Evaluation de la sensibilité aux insecticides par la technique des tests de bio-essais en bouteille du CDC
Généralités sur les vecteurs du paludisme
Les Culicidae sont une famille de moustiques dont plusieurs espèces sont vectrices de parasitoses ou d’arboviroses. Les taxonomistes les intègrent dans l’embranchement des arthropodes (pattes articulées), la classe des insectes (corps segmenté en trois parties), la sous classe des ptérygotes (présence d’ailes), l’ordre des diptères (deux ailes fonctionnelles) et le sous-ordre des nématocères (antennes rondes et longues). Ce taxon comprend trois sousfamilles : les Anophelinae (avec les genres Anopheles, Bironella et Chagasia), les Culicinae et les Toxorhynchitinae (Knight et Stone, 1977). Seul le genre Anopheles, avec 458 espèces décrites (Harbach, 1994), renferme les vecteurs du paludisme environ estimés à une cinquantaine et dont seulement une vingtaine assure l’essentiel de la transmission à l’échelle mondiale (Pagès et al., 2007). L’étude des conditions de transmission du paludisme a permis de mettre en évidence l’existence de faciès épidémiologiques où les caractéristiques de la transmission en termes de durée et d’intensité, les niveaux de la prévalence parasitaire et de l’incidence du paludisme sont typiques de chacun d’eux. Dans la zone Afro-tropicale, An. arabiensis Patton, An. gambiae s.s. (deux espèces du complexe gambiae) et An. funestus Giles constituent les vecteurs majeurs. L’action de l’homme sur le milieu, les facteurs climatiques et géographiques, ainsi que les différences de comportements entre espèces et à l’intérieur d’une même espèce déterminent fortement le niveau de contact homme-vecteur (Pagès et al., 2007). L’essentiel des vecteurs du paludisme évoluent dans les zones rurales (à haute transmission) et sont théoriquement rares dans les espaces urbains (en raison de l’absence/réduction et la pollution des gîtes larvaires potentiels des vecteurs) où la transmission du paludisme est à la fois faible et localisée (Trape, 1986 ; Faye, 1994 ; Donnelly et al., 2005 ; Wang et al., 2006). Toutefois, certaines activités humaines telles que la pratique du maraîchage, favorisent la mise en place de sites de ponte près des zones d’habitation et contribuent réellement à la transmission du paludisme en ville (Pagès et al., 2007 ; Alemu et al., 2011). A ce facteur s’ajoutent l’absence d’une immunité naturellement acquise contre le paludisme (Carlson et al., 2004) et l’adaptation de certaines espèces au milieu urbain (Pagès et al., 2007). Au Sénégal, 20 espèces d’anophèles ont été inventoriées dont les plus fréquentes sont An. gambiae Giles, An. arabiensis Patton, An. funestus Giles, An. pharoensis Theobald, An. rufipes Gough et An. ziemanni Grünberg (Diagne et al., 1994). An. gambiae s.l. est le vecteur majeur du paludisme urbain, notamment à Dakar (Vercruysse & Jancloes, 1981 ; Faye et al., 1995a, 1995b ; Diallo et al., 1998, 2000 ; Trape, 1986 ; Faye, 1994 ; Pagès et al., 2008 ; Gadiaga et al., 2011).
Le complexe An. gambiae
De l’approche morphologique à la description cytogénétique et moléculaire
Les anciennes théories sur la notion d’espèce étaient basées sur des critères morphologiques et d’interfécondité. Ainsi, au début du 19ème siècle, Cuvier avait défini l’espèce comme « une collection de tous les corps organiques nés les uns des autres ou de parents communs et de ceux qui leur ressemblent, autant qu’ils se ressemblent entre eux ». Cependant, avec l’avènement de la génétique, de nouveaux concepts sont apparus. Selon Mayr (1942), il s’agit plutôt de « groupes de populations naturelles capables d’intercroisements et reproductivement isolés d’autres groupes semblables ». Cette nouvelle 8 perception a fortement souligné la condition d’existence de flux de gènes entre deux populations d’une même espèce, aboutissant à la déstructuration d’espèces morphologiques. Chez An. gambiae Giles, des différences écologiques constatées à l’état larvaire (Peterson, 1963), l’étude des croisements entre souches d’eau douce et saumâtre (Peterson, 1963 ; Davidson, 1964) et l’étude de l’héritabilité de la résistance à la dieldrine par croisements entre populations susceptibles et résistantes à cet organochloré (Davidson, 1964), avaient permis de démontrer l’existence de cinq écotypes appelés An. gambiae A, An. gambiae B, An. gambiae C (formes d’eau douce), An. melas et An. merus (formes d’eau saumâtre). Dès lors, An. gambiae fut décrite comme étant un complexe d’espèces (différentes génétiquement mais identiques morphologiquement). Plus tard, les espèces A, B et C furent respectivement appelées An. gambiae Giles 1902 (An. gambiae s.s.), An. arabiensis Patton 1905 et An. quadriannulatus Theobald 1911 (Coluzzi et al., 1979). Deux autres espèces furent également décrites : l’espèce D (An. bwambae White 1985) apparentée à An. melas (White, 1973) et une autre nommée An. quadriannulatus B (Hunt et al., 1998), espèce éthiopienne proche d’ An. quadriannulatus Theobald. Le complexe se retrouva alors avec 7 espèces : An. arabiensis Patton 1905, An. bwambae White 1985, An. gambiae s.s. Giles 1902, An. melas Theobald 1903, An. merus Dönitz 1902, An. quadriannulatus (A) Theobald 1911 et An. quadriannulatus (B) Hunt 1998. Chez An. gambiae s.s., l’étude des chromosomes polytènes des cellules nourricières des follicules ovariens de femelles semi-gravides ont permis de démontrer l’existence d’inversions paracentriques au niveau du chromosome 2, permettant de caractériser cinq formes chromosomiques (Mopti, Bamako, Savane, Forêt et Bissau) chez cette espèce. Les fréquences des inversions chromosomiques ayant permis de définir ces formes/cytotypes sont corrélées à différentes zones écologiques respectives, suggérant ainsi l’existence d’écotypes avec une probable adaptation à de nouvelles aires géographiques (White et al., 1974 ; Coluzzi et al.,1979, 1985). Cependant, des analyses moléculaires (PCR-RFLP), réalisées sur des échantillons d’An. gambiae s.s. collectés un peu partout en Afrique, ont permis de montrer que ces 5 cytotypes ne sont que la synthèse de deux formes moléculaires non panmictiques nommées M et S, dont la distribution s’étend de la forêt à la savane (figure 1). Dans les savanes arides, la forme S est essentiellement caractérisée par les inversions polymorphes typiques des formes chromosomiques Savane et Bamako, tandis que M présente les arrangements spécifiques aux formes Mopti et/ou Savane et/ou Bissau, selon l’origine géographique (della Torre et al., 2001). Les formes M et S sont homoséquentielles pour les inversions du chromosome 2 dans les zones de forêt et de savane (figure 2). Cependant, l’étude de la distribution du gène Kdr dont l’unique présence chez la forme S avait été démontrée (Chandre et al., 1999) et l’absence ou la rareté d’hétérozygotes M/S (Chandre et al., 1999; della Torre et al., 2001) chez des populations M et S sympatriques, ont indiqué l’absence de flux de gène entre M et S. Cela semble se traduire par un phénomène de spéciation en cours chez ces formes moléculaires. La cytogénétique s’est donc montrée efficace pour la détermination des espèces chez An. gambiae s.l. Cependant, son application est assez fastidieuse et ne peut être accomplie que chez des femelles semi-gravides. Pour contourner cette difficulté, des approches alternatives ont été mises au point. Nous pouvons citer la technique basée sur l’analyse des allozymes (Mahon et al., 1976), la chromatographie en phase gazeuse des hydrocarbones cuticulaires (Carlson et al., 1980), 9 l’amplification par PCR de l’ADN ribosomal et, plus récemment, l’utilisation du profilage des protéines par MALDI-TOF-MS (Yssouf et al., 2013). La PCR demeure encore la méthode standard d’identification des espèces du complexe gambiae. Elle se base sur le polymorphisme des régions inter-géniques (IGS) non transcrites de l’ADN ribosomal (rDNA) chez An. gambiae s.l., permettant de discriminer les espèces jumelles (Collins et al., 1987 ; McLain et al., 1989 ; Scott et al., 1993 ; Favia et al., 2001 ; Fanello et al., 2002 ; Wilkins et al., 2006). Les méthodes de Scott et al. (1993), de Fanello et al. (2001) et de Wilkins et al. (2006) seraient les plus achevées car permettant une identification simultanée de toutes les espèces du complexe. L’approche PCR-RFLP de Fanello et al. (2002) amplifie une portion de l’IGS suivie d’une digestion des produits avec l’enzyme de restriction Hha I pour produire des fragments d’analyse de n’importe quel type d’ADN ribosomal. La méthode de Wilkins, elle, s’appuie sur le polymorphisme mononucléotidique (SNP) d’une séquence de l’espace inter-génique de l’ADN ribosomal (IGS rDNA) avec l’utilisation d’amorces présentant un décalage volontaire (Intentional Mismatch Primers, IMPs) au niveau de l’extrémité 3’ des sites SNP. Cela empêche l’extension de l’ADN polymérase (DNA Taq Poymerase) et permet l’obtention de fragments plus spécifiques. Figure 1 : Inversions différentielles du chromosome 2 chez An. gambiae s.s. suivant un transect imaginaire de la forêt à la savane (Sources : Coluzzi et al., 1985 ; della Torre et al., 2001). Figure 2 : Relations entre formes chromosomiques et formes moléculaires montrant (en encadré) une zone de transition entre les formes M et S (Source : della Torre et al., 2001). Aride Bamako 2Rjcu/jbcu 2La Savane 2Rb/+/(cu/bcu/d/j) 2la/+ Bissau 2Rd/(+) 2L+/(a) Forêt 2R+/(b) 2L+/(a) Mopti 2Rbc/u/(+) 2La/(+) Humide 10 Actuellement, les deux formes moléculaires sont érigées au rang d’espèce, la forme S devenant An. gambiae Giles et la forme M, An. coluzzii Coetzee & Wilkerson. En même temps, An. quadriannulatus B est devenue An. amharicus Hunt, Wilkerson & Coetzee. A ces trois espèces s’ajoutent les six autres (An. arabiensis, An. melas, An. merus, An. quadriannulatus, An. bwambae et An. comorensis) formant le complexe gambiae (Coetzee et al., 2013).
Bio-écologie, distribution et rôle vecteur d’Anopheles gambiae s.l.
Pour déposer ses œufs, An. gambiae s.l. préfère les petites collections temporaires d’eau de pluie ou les grandes étendues d’eau permanentes (figure 3). Les espèces du complexe gambiae présentent des aires de répartition très variées. Les figures 4 et 5 montrent la distribution d’An. gambiae s.l. respectivement en Afrique et au Sénégal en particulier. Bien que toutes les espèces du complexe soient potentiellement vectrices (génétiquement compétentes), le contraste de caractéristiques bio-écologiques et génétiques observé chez An. gambiae s.l. détermine fortement le rôle vectoriel de chacune dans la transmission du paludisme (Carnevale et al., 2009). Au Sénégal, parmi les espèces du complexe présentes, An. gambiae s.s. et An. arabiensis sont celles qui transmettent majoritairement le paludisme (Faye, 1994). Cependant, à travers le territoire, l’essentiel de la transmission est assuré par An. arabiensis (Faye et al., 2011). La présence et le rôle vecteur de cette espèce sont exclusifs en milieu urbain de Dakar (Vercruysse & Jancloes, 1981 ; Faye et al., 1995a, 1995b ; Diallo et al., 1998, 2000 ; Pagès et al., 2008 ; Gadiaga et al., 2012). L’étude des préférences trophiques des espèces du complexe a montré qu’An. gambiae s.s. pique plus fréquemment l’homme (espèce très anthropophile) qu’An. arabiensis, mais la présence d’hôtes alternatifs peut changer ces tendances (Vercruysse & Jancloes, 1981 ; Faye, 1994 ; Niang, 2009). En milieu urbain, des études montrent qu’An. arabiensis peut être exclusivement anthropophile (Vercruysse & Jancloes, 1981) ou présenter des degrés d’anthropophilie et de zoophilie équivalents (Niang, 2009). Chez An. gambiae s.s., les deux formes moléculaires M et S semblent présenter les mêmes préférences trophiques (Ndiath et al., 2008). Cependant, la forme M est plus fréquente au Sénégal (Niang, 2009). Toutefois, dans certaines zones du pays, durant la saison des pluies, ces deux formes coexistent, avec une prépondérance de M en Septembre, tandis que S s’impose en Août (Ndiath et al., 2008). Dans les zones du littoral, An. melas, espèce halophile et fortement inféodée aux zones côtières, assure la transmission (Diop et al., 2002). Cependant, même très anthropophile, An. melas est un mauvais vecteur du fait de son espérance de vie relativement faible.
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