Aux origines du neurchi Kaamelott, un patrimoine
Peu de mythes, depuis les premiers balbutiements de l’écriture jusqu’à nos jours, peuvent se flatter d’avoir aussi vastement marqué de leur empreinte la culture occidentale que le mythe du bon Roi Arthur, des chevaliers de la Table ronde et de la quête du Graal. Parmi tous ses héritiers, la série Kaamelott semble, de toute évidence, se démarquer et s’imposer comme un relai majeur de ce patrimoine culturel millénaire. Profondément enracinée dans l’univers arthurien, la série d’Alexandre Astier forge son identité, avant tout, dans une matière de Bretagne dont elle n’hésite pas à reprendre les codes pour se les réapproprier. À la différence de ses aînées l’Iliade, l’Odyssée, Beowulf ou encore l’Épopée de Gilgamesh, par l’étonnante pluralité des textes canoniques qui le composent. Et pour cause, depuis le XIIème siècle et l’émergence de la légende arthurienne sous les plumes de Geoffroy de Montmouth et de Chrétien de Troyes, ce qu’on appelle communément la « Matière de Bretagne » s’est progressivement construite au gré de multiples réécritures, dont l’une des plus célèbres n’est autre que Le Morte d’Arthur de Thomas Mallory publié en 1485 par William Caxton20. Au total, ce sont plusieurs centaines d’œuvres qui ont, tous médias confondus, contribué à étoffer l’immense palimpseste qu’est la Matière de Bretagne telle que nous la connaissons.
À ce titre, le choix du mot « matière » trouve pleinement son sens comme sa légitimité. Inspirateur et protéiforme, le mythe d’Arthur s’est finalement révélé comme une source plutôt qu’un grand Œuvre parfaitement unifié; comme un patrimoine collaboratif destiné à se perpétuer dans la réinvention que les auteurs qui ont eu l’ambition de s’en emparer ont su lui apporter. La série Kaamelott n’y fait pas exception, que ce soit par son titre, évoquant directement le légendaire château d’Arthur, ou par sa trame qui nous retrace la quête du Graal, de la jeunesse du roi légendaire à sa lutte pour reprendre le pouvoir des mains d’un félon. Pour ce qui est de l’univers Le Goaziou M2 chevaleresque, presque chaque scène s’en fait l’écho, Astier mettant en images ses chevaliers en armes, que ce soit face à des dragons ou dans leur quête d’indices conduisant au Graal. Il ne s’agit d’ailleurs pas du seul trait majeur du roman de chevalerie convoqué ici. Certaines idylles, à l’image de celle liant les personnages d’Angharad et de Perceval dont la chasteté extrême est source de comique21, ou scènes, telles que le passage beaucoup plus grave de la délivrance de Guenièvre par faisant la part belle à d’autres seigneurs moins connus du grand public, Karadoc et Bohort en tête. En plus de poursuivre le mythe et son héritage, la série en vient même à en réhabiliter des aspects entiers, souvent perdus au fil des siècles et des réécritures.
Outre les thèmes et personnages, la série se plaît également à suivre la structure même du mythe arthurien. Dans leur ouvrage Kaamelott : Un livre d’histoire25, Florian Besson et Justine Breton relèvent un parallélisme surprenant mais non moins éclairant : alors que le premier épisode de la série s’ouvre sur Karadoc s’exclamant « Il commence à faire faim », le dernier épisode du livre VI, se termine quant à lui sur l’annonce « bientôt Arthur sera de nouveau un héros ». Prenant le mot « faim » par homophonie (« fin »), les auteurs voient dans ce cycle inversé du renouveau un écho direct au « ici recommence novelle » des légendes arthuriennes. Le dessein d’Astier est donc, comme il le souligne lui-même, de puiser dans ce matériau littéraire pour construire son œuvre dans la (plus ou moins) droite ligne de la tradition arthurienne : « J’ai toujours souhaité avec la geste arthurienne, m’adresser à tous pour ce qu’on en sait : le triangle amoureux, l’épée dans le rocher, la Table Ronde, le fait que les gens autour de la Table cependant une tonalité résolument plus dramatico-poétique tout en situant leur récit dans la temporalité plus fantasmée du Moyen-Âge des romans de chevalerie traditionnels.
Au contraire, si Astier négocie volontiers avec la tradition pour mieux la réhabiliter, ce dernier favorise un ancrage plus fidèle sur le plan historique, conjuguant ainsi patrimoine culturel et patrimoine historique. Cependant, précisons-le, Kaamelott tire sa pertinence historique bien davantage d’une approche contextuelle que d’une exposition factuelle détaillée. Si l’intrigue se situe au Vème siècle et s’avère être contemporaine de la chute de l’Empire romain, aucune date précise ne nous est fournie avant le premier volet cinématographique situé en l’an 484 de notre ère. De même, certaines figures comme celles de l’empereur César sont davantage archétypales qu’historiques. Toutefois, c’est en dépeignant le quotidien aussi bien guerrier que domestique que la série cherche à se distinguer. Bien que, pour des raisons aussi comiques que budgétaires, les confrontations guerrières soient constamment présentées hors champ, il n’en demeure pas moins que scènes de batailles, tournois ou encore entraînements à l’épée émaillent la série tout au long de ses saisons. On retiendra ainsi la mention régulière des menaces saxonnes et vikings qui font directement écho au contexte historique et politique de l’époque35.