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L’autofécondation comme mécanisme d’isolement reproducteur
Dans un environnement hétérogène, l’apport de gènes mal adaptés en provenance d’une autre population peut être un frein à l’adaptation locale (Lenormand 2002). Les modèles théoriques qui se sont intéressés aux flux de gènes via le pollen et les graines suggèrent que ces deux types de dispersion ne sont pas équivalents. Par exemple, Lopez et al. (2008) trouvent que lorsque l’habitat est fortement hétérogène, l’arrivée de pollen génère un fardeau génétique, dit de migration, plus fort que l’arrivée de graines. En effet, les allèles délétères dans le nouvel environnement sont souvent à l’état homozygote dans les graines et donc facilement purgés. En revanche, les allèles introduits par le pollen se retrouvent à l’état hétérozygote face à des allèles locaux plus adaptés et sont donc plus difficiles à purger. Similairement, en modélisant la colonisation d’une nouvelle population à partir d’une population source, Aguilée et al. (2013) ont montré que les flux de graines favorisent l’adaptation au nouvel habitat, car ils contribuent à augmenter la taille de la population dans ce nouvel habitat, et à éviter les effets Allee. Mais dans beaucoup de cas, les flux de pollen ralentissent l’adaptation car ils créent du fardeau de migration.
Dans ce contexte, l’autofécondation est avantageuse car elle diminue l’intégration de gènes mal adaptés dans la population via le pollen. Antonovics (1968) prédisait que l’autofécondation réduisait le fardeau de migration quand la migration était forte. Plus récemment, Peterson and Kay (2015) ont montré que des taux d’autofécondation intermédiaires sont avantageux du fait de l’isolement reproducteur conféré par l’autofécondation. De plus, lorsque l’afflux de pollen est extrêmement fort, l’autofécondation complète devient également plus avantageuse que l’allofécondation, malgré la baisse de potentiel adaptatif précédemment décrite.
L’autofécondation, un cul-de-sac évolutif ?
La perte graduelle de diversité chez les lignées autofécondantes compromettant potentiellement l’adaptation a conduit Stebbins (1957) à qualifier l’autofécondation de cul-de-sac évolutif : « In one sense, therefore, self-fertilization is an evolutionary “blind alley », since it apparently closes the door to the elaboration of radically new adaptive devices ». L’accumulation progressive des mutations délétères due à la diminution de taille efficace vient conforter cette idée (Takebayashi and Morrell 2001; Igic and Busch 2013).
Les analyses de macroévolution s’intéressant à l’évolution du système de reproduction dans les phylogénies vont dans le sens de la prédiction de Stebbins. Dans la famille des Solanacées, Goldberg et al. (2010) montrent que les lignées auto-compatibles (et donc susceptible de s’autoféconder) ont des taux de diversification mais aussi d’extinction plus hauts que les lignées auto-incompatibles. Le taux de diversification net, qui prend en compte diversification et extinction, est néanmoins plus fort pour les lignées auto-incompatibles. Une analyse complémentaire trouve que les transitions depuis l’auto-incompatibilité vers l’auto-compatibilité sont plus souvent associées avec un évènement de spéciation (changement cladogénétique) qu’avec une transition simple à l’intérieur d’une lignée (changement anagénétique), ce qui indique que la transition vers un système auto-compatible est plus souvent associée avec un évènement de spéciation, et donc de l’isolement reproducteur.
Dans l’ensemble, ces résultats illustrent une relation complexe entre le système de reproduction et l’adaptation, la spéciation et l’extinction, qui est compréhensible vu les effets qu’a l’autofécondation sur diverses forces évolutives. Les effets de l’autofécondation sur l’adaptation, en particulier, pourraient se compenser. Cela pourrait expliquer en partie les résultats de deux méta-analyses récentes qui ne trouvent pas d’effet du système de reproduction sur l’adaptation locale. Leimu et Fischer (2008) ne l’ont pas détecté dans trente-cinq expériences de transplantations réciproques concernant 32 espèces. Leur classification du système de reproduction était simple (auto-compatible ou auto-incompatible) car ils n’avaient la plupart du temps pas accès aux taux d’autofécondation réalisés dans les populations étudiées. Le fait que les lignées auto-compatibles puissent avoir des taux d’autofécondation extrêmement variables pourrait expliquer les intervalles de confiance beaucoup plus larges pour le groupe auto-compatible. Hereford (2010) n’a pas non plus trouvé d’effet du système de reproduction (auto-compatible ou auto-incompatible; autofécondant ou allofécondant) sur l’adaptation locale. L’auteur suggère que cet effet est dû à des données imprécises (taux d’autofécondation et adaptation locale mesurés dans des populations différentes) ou à des effets antagonistes du taux d’autofécondation sur l’adaptation locale.
En conclusion, le système de reproduction a des effets complexes et multiples sur les processus évolutifs. Les avancées théoriques et expérimentales récentes continuent d’apporter de nouvelles données et de nouveaux points de vue à une question ancienne mais encore loin d’être résolue.
Variation du système de reproduction
Dans la partie précédente, j’ai décrit comment le système de reproduction affecte les processus évolutifs. La plupart des modèles que j’ai présentés le traitaient comme constant. Pourtant, le système de reproduction est basé sur un ensemble de traits souvent labiles. Et il semble évident qu’au vu de son effet sur les processus évolutifs, il soit lui-même soumis à l’action de la sélection. Dans les paragraphes suivants, je vais vous présenter brièvement la variation des modes de reproduction et les principales forces qui agissent sur leur évolution.
Autant de modes de reproduction que d’espèces ?
Le terme « système de reproduction » recouvre une très large diversité de fonctionnement chez les êtres vivants. Il existe en effet de nombreux moyens d’engendrer de nouveaux organismes. Certains organismes se reproduisent essentiellement par multiplication asexuée, c’est-à-dire sans l’aide d’un autre individu, ou sans fusion de deux gamètes de sexe opposé. C’est un mode très courant chez les organismes unicellulaires, qu’ils soient Procaryotes ou Eucaryotes (les bactéries et les paramécies par exemple). Néanmoins, c’est un type de reproduction que l’on peut également trouver chez les cnidaires, les annélides ou les planaires. Bien qu’il existe quelques organismes qui ne se reproduisent que de manière asexuée, tels que certaines lignées de Daphnies ou quelques espèces de reptiles, ou que de manière sexuée, tels que les mammifères, de nombreux organismes alternent ou combinent les deux types de reproduction. Par exemple, de nombreuses plantes à fleurs ont, outre leur reproduction sexuée, la capacité de se reproduire de manière asexuée (dite « végétative »), via des organes plus ou moins spécialisés (stolons, bulbille, rhizomes ou fragments non spécialisés). Mais l’on peut également citer un certain nombre d’insectes hyménoptères, tels que les fourmis, les guêpes parasitoïdes ou les abeilles, qui effectuent la parthénogénèse et se reproduisent de manière sexuée.
L’extrême variation visible sur le gradient allant des organismes sexués aux organismes asexués est également présente au niveau des types de reproduction sexuée, chez les animaux comme chez les plantes. Je vais me focaliser sur ces dernières, non pas que les animaux ne soient pas intéressants, mais parce que les plantes suffisent à illustrer la fantastique diversité de modes reproductifs. Les individus peuvent ne porter des organes que d’un seul sexe (dioécie, comme beaucoup de gymnospermes, ou comme le Ginkgo biloba) ou des deux sexes (monoécie). Il existe des populations dont certains individus portent les organes mâles et femelles et d’autres individus uniquement les organes femelles (gynodioécie). Plus rarement, des populations contiennent des individus portant les organes mâles et femelles et des individus mâles (androdioécie). Parfois, il peut y avoir coexistence d’individus mâles, femelles et hermaphrodites dans la population (trioécie).
Au sein des populations monoïques, la diversité est également au rendez-vous : les organes mâles et femelles peuvent être séparés au sein d’un individu (monoécie stricte) ou, réunis dans la même fleur, dite hermaphrodite. Chez certaines espèces, les individus peuvent porter des fleurs femelles et des fleurs hermaphrodites (espèces gynomonoïques) mais chez d’autres espèces, c’est le contraire : les individus portent des fleurs males et hermaphrodites (espèces andromonoïques).
Un intérêt de la monoécie et en particulier de l’hermaphrodisme est que ces systèmes permettent l’autofécondation. Ils ne la rendent toutefois pas automatique, et de nombreuses caractéristiques peuvent diminuer la probabilité qu’elle ait lieu. Les organes sexuels mâles (les étamines) peuvent être spatialement éloignés des structures sexuelles femelles (le pistil) et l’on parle alors d’herkogamie. Parfois, ces organes sont matures à des temps différents (dichogamie). Parfois, un système d’auto-incompatibilité empêche les individus de s’autoféconder. Il arrive que plusieurs morphes floraux existent dans une population, avec différentes architectures florales (pistil et étamines de différentes tailles), encourageant les échanges de pollen entre morphes. Il est fréquent qu’un système d’incompatibilité empêche les individus d’un même morphe de se reproduire entre eux. Et comment ne pas citer, pour le plaisir des systèmes étranges, l’hétérodichogamie, où certaines plantes sont fonctionnellement femelles en premier, puis mâles, tandis que d’autres plantes de la population sont d’abord mâles (par exemple, dans le genre Alpina (Li et al. 2001).
Variation du taux d’autofécondation
Si l’on s’intéresse à la capacité à s’autoféconder, on trouve ici encore une incroyable variation. Différentes espèces de plantes, y compris phylogénétiquement proches, peuvent avoir des taux d’autofécondation très différents. On peut par exemple citer Arabidopsis thaliana, qui fait de l’autofécondation à plus de 95% et son espèce sœur Arabidopsis lyrata, qui n’est pas compatible avec elle-même. Schemske et Lande (1985) ont recensé les connaissances de l’époque sur la variation des taux d’autofécondation entre espèces. Depuis, la liste s’est beaucoup allongée (Vogler and Kalisz 2001; Barrett 2003; Goodwillie et al. 2005). La distribution des taux d’autofécondation est continue et légèrement bimodale (Figure 5).
Au fil du siècle dernier, plusieurs arguments ont été invoqués pour expliquer la distribution des systèmes de reproduction et leur évolution. Historiquement, deux approches ont coexisté, qui ont fini par se rejoindre. La première s’intéressait aux systèmes de reproduction d’un point de vue génétique. Elle a engendré un grand nombre de modèles théoriques sur l’évolution du taux d’autofécondation (Lloyd 1979; Lande and Schemske 1985; Holsinger 1988; Jain 1976; Uyenoyama and Waller 1991a; b; c ; Charlesworth 2006). En parallèle, une approche plus naturaliste étudiait comment les contraintes écologiques des populations des plantes influencent la reproduction, avec un intérêt particulier pour l’écologie de la pollinisation. En effet, l’immobilité des plantes est une contrainte majeure3 puisqu’elle les rend dépendantes d’un vecteur pour le transfert du pollen. Les modèles plus récents incorporent souvent des contraintes génétiques, écologiques et fonctionnelles (Lloyd 1992; Robertson 1992; Porcher and Lande 2005; Johnston et al. 2009). Figure 5. Distribution des taux d’allofécondation estimés chez les plantes à fleurs. En gris clair : plantes pollinisées par des vecteurs non biotiques (eau, vent). En gris foncé : plantes pollinisées par des vecteurs vivants (par exemple : insectes, oiseaux). A) Distribution publiée dans l’étude de Schemske et Lande (1985). B) Distribution complétée à 345 espèces. Si plusieurs estimations étaient présentes pour une espèce, le taux d’allofécondation a été moyenné sur les années puis sur les populations. Figure adaptée de Goodwillie et al. (2005).
Facteurs génétiques
Les plantes hermaphrodites transmettent leur patrimoine génétique à travers leurs ovules, mais également à travers leur pollen. Une plante allogame transmet une copie de son génome via la fécondation d’un gamète femelle dans un ovule et une copie de son génome via chaque grain de pollen. Dans une population allofécondante, un mutant qui effectue de l’autofécondation tout en exportant la grande majorité de son pollen transmet ses gènes via ses ovules, où les gamètes sont fécondés grâce à son propre pollen, et en fertilisant d’autres plantes (soit une augmentation de 50% par rapport aux plantes allofécondantes (Fisher 1941; Charlesworth and Charlesworth 1979). C’est ce qui a été appelé « l’avantage de transmission » de l’autofécondation.
Face à cet avantage, qui devrait naturellement conduire à la fixation de l’autofécondation, les modèles ont tout d’abord opposé la dépression de consanguinité, la réduction relative de valeur sélective des individus issus de l’autofécondation par rapport aux individus issus de l’allofécondation (Lande and Schemske 1985). La dépression de consanguinité devait sélectionner des systèmes allogames si supérieure à 0.5 et sélectionner des systèmes autogames si inférieure à 0.5. En l’état, ce modèle n’expliquait pas la large fraction de taux d’autofécondation intermédiaires observée par les mêmes auteurs (Schemske and Lande 1985). De nombreux modèles ont ensuite complexifié la modélisation de la dépression de consanguinité (résumés dans Charlesworth 2006), modélisé son évolution et son interaction avec l’environnement (Cheptou and Mathias 2001) ou la dynamique des populations (Cheptou and Dieckmann 2002). Un certain nombre de ces modèles prédisent l’évolution de systèmes de reproduction mixte à l’équilibre. Plusieurs mécanismes peuvent générer de la dépression de consanguinité (Figure 6). L’hypothèse dite de la dominance est basée sur l’existence de mutations récessives délétères dans le génome, qui ségrégent dans la population et qui sont plus exprimées lors de l’autofécondation que lors de l’allofécondation. Cette hypothèse est pour le moment considérée comme responsable d’une large partie de la dépression de consanguinité (Charlesworth and Willis 2009). L’hypothèse de la superdominance est basée sur les locus où les hétérozygotes ont une meilleure valeur sélective que les homozygotes. Parfois, ce mécanisme peut être confondu avec le précédent si deux locus très proches (et donc recombinant peu) portent chacun une mutation délétère récessive sur chacune des copies du chromosome. Dans cette configuration, les hétérozygotes ont une valeur sélective plus importante car à chacun des deux locus, la mutation dominante cache la mutation délétère (Figure 6). On parle alors de pseudo-superdominance. Plus difficile encore à quantifier est la manière dont de multiples mutations affectent le génome : est-ce que les effets des mutations sont indépendants et se multiplient entre eux ? Enfin, l’étude de Vergeer et al. (2012) suggère que des facteurs épigénétiques peuvent également être impliqués dans l’expression de la dépression de consanguinité.
Figure 6. Mécanismes principaux générant de la dépression de consanguinité. A) Mécanisme de dominance impliquant un allèle délétère récessif rare (rouge) et un allèle neutre ou bénéfique dominant commun dans la population (vert). B) Mécanisme de superdominance selon lequel l’hétérozygote (jaune-bleu) a une meilleure valeur sélective que les homozygotes (bleu-bleu et jaune-jaune). C) Mécanisme de pseudo-superdominance qui est en fait un mécanisme de dominance, mais avec deux locus impliqués très proches l’un de l’autre et recombinant donc peu. Si des mutations délétères récessives (rouges) ne sont pas sur le même chromosome, alors le résultat final ressemble à de la superdominance.
Au vu de la variété des mécanismes produisant de la dépression de consanguinité, et dans la mesure où ils dépendent pour la plupart de l’histoire de purge de la population, il n’est pas surprenant qu’il existe une large variation de la dépression de consanguinité entre espèces, populations et même parfois traits (Husband and Schemske 1996; Keller and Waller 2002; Crnokrak and Barrett 2002; Winn et al. 2011; Angeloni et al. 2011). En outre, il arrive qu’elle ne s’exprime pas de la même manière dans tous les environnements (Byers and Waller 1999; Crnokrak and Roff 1999; Keller and Waller 2002; Armbruster and Reed 2005; Fox and Reed 2011). Le stress semble augmenter l’intensité de la dépression de consanguinité, mais pas toujours (Armbruster and Reed 2005; Fox and Reed 2011), ce qui a conduit certains auteurs à proposer que l’histoire de sélection plutôt que le stress en tant que tel explique cette variation (Agrawal and Whitlock 2010; Long et al. 2013).
Contraintes environnementales
Outre la dépression de consanguinité et l’avantage de transmission, un certain nombre de facteurs environnementaux peuvent influencer le système de reproduction. La plus large variation de la distribution des taux d’autofécondation dans le cas de la pollinisation biotique (Figure 5) suggère que les pollinisateurs, quels qu’ils soient, ajoutent de la complexité à la reproduction. En effet, sauf si les plantes ont la capacité de s’autoféconder de manière autonome, elles sont dépendantes de vecteurs pour transporter les grains de pollen vers les organes femelles. Cette dépendance soumet les traits susceptibles de favoriser ce transfert de pollen à une forte sélection. L’autofécondation autonome est une manière de contourner le problème et correspond à l’avantage dit de « l’assurance reproductive », car en cas d’absence de pollinisateurs, une plante possédant cette capacité peut se reproduire là où ses congénères allogames ne le peuvent pas. Dans la mesure où le transfert de pollen est souvent une étape limitante en terme de qualité et de quantité (Ashman et al. 2004; Knight et al. 2005; Aizen and Harder 2007), cet avantage peut être crucial.
Néanmoins, tout n’est pas si simple. Si la quantité de pollen produit est limitée, s’autoféconder réduit mécaniquement le potentiel exporté pour l’allofécondation ; c’est ce que l’on appelle le décompte de pollen (« pollen discounting »). Plus il est fort, plus l’avantage de transmission est réduit. De surcroît, cette diminution est accentuée s’il y a de la dépression de consanguinité dans la population. Non seulement on remplace une allofécondation par une autofécondation, mais cette dernière produit des descendants avec une plus faible valeur sélective.
De manière similaire, le nombre d’ovules étant souvent limité, la fécondation avec du pollen autogame revient, si tous les ovules de la plante sont fécondés, à réduire le nombre d’ovules fécondés avec du pollen allogame (décompte en ovules ou « seed discounting »). Si les modèles considèrent en général que le nombre total d’ovules est fixe, ce qui crée du décompte en ovules, cela ne veut pas dire que la relation entre nombre d’ovules allofécondés et autofécondés soit nécessairement négative (Johnston 1998).
Les modèles d’évolution des systèmes de reproduction qui prennent en compte l’effet du « pollen discounting » prédisent que ces effets peuvent contrebalancer certains avantages de l’autofécondation (Holsinger 1991; Lloyd 1992; Johnston 1998). En particulier, la relation entre le nombre d’ovules allo- et autofécondés, et la relation entre le nombre d’ovules autofécondés et la quantité de pollen exporté peuvent prendre des formes très variables, qui dépendent notamment du comportement des pollinisateurs et de la structure des fleurs. Un modèle décrivant plusieurs de ces relations, correspondant à des scénarios biologiques distincts, prédit l’évolution de taux d’autofécondation allant de zéro à un, en passant par des taux intermédiaires stables, et ce y compris avec de fortes valeurs de dépression de consanguinité (Johnston et al. 2009).
Système de reproduction et dispersion
Les différents avantages et désavantages de l’autofécondation font que l’on prédit son évolution dans certaines conditions, et le maintien de l’allofécondation dans d’autres. Un cas particulier qui a stimulé de nombreuses recherches est l’évolution de la capacité à s’autoféconder lors de la colonisation. Baker (1955) a prédit que les individus colonisant de nouveaux habitats à grande distance de leur population d’origine pourront plus facilement fonder une population s’ils ont la capacité de s’autoféconder ou de se reproduire asexuellement. Stebbins, dans son article de (1957), a insisté sur la généralité de ce phénomène et a surnommé ce filtre démographique « Baker’s law ». Les discussions récentes sur la définition la plus utile de ce principe et ses cadres d’applications ont généré des échanges scientifiques stimulants sur l’évolution, la plasticité du taux d’autofécondation, et son interaction avec des processus démographiques et évolutifs (Cheptou 2012; Pannell et al. 2015).
Lorsqu’il disperse très loin de sa population d’origine, un individu a toutes les chances d’arriver dans un endroit où il est moins adapté, isolé de ses congénères et potentiellement sans pollinisateurs efficaces. Dans cette situation, il est intuitif que les individus capables de s’autoféconder ou de se reproduire végétativement ont un avantage par rapport à des individus complètement allofécondants. De plus, si l’autofécondation peut faciliter l’adaptation au moins dans un premier temps, pour différentes raisons décrites dans la première partie de cette introduction, l’autofécondation pourrait être encore plus avantageuse dans ce contexte. Si la dépression de consanguinité n’est pas trop forte, on peut donc s’attendre à ce que les dispersions à longue distance soient associées à une transition vers la capacité de s’autoféconder, si l’espèce n’avait pas déjà cette capacité. Cette capacité à l’autofécondation peut être acquise génétiquement ou plastiquement et se décliner sous la forme de nombreux mécanismes : transition d’un système auto-incompatible vers un système auto-compatible (Pannell et al. 2015 pour revue), perte partielle de l’hétérostylie, modification de la structure florale, augmentation du nombre de fleurs hermaphrodites ou cléistogames (Levin 2010, et 2012 pour revue).
Le principe de Baker a également été appliqué dans le contexte des métapopulations, où la dispersion se fait souvent à moins longue distance et où des individus dispersants ne sont pas nécessairement complètement isolés. Cela a généré des prédictions distinctes sur l’évolution de l’autofécondation que le principe original. Dans ce contexte, l’autofécondation donne un plus faible avantage, surtout lorsque l’on incorpore des effets négatifs tels que la dépression de consanguinité. Si le succès de la colonisation dépend de la densité en plantes dans l’environnement colonisé et si le nombre de migrants est faible, les modèles prédisent des résultats cohérents avec le principe de Baker (Pannell and Barrett 1998; Dornier et al. 2008) et les données (Cheptou 2012; Pannell et al. 2015 pour revue). Néanmoins, d’autres modèles impliquant de l’hétérogénéité temporelle et spatiale de la pollinisation et de la dépression de consanguinité prédisent l’évolution d’une association entre allofécondation et forte capacité à la dispersion d’une part, et entre autofécondation et faible capacité de dispersion d’autre part (Cheptou and Massol 2009; Massol and Cheptou 2011). En effet, dans ces modèles, le système de reproduction et la capacité à disperser évoluent de manière à ce que les individus payent le coût de la consanguinité ou le coût de la dispersion (probabilité d’arriver dans une parcelle de mauvaise qualité), mais pas les deux à la fois.
Système de reproduction et adaptation locale
Ces modèles sur la dispersion entre environnements (de pollinisation) différents nous ramènent à l’étude originelle qui a stimulé les travaux sur le taux d’autofécondation et les plantes pseudo-métallicoles. Antonovics (1968) prédisait l’évolution de l’autofécondation dans -30- une population subissant une forte pression de sélection et recevant du pollen portant des allèles délétères en provenance de populations voisines, car l’autofécondation limitait l’incorporation des allèles délétères et favorisait donc l’évolution de l’adaptation locale. Un modèle plus récent s’est intéressé à la question de l’évolution de l’autofécondation et de l’adaptation locale en incluant la dépression de consanguinité et la dépression d’allofécondation, qui peut être générée lors du croisement de deux génotypes adaptés à des conditions différentes (Epinat and Lenormand 2009). L’évolution de l’autofécondation n’est prédite que quand le taux de migration est faible, la sélection forte, et le taux de recombinaison efficace faible. Ce modèle, quoique plus complexe que les précédents, n’inclut cependant pas de nombreux facteurs tels que l’avantage de l’assurance reproductive associé à l’autofécondation. Il illustre le fait que malgré de nombreuses études sur les systèmes de reproduction, nous ne comprenons pas encore bien la relation entre adaptation locale, taux d’autofécondation et dépression de consanguinité.
Ma thèse se situe dans ce contexte, à l’interface de l’étude de l’adaptation aux sols toxiques et de l’évolution des systèmes de reproduction. Je me suis intéressée à l’effet de fortes pressions de sélection hétérogène (la concentration en éléments métalliques à l’état de traces dans le sol) sur le système de reproduction d’une plante, en étudiant comment le taux d’autofécondation varie entre populations adaptées à des conditions très différentes, et comment l’adaptation à la toxicité affecte la dépression de consanguinité. J’ai pour cela utilisé la plante modèle Noccaea caerulescens que je vais vous présenter.
Portrait-robot de NOCCAEA CAERULESCENS
Noccaea caerulescens J. Presl & C. Presl F.K. Mey est une petite Brassicaceae qui est capable de tolérer et d’hyperaccumuler des éléments métalliques traces 4, tels que le zinc, le cadmium ou le nickel. On la trouve dans toute l’Europe avec une distribution fragmentée, de l’Espagne à la Scandinavie, de l’Angleterre à la République Tchèque. Certaines régions ont été beaucoup étudiées, telles que les Cévennes (Escarré et al. 2000; Dubois et al. 2003; Jiménez-Ambriz et al. 2007), la Belgique et le Luxembourg (Frérot et al. 2003; Dechamps et al. 2007, 2008, 2011), le Jura Suisse (Besnard et al. 2009), mais des populations de toute l’Europe ont été ponctuellement étudiées (Koch et al. 1998; Gonneau 2014). En France, N. caerulescens est surtout trouvée dans les massifs montagneux (Alpes, Massif Central, Jura, Pyrénées) et pousse dans des biotopes aux conditions extrêmement variées, que ce soit en termes de pH du sol, d’altitude, de ressources minérales, ou de climat (Gonneau 2014). Une caractérisation fine de ces paramètres a conduit à la définition de quatre groupes édaphiques : calaminaire ou métallicole, vivant dans d’anciennes mines ; vivant sur sol naturellement riche en serpentine ; non métallicole, vivant sur sol non minier acide ; et vivant sur sol non minier neutrophile (Gonneau 2014). Dans la mesure où elle peut vivre sur des sols à fortes concentrations en éléments traces et sur des sols « normaux », N. caerulescens est considérée comme une pseudo-métallophyte.
Noccaea caerulescens fleurit de février ou mars à juin. Dans le nord de l’Europe, elle tend à être annuelle à bisanuelle dans les populations métallicoles, et bisanuelle à pérenne dans les populations non métallicoles (Dechamps et al. 2011). Elle est surtout annuelle et bisanuelle dans le sud de la France. Les graines du printemps et de l’été germent à l’automne après les pluies. Les plantent passent l’hiver à l’état de rosettes. Environ 30% des rosettes survivent et fleurissent au printemps suivant et 11% survivent mais ne fleurissent pas au printemps suivant, et sont donc potentiellement bisannuelles (Dubois 2005). Lorsqu’elle fleurit, elle peut produire une à plusieurs dizaines d’inflorescences avec des fleurs blanches ou légèrement rosées (Figure 7). Elle produit des silliques en forme de cœur. Les graines n’ont pas de structures de dispersion et tombent sur le sol. En revanche, des inflorescences sèches sont parfois retrouvées à plusieurs mètres des plantes, ce qui suggère qu’une fois sèches, elles peuvent se casser et être dispersées par le vent (Rileys 1956 et observations personnelles).
Table des matières
Introduction
Préambule
I. Conséquences de l’autofécondation sur la sélection, la dérive et les flux de gènes
Augmentation de l’homozygotie
Diminution de la taille efficace de la population
Effet sur les traits quantitatifs
L’autofécondation comme mécanisme d’isolement reproducteur
L’autofécondation, un cul-de-sac évolutif ?
II. Variation du système de reproduction
Autant de modes de reproduction que d’espèces ?
Variation du taux d’autofécondation
III. Portrait-robot de Noccaea caerulescens
Une systématique du genre compliquée
Histoire récente de l’espèce
Caryotype de Noccaea caerulescens
Un système de reproduction mixte
Bases physiologiques de la tolérance et de l’hyper accumulation
Tolérance aux éléments traces
Hyperaccumulation d’éléments traces
Plan de la thèse
Bibliographie
Chapitre 1 Contributors
Chapitre 2
Abstract
Introduction
Material & Methods
Species
Studied sites
Methods used to estimate self-fertilization rates
Sampling
Microsatellite genotyping
Statistical analysis
Results
Saint Bresson
Saint Hippolyte
Discussion
Bibliography
Contributors
Appendix
Chapitre 3
Abstract
Introduction
Variation among environments
Historical effects
Material & Methods
Experiment
Statistical analysis
Results
Metallicolous plants have higher tolerance for Zn toxicity
Limited inbreeding depression in Noccaea caerulescens
Inbreeding depression does not depend on local adaptation to the test environment.
In general, inbreeding depression does not depend on soil toxicity
Inbreeding depression sometimes depends on ecotype
Does inbreeding depression depend on stress or CV?
Discussion
Adaptation of metallicolous plants to contaminated soil
Small to moderate inbreeding depression
Inbreeding depression and adaptation to the test environment
Inbreeding depression and toxicity
Inbreeding depression and ecotype
Perspectives
Conclusion
Bibliographie
Contributors
Appendix
Synthèse et perspectives
To self or not to self?
Structure génétique
Taille efficace
Dépression de consanguinité
Conclusion générale
Bibliographie
Remerciements
ANNEXE