Biodiversité et maladies infectieuses
LE PHÉNOMÈNE D’ÉMERGENCE DE MALADIES
L’établissement de la théorie microbienne (Koch 1876), et les progrès qui s’en suivirent dans les sciences médicales, avec en particulier, le développement de la vaccination puis des antibiotiques, ont révolutionné notre capacité à combattre les agents pathogènes. Vers le milieu du 20ème siècle, les prédictions les plus optimistes annonçaient déjà l’éradication totale des maladies infectieuses (Cockburn 1963; Fauci 2001). Ces dernières sont pourtant, aujourd’hui encore, responsables de plus de 20% de la mortalité mondiale (GBD 2013 Mortality and Causes of Death Collaborators 2015). Bien qu’il soit en grande partie la conséquence d’une difficulté d’accès aux soins dans les régions les plus pauvres du monde (OMS 2012), ce constat révèle également notre impuissance face aux capacités adaptatives des agents pathogènes et à l’imprévisibilité des phénomènes infectieux. Le terme de maladies infectieuses émergentes (MIE) est apparu dans les années 1950, mais sa définition précise a beaucoup évolué depuis (Rosenthal et al. 2015). Il est aujourd’hui généralement employé, tel que défini par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), pour désigner « une maladie infectieuse nouvellement découverte ou qui connait une augmentation d’incidence, une expansion géographique, ou une modification du spectre d’hôtes ou de vecteurs » (www.who.int/zoonoses/emerging_zoonoses, consulté le 28/07/16). Les maladies émergentes représentent un problème sanitaire de longue date, comme peuvent en témoigner les différents récits de « peste » rapportés depuis l’antiquité (Morens et al. 2004). Bien que le poids des maladies infectieuses sur la santé mondiale ait tendance à diminuer avec le temps (GBD 2013 Mortality and Causes of Death Collaborators 2015), le siècle dernier a encore connu deux des épidémies les plus sévères de l’histoire. La pandémie de grippe de 1918 aurait fait environ 50 millions de morts, soit plus de victimes que la première guerre mondiale en quelques mois (Johnson & Mueller 2002). D’abord considéré comme un problème d’extension limitée lors de son apparition au début des années 80, le virus de l’immunodéficience humaine (VIH) et en particulier le syndrome d’immunodéficience acquise (sida) est progressivement devenu l’une des causes majeures de mortalité au début du 21ème siècle. Au total, le VIH a touché près de 70 millions de personnes dans le monde avec un taux de létalité proche de 50% (OMS, http://www.who.int/gho/hiv, consulté le 28/07/16). Sans toujours être aussi dévastatrices, beaucoup d’autres maladies infectieuses ont émergé ou ré-émergé dans les dernières décennies, recevant un intérêt grandissant de la part de la communauté scientifique et des organisations sanitaires (Rosenthal et al. 2015, Figure 1). Parmi les exemples les plus notables, on peut citer l’apparition du virus Ebola, du syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) ou de la grippe aviaire H5N1, mais également la réémergence de la dengue, de la maladie de Lyme ou du Choléra (Figure 2). Par ailleurs, le phénomène n’est pas restreint aux maladies humaines: l’émergence de maladies infectieuses dans la faune sauvage et chez les plantes suscite des inquiétudes en matière de conservation et de sécurité alimentaire (Daszak 2000; Fisher et al. 2012).
LES FACTEURS ANTHROPOGENIQUES D’ÉMERGENCE DE MALADIES
Depuis la préhistoire, les évènements épidémiologiques majeurs sont liés à de grands changements socio-culturels ayant permis la mise en contact de pathogènes avec de nouvelles populations. L’abandon du mode de vie de chasseur-cueilleur et le développement de l’agriculture et de l’élevage il y a environ 10 000 ans se sont traduits par une densification des communautés et une proximité constante avec la faune nouvellement domestiquée. Cette situation aurait permis le passage de nombreux pathogènes d’origine animale à l’homme, chez qui certains circulent encore aujourd’hui (Weiss 2001). L’ouverture des contacts militaires et commerciaux entre l’Europe et l’Asie dans l’antiquité a conduit à des échanges de pathogènes à l’origine d’épidémies massives, telle que la peste de Justinien qui dévasta Constantinople (McNeill 1977). De façon similaire, lors de la conquête des Amériques, les colons européens ont traversé l’Atlantique accompagnés de leurs maladies infectieuses dont l’effet dévastateur sur les populations indigènes est aujourd’hui bien connu (Lovell 1992). La croissance démographique exponentielle, le développement technologique et économique, les modifications radicales et la mondialisation des activités humaines que connait notre époque moderne constituent des bouleversements écologiques vraisemblablement impliqués dans la multitude de phénomènes infectieux émergents actuels (Jones et al. 2013). Les changements d’utilisation des terres et l’invasion des milieux naturels sont souvent désignés parmi les principaux facteurs de risque, en particulier pour les MIE zoonotiques (Woolhouse & Gowtage-Sequeria 2005; Greger 2007). La population humaine est passée de 1 milliard au début du 20ème siècle à environ 7,5 milliards aujourd’hui, et comprendra probablement près de 10 milliards d’individus d’ici 2050 (Gonzalo et al. 2016). Cet accroissement exponentiel s’accompagne d’une lourde pression environnementale. La surface des forêts tropicales a été réduite de moitié au 20ème siècle (Myers et al. 1985), et la déforestation continue à un taux annuel de 2-3% (Patz et al. 2004). Plus d’un tiers de la production de biomasse terrestre est contrôlée par l’homme, et l’utilisation des terres à des fins de culture ou d’élevage continue à s’intensifier et à s’étendre, avec une surface totale qui devrait encore augmenter de près de 20% dans la première moitié du 21ème siècle (Tilman et al. 2001). La déforestation peut constituer un changement environnemental favorable à la transmission de certaines maladies. Elle a par exemple coïncidé avec une recrudescence du Maladies émergentes et changements globaux 17 paludisme en Afrique, en Asie et en Amérique Latine, probablement par la création de sites de retenue d’eau stagnante favorables au développement des larves d’anophèles de manière plus abondante qu’en foret intacte (Patz et al. 2004). Par ailleurs, la déforestation et la construction de routes permettent la colonisation du milieu et la mise en contact de l’homme avec la faune sauvage, au travers d’activités telles que l’écotourisme, la chasse ou l’exploitation forestière (Wolfe et al. 2000). Ainsi, l’intensification de la chasse et de la consommation de viande de brousse en Afrique Centrale qui a eu lieu au cours du 20ème siècle est vraisemblablement liée à l’émergence de diverses zoonoses, dont la récente épidémie d’Ebola (Greger 2007). Les pratiques de cultures modernes permettent parfois la prolifération d’hôtes ou de vecteurs de maladies déjà présentes. Des épidémies de fièvre hémorragique en Corée (virus Hantann) et en Argentine (virus Junin) ont résulté de l’augmentation de l’abondance des rongeurs porteurs de ces pathogènes suite à la mise en place de monocultures de riz ou de maïs (Morse 1995). L’expansion de l’encéphalite japonaise en Asie du Sud-Est a été associée à une intensification de la culture de riz irriguée qui favorise la pullulation des moustiques vecteurs du genre Culex, conjointement avec l’élevage de porc chez qui le virus circule, permettant ainsi son amplification et le passage à l’homme (Hurk et al. 2009; Jones et al. 2013). Le virus Hendra, en Australie, et le virus Nipah, en Malaisie, sont présents chez des chauves-souris frugivores du genre Pteropus. Leur récente émergence chez l’homme, provoquant des encéphalites mortelles, a été imputée à l’expansion de l’anthropisation dans les zones d’habitat naturel des chauve-souris, et à la présence, ici encore, d’une population animale domestique homogène et sensible au virus (le cheval pour le virus Hendra, et le porc pour le virus Nipah) ayant permis son amplification et son passage à l’homme (Plowright et al. 2014). L’émergence de la grippe aviaire en Asie serait également liée aux pratiques d’élevage. L’élevage de canards en plein air permet la mise en contact des volailles domestiques avec les oiseaux sauvages réservoirs du virus, les élevage intensifs en favorisent l’amplification, et l’existence de grands marchés vivants en permet la dissémination rapide (Jones et al. 2013).
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