénéité spatiale dans les communautés (Collins 1989; Chaneton & Facelli 1991). Une perturbation est un phénomène discret dans le temps, aléatoire, qui modifie, plus ou moins profondément la structure des écosystèmes, des communautés et des populations (White & Pickett 1985). Elle fait varier les ressources disponibles et l’habitat physique. La perturbation a donc une action hiérarchisée, de l’individu au paysage. La notion de « perturbation » est la conjonction d’une cause, le dérangement physique de l’habitat, et de la réponse des biocénoses à ce dérangement. Cette définition englobe beaucoup d’événements qui arrivent naturellement et fréquemment sans avoir nécessairement un effet mesurable sur la diversité ou sur la densité d’espèces (Svensson 2010). Ainsi, Pickett et al. (1989) ont modifié cette définition considérant la perturbation comme un changement de la structure causée par un facteur externe, ceci pouvant avoir lieu à différentes échelles (espèce, population, écosystème). Des perturbations continues faisant partie des conditions dans lesquelles un écosystème se développe, sont considérées comme des stress (White & 15 Jentsch 2001). La différence entre la perturbation et le stress, bien que pouvant être causés par le même agent, est que la perturbation arrive seulement quand la tolérance des organismes est dépassée, aboutissant à leur mort ou à une perte suffisante de biomasse pour que le recrutement ou la survie d’autres individus soient affectés (Sousa 2001). Le même mécanisme pourra être classé comme perturbation ou stress selon l’échelle d’observation (Pickett et al. 1989) Un agent de perturbation est l’instrument qui cause les dégâts, comme par exemple les animaux, les vagues ou le feu. Les constituants de la perturbation sont les propriétés décrivant la force destructrice de l’agent de perturbation (e.g. la chaleur du feu ou la force des vagues) (Svensson 2010). Les agents de perturbation peuvent être divisés en physiques ou biologiques, basés sur leurs caractéristiques fonctionnelles ou mécaniques (Sousa 1984). Menge et Sutherland (1987) proposent une division des agents de perturbation en quatre groupes: physique, physiologique, biologique et prédation. Perturbation physique : est produite par des forces mécaniques (e.g. le mouvement de l’air, de l’eau ou le feu) Perturbation physiologique : causée par les effets produits par des réactions biochimiques (sous l’influence, par exemple, de la température, la lumière ou la salinité). Perturbation biologique : causée par les effets des activités d’animaux mobiles (e.g. piétinement) Prédation et pâturage : sont définis (comme la mortalité) par les effets résultant de la consommation par des animaux. L’effet d’une perturbation dépend de sa taille, de sa fréquence, de sa durée et de son intensité (Sousa 1984; Turner et al. 1998). Le temps d’intervalle entre les perturbations (régime de perturbation) détermine différents aspects de la diversité des espèces : à court terme, le régime a un impact sur la diversité d’espèces et à long terme, l’impact agit sur la coexistence stable de ces espèces dans la communauté (Shea, Roxburgh, & Rauschert 2004). La résilience et la résistance mesurent les impacts de la perturbation sur un écosystème, ainsi que sa réponse. La résistance est définie comme la capacité d’un écosystème à supporter ou 16 résister à une perturbation (Mitchell et al. 2000) ; et la résilience comme le processus au travers duquel l’écosystème retourne vers la trajectoire de référence après une perturbation (Westman 1986; Hirst et al. 2003). Connell (1983), propose une théorie (la théorie des perturbations intermédiaires) selon laquelle la diversité la plus grande se situe dans les communautés en « non-équilibre » avec des niveaux moyens de perturbations, par comparaison aux communautés en équilibre. Cette théorie est en partie controversée par plusieurs auteurs qui affirment qu’elle n’est pas généralisable car elle ne peut pas être appliquée à tous les cas (Mackey & Currie 2001; Fox 2012). Dans des conditions de faibles fréquences de perturbations, les espèces dominantes peuvent éliminer d’autres espèces et diminuer la diversité qui s’exprime alors dans des situations d’équilibre. En revanche, sous un régime d’importantes fréquences de perturbations, la plupart des espèces ne pouvant pas supporter ces perturbations répétées à faibles intervalles, peuvent disparaître localement, causant ainsi une diminution de la diversité. Selon l’impact de la perturbation, 4 types de réponse sont attendus : A) résilience élevée ; B) résistance élevée ; C) faible résistance, résilience élevée ; et D) faible résistance, faible résilience (Figure 0-7) .