Biodiversité et rôle des moustiques dans les processus de maintien et d’émergence des arbovirus
La Fièvre de la vallée du Rift
La maladie a été décrite cliniquement pour la première fois en 1912, près du lac Naivasha dans la région du Rift au Kenya. L’agent pathogène responsable n’ a été isolé chez un mouton qu’en 1930 par Daubney (Daubney et al., 1931). Depuis les années 70 des épidémies se sont succédées au fil des années en Egypte en 1977 (Préhaud & Bouloy, 1997), 1997 (Abd-El-Rahim et al., 1999) et en 1993 (Arthur et al., 1993) ; en Afrique du Sud pour la première fois en 1951 (Lefèvre, 1989), en 1975 (Van Velden et al, 1977) et en 1999 (EMPRES 1999) ; au Madagascar en 1990 et en 1991 (Peters, 1997; Morvan et al., 1992[b]), (Morvan et al, 1992[c]) ; en Somalie et au Kenya en 1997-1998 (Woods et al., 2002). En Afrique de l’Ouest et centrale, des enquêtes sérologiques et entomologiques ont montré la présence du virus dans de nombreux pays : Mali (Diallo, 2001), RCA (Meegan et al, 1983), Nigeria, Guinée (Boiro et al, 1987), Niger (Akakpo et al., 1991), Burkina Faso (Gonzalez et al, 1992), Congo (Olloy et al, 1994), Cameroun, Bénin, Togo (Zeller, 1993), Tchad (Durand et al, 2003), et Gambie (Thiongane et Martin, 2002). mais également au Mayotte en 2008 (Sissokho et al., 2009). En Afrique de l’Ouest, la première épidémie a eu lieu en Mauritanie en 1987 après la mise en eau du barrage de Diama en 1986 (Jouan et al., 1988) bien que le virus ait été détecté avant dans plusieurs contextes géographiques à travers des isolements (connu à l’époque sous le nom de Zinga) chez les moustiques mais aussi la détection d’anticorps chez les animaux et les humains en RCA, Madagascar, Guinée, Nigeria, Sénégal (Digoutte, 1981 ; Meegan et al, 1983 ; Boiro et al, 1987). A la suite de cette épidémie plusieurs enquêtes sérologiques et entomologiques ont montré la présence du virus dans de nombreux pays : Mali (Diallo, 2001), Nigeria, Guinée (Boiro et al, 1987), Niger (Akakpo et al., 1991), Burkina Faso (Gonzalez et al, 1992), Congo (Olloy et al, 1994), Cameroun, Bénin, Togo (Zeller, 1993), Tchad (Durand 12 et al, 2003), et Gambie (Thiongane et Martin, 2002). mais également au Mayotte en 2008 (Sissokho et al., 2009). Egalement plusieurs manifestation épidémique ont été notifiée en Mauritanie en 1998 (Nabeth et al., 2001) en 2003 (Faye et al., 2007), en 2010 (Faye et al., 2014 ; Ould El Mamy et al., 2011) et plus récemment en 2012 (Sow et al., 2014). En octobredécembre 1994, un foyer de FVR a été déclaré autour de Ross-Béthio, dans le delta du fleuve Sénégal (Sall, 2001). Au Sénégal, le virus de la fièvre de la vallée du Rift a été isolé en 1974 d’un moustique Aedes dalzieli à Kédougou. En novembre 1999, un foyer épizootique a éclaté à Ranérou, au Sénégal, zone de mares temporaires située dans le Ferlo, causant un nombre important d’avortements chez les petits ruminants (Sall, 2001). En 2002, deux foyers épizootiques ont éclaté au Sénégal, près de Galoya et Thilogne (Thiongane et Martin, 2002). Enfin, en 2003, de nombreux troupeaux de petits ruminants ont été touchés par la maladie dans le delta et la vallée du fleuve Sénégal (Faye et al., 2007). Pour la première fois, le virus a traversé le continent africain et a causé une épidémie dans la péninsule arabique au Yémen et en Arabie saoudite en 2000-2001 (Miller et al., 2002, Jupp et al., 2002) mais également au Mayotte en 2008 (Sissokho et al., 2009).
Agent causal
Le virus de la fièvre de la vallée du rift (VFVR) appartient à la famille des Bunyaviridae, au genre Phlebovirus. Comme tous les virus de la famille des Bunyaviridae, le VFVR estcomposé de trois segments d’ARN simple brin de polarité négatif ou ambisense L (Large), M (Medium) et S (Small) (Figure 1). Les segments L et M sont de polarités négatives. L code pour l’ARN polymérase ARN dépendante (Protéine L) et M pour le précurseur des glycoprotéines d’enveloppe (GN et GC). Le clivage post_traductionnel du précurseur génère également une protéine non structurale (NSm) qui n’est pas essentielle pour le déroulement du cycle viral (Won et al., 2006 ; Gerrard et al., 2007). Le segment S utilise la stratégie de codage ambisense (en partie négative et en partie positive). Il code aussi pour la nucléoprotéine N en polarité anti_sens et pour la protéine non_structurale NSs (responsable de facteur de virulence du VFVR), en polarité sens (Giorgi et al., 1991). L’ensemble du cycle se déroule dans le cytoplasme, caractéristique de tous les virus de la famille des Bunyaviridae, même si la protéine NSs forme des filaments dans le noyau des cellules infectées par le VFVR (Swanepoel et al., 1979). Le virus fait preuve d’une grande variabilité aussi bien dans son mode de transmission que dans ses choix de vecteurs, mais aussi dans la gravité de ses 13 symptômes. Il semble donc qu’il ne soit pas encore bien adapté à son environnement, ni à ses hôtes vertébrés et invertébrés. Figure 1 : coupe structurale du virus de la Fièvre de la vallée du Rift (VFVR) (https://www.google.fr/search?q=rift+valley+fever+virus+structure) Le virus VFVR, comme tout virus enveloppé, est sensible aux solvants des lipides (éther, chloroforme). Il est également inactivé par les désinfectants usuels, tels que le formol, la bétapropiolactone à 0,1% ou le disoxycholate de soude. Il est stable pour un pH compris entre 6,2 et 8,0 et dans le sang ou le sérum : il peut y être conservé pendant 8 mois à 4°C (1 mois à -20 °C et 1 an à -40 °C et plusieurs années à -80°C). A température ambiante (25- 30°C), il résiste environ 80 minutes (Balkhy et Memish, 2003). Dans un liquide physiologique, le virus peut donc résister plus ou moins longtemps dans le milieu extérieur selon les conditions. Sa dispersion sous forme d’aérosols est une source de contamination humaine importante dans la nature. Sa manipulation en laboratoire haute sécurité (niveau 3) est obligatoire. Le séquençage de la région du segment S codant pour NSs, M et L a permis de différencier 3 lignées majeures : la lignée d’Afrique Centrale et de l’Est, la lignée d’Afrique de l’Ouest et la lignée égyptienne. (Sall et al., 1998, 1999).
Les symptômes cliniques – Chez l’Homme
Chez l’homme, l’incubation de la FVR varie de 2 à 6 jours. Elle est ensuite suivie d’un syndrome «dengue_like», caractérisé par une fièvre brutale, de céphalées, de myalgies et de rachialgies. Une photophobie et une raideur dans la nuque font penser à une méningite. La 14 maladie évolue en 4 à 7 jours vers une guérison sans séquelles chez la forme bénigne caractérisée essentiellement par un syndrome grippal avec une convalescence qui peut durer 2 à 3 semaines. Cette forme dite bénigne représente plus de 95% des cas. Chez les formes graves la maladie se manifeste sous la forme d’un ou plusieurs syndromes : atteintes oculaires, méningo_encéphalite, fièvre hémorragique. L’atteinte oculaire apparaît en général entre une à trois semaines après les premiers signes cliniques. Les lésions siègent au niveau de la rétine et peuvent entraîner une baisse permanente de l’acuité visuelle, voire une cécité. La méningo_encéphalite apparaît une à trois semaines après les premiers symptômes. Des séquelles sont possibles, notamment un type de paralysie et de détérioration mentale. Deux à quatre jours après le début de la maladie, le patient peut également présenter une hépatite avec ictère et syndrome hémorragique : vomissements de sang, méléna, purpura, gingivorragies. Ces formes graves ne s’observent que dans 1% des cas. La mortalité des formes hémorragiques serait d’environ 5% (Morrill & McClain, 1996 ; Al_Hazmi et al., 2003; Madani et al., 2003). – Chez les animaux De très nombreux animaux sont réceptifs au virus de la FVR mais leur sensibilité varie en fonction de l’espèce, de l’âge (Tableau 1). Les ruminants domestiques (les bovins, les moutons, les chameaux et les chèvres) sont les hôtes vertébrés les plus sensibles. Il semble que les moutons soient plus sensibles que les bovins ou les chameaux. On a montré que l’âge jouait aussi un rôle important dans la sensibilité de l’animal à la forme grave de la maladie : plus de 90 % des agneaux infectés par la FVR meurent, alors que cette proportion peut baisser à 10 % chez le mouton adulte. Le taux d’avortement chez les brebis pleines atteint près de 100 %. Les avortements inexpliqués et de mortalités néo-natales dans le cheptel sont les principaux signes annonciateurs d’une épizootie. 15 Tableau 1: espèces affectées par le virus VFVR et leur sensibilité (d’après Swanepoel et Coetzer, 1994). Létalité > 70 % Létalité élevée 10-70 % Maladie grave mais rarement mortelle Elaboration d’Anticorps Réfractaires Agneaux Ovins Humains Oiseaux Chevreaux Veaux Bovins Chevaux Reptiles Chiots Certains rongeurs Caprins Chats Amphibiens Chatons Buffles africains Chiens Amphibiens Souris Buffles asiatiques Porcs Rats (certaines lignées) Singes Anes Lapins Les formes inapparentes, qui se traduisent seulement par une séroconversion, sont très fréquentes, notamment dans les zones d’endémie. Des animaux sauvages, comme l’hippopotame ou certaines espèces de singes, peuvent développer une forme subclinique ou inapparente (Meegan et Bailey, 1989). Des sérologies positives ont été retrouvées chez des éléphants, des rhinocéros blancs et noirs, des buffles et des cobes (Lefèvre, 2003). Les formes subaiguës prédominent chez les adultes. Elles se traduisent par des avortements dans les troupeaux (avec des taux atteignant 90-100%), deux semaines après l’infection, une hyperthermie, une diminution de la production de lait (Balkhy et Memish, 2003). Des avortements ont été aussi rapportés chez les buffles (Meegan et Bailey, 1989). Les formes aiguës atteignent les jeunes de plus de 3 semaines et les adultes (très rarement les chèvres qui développent le plus souvent une forme subaiguë). Les principaux symptômes observés sont l’hyperthermie et des avortements. Sur certains animaux, on peut aussi observer un jetage mucopurulent, une diarrhée hémorragique, de l’anorexie, de l’asthénie, et parfois un ictère, quand la maladie évolue sur une ou deux semaines. Le taux de létalité est de 20 à 30% (parfois jusqu’à 60% [Abd-El-Rahim et al., 1999]) chez les ovins adultes. Il dépasse rarement les 10% chez les bovins. Il y a des séquelles d’infécondité après guérison. Les formes suraiguës sont rencontrées chez les nouveau-nés et les jeunes de moins de 3 semaines. Après une incubation très courte (12 à 72 heures), l’évolution de la maladie est le 16 plus souvent mortelle (Taux de létalité : 90% chez les agneaux et les chevreaux, 10 à 70% chez les veaux). Les symptômes observés sont peu évocateurs : très forte hyperthermie (41- 42° C), inappétence, très grande faiblesse, suivi d’un coma puis la mort de l’animal en 12 à 36 heures. Certains animaux présentent de l’ictère, une diarrhée hémorragique, de l’hématurie et du jetage. Figure 2 : photo des avortons causés par le virus
Le diagnostic du VFVR
On peut poser le diagnostic de la FVR aiguë à l’aide de plusieurs méthodes. Les tests sérologiques, comme le dosage immuno-enzymatique (méthodes « ELISA » ou « EIA ») peuvent mettre en évidence la présence d’IgM spécifiques pour le virus. En effet, les protéines G1 et G2 induisent la production d’Ac neutralisant protecteurs (IgM et IgG), la protéine N la formation d’Ac fixant le complément (IgM uniquement). Les IgM sont détectables à partir du troisième ou quatrième jour suivant l’infection (Lefèvre, 2003). A Madagascar, seulement 27% des bovins présentent des IgM deux mois après une infection naturelle par le virus de la FVR (Morvan et al., 1992[a]). Les IgG apparaissent plus tardivement mais peuvent persister au moins quatre à cinq ans chez les ovins et les bovins, et vraisemblablement toute la vie de 17 l’animal (Lefèvre, 2003). On peut détecter le virus dans le sang au début de la maladie ou dans les tissus prélevés postmortem à l’aide de diverses techniques d’isolement viral (cultures de cellules ou inoculation d’animaux) ou de détection des antigènes par RT-PCR.
Traitement et Prévention
A ce jour, il n’y a pas de traitement spécifique de la FVR même s’il a été montré que de faibles doses d’interféron entre le début de l’exposition et l’apparition des symptômes cliniques pouvait prévenir la fièvre hémorragique et que la ribavirine est efficace chez les singes et les souris en entraînant la diminution de la virémie. Seul un traitement symptomatique est administré. La prévention et le contrôle des épidémies repose sur la lutte anti-vectorielle et la vaccination des troupeaux et des personnes à risque (vétérinaires, personnel de l’abattoir…). Cependant, le vaccin disponible pour l’homme est cher à produire et nécessite plusieurs rappels ; raison pour laquelle il n’est pas commercialisé. Ainsi, son utilisation est limitée à la protection des personnels à risque (personnels de laboratoire manipulant le virus, troupes militaires déployées en zone d’endémie…). Deux vaccins vivants atténués, les souches MP12 et SNS (Smithburn Neurotropic Strain) sont disponibles (Smithburn, 1949 ; Baskerville et al., 1992 ; Morill et al., 1991 ; Morill et al., 1997a ; Morill et al., 1997b) pour les animaux. Cependant, même s’ils se sont montrés efficaces, ils présentent l’inconvénient d’entraîner des avortements et ont des effets tératogènes chez les femelles gestantes (Hunter et al., 2002). D’autres vaccins vivants atténués (clone 13, R566) ainsi que des vaccins recombinants (Muller et al., 1995 ; Wallace et al., 2006 ; Sunitet Daniel, 2013) sont à l’essai.
Vecteurs et Cycle de transmission
La transmission se fait par contamination directe (aérosol, contact directe de liquide ou de tissus d’animaux infectés etc…) ou par un arthropode vecteur. De nombreuses espèces de moustiques sont des vecteurs efficaces de VFVR, notamment les espèces des genres Culex, Aedes, Anopheles, Eretmapodites et Mansonia. Il a été démontré que plus de 40 espèces de moustiques sont compétentes pour transmettre le VFVR La transmission mécaniquement par d’autres insectes a aussi été suspectée. Les moustiques s’infectent en prenant leur repas sanguin sur des hôtes virémiques. Les animaux sont contagieux pendant leur période virémique, qui peut être brève (6 à 18 heures) ou persister jusqu’à six à huit jours. La contamination directe n’est pas significative chez les animaux. 18 On estime que chez l’homme, l’infection peut se faire par piqûres de moustique mais on pense que la majorité des cas humains résulte de la manipulation de sang, de tissus, de sécrétions ou d’excrétions d’animaux infectés, notamment après un avortement. En revanche la transmission vectorielle semble être le mode privilégié d’infection des animaux chez lesquels la contamination directe n’est pas significative. Le genre Aedes est souvent considéré comme vecteurs enzootiques dans le cycle de transmission du VFVR. Ses capacité à transmettre le virus à ses descendant (transmission verticale) permet le maintien du virus dans la nature au cours des saisons sèches. Ces espèces enzootiques seraient à l’origine des épizooties alors que d’autres espèces, certainement du genre Culex, joueraient le rôle d’amplificateur de l’épizootie voire de l’épidémie (Zeller et al., 1997).
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