AUTOUR DU CONCEPT DE FRACTION À l’ECOLE
PRIMAIRE EN FRANCE
Questions autour de l’enseignement de la notion de fraction
Dans ce chapitre, nous allons tout d’abord aborder un rappel historique de l’enseignement des fractions à l’école élémentaire en France de 1882 jusqu’à nos jours. Ensuite, nous allons présenter les compétences mathématiques nécessaires aux fractions. Puis, nous allons mettre en évidence les divers travaux théoriques concernant les significations attribuées aux termes « nombre rationnel », « fraction ». Enfin, Nous allons expliquer en quoi consiste chacune de ces significations.
Rappel succinct de l’enseignement des fractions à l’école élémentaire en France, d’hier à aujourd’hui
Nous avons, en premier lieu, décidé de nous consacrer aux programmes et à leurs évolutions. En effet, il nous est paru primordial de comprendre comment ont été enseignées les fractions au fil des années afin de voir quels étaient les enjeux de ces enseignements et ainsi les mettre en lien avec les objectifs des manuels. Pour cela, nous avons lu et analysé les programmes de 1882 à nos jours, en ne prenant en compte que les mathématiques au cycle 3 et plus précisément les parties portant sur les fractions dispensées en CM1 et CM2.
Les programmes de 1882 jusqu’à 1945
En ce qui concerne les programmes de 1882, nous trouvons les notions de fractions simples, fractions décimales mais il n’est pas précisé que les fractions doivent être vues en lien avec le système métrique. 112 Les arrêtés des 18 janvier 1887, 8 août 1890, 4 janvier 1894, 17 et 20 septembre 1898 et 7 juillet 1909, stipulaient une étude des dix premiers nombres et des expressions demi, moitié, tiers, quart en section enfantine et consacraient deux chapitre à l’apprentissage des fractions en cours moyen, l’un, sur « l’idée général des fractions », le deuxième sur les « fractions décimales ». L’approche de la notion de fraction s’appuie essentiellement sur la conception véhiculée par le langage courant. La définition de la fraction repose sur le concept de quantité fractionnaire. Ce ne sont pas seulement des nombres ou des opérations sur les nombres dont il s’agit, mais avant tout, des partages de grandeurs correspondant à l’usage courant. Ainsi l’utilisation des nombres fractionnaires est une particularité de l’enseignement des fractions du début du 20ème siècle et celui-ci correspond à l’usage des fractions dans la vie courante. (Christiaens, 1995). Les instructions du 20 juin 1923 soulignaient qu’il est plus aisé d’effectuer des opérations avec des nombres décimaux qu’avec des nombres fractionnaires. La base 10 étant prioritaire dans l’apprentissage de la numération, la fraction, comme nombre exprimant la mesure d’une quantité, est déclassée au profit des nombres décimaux. L’étude des fractions dites ordinaires est cependant maintenue, ainsi que les exercices de réduction au même dénominateur, d’addition et de soustraction.
Les programmes et instructions de 1945
Les fractions sont introduites séparément faisant suite à l’étude des nombres décimaux. Au programme du CM, il y a peu de calculs sur les fractions, mais simplement sur le produit d’une fraction par un entier, la somme de deux fractions simples, la comparaison de deux fractions simples. Au 17 octobre 1945, un arrêté ministériel indique l’importance des nombres décimaux au détriment des fractions. Les instructions relatives au cours moyen débutent par l’étude des nombres décimaux, en liaison avec les unités théoriques et pratiques de monnaies, de longueur, de distance, de poids et de capacité, étude renforcée par l’usage et la pratique des quatre opérateurs sur les décimaux. La règle de trois et les pourcentages sont envisagés avant la fraction dont l’apprentissage se résume à une approche très limitée : fractions très simples de grandeur demi (1/2), tiers (1/3), quart (1/4), cinquième (1/5), dixième (1/10), soixantième (1/60). Calcul d’une fraction d’une grandeur et problème inverse. Additionner, soustraire des fractions dans des problèmes très simples. L’étude des fractions est reportée car elles sont considérées comme des opérateurs abstraits : prendre les quatre-cinquièmes d’une grandeur, c’est partager cette grandeur en cinq parties égales et prendre quatre de ces parties. Les 113 instructions du 7 décembre 1945 stipulaient que l’addition et la soustraction des fractions doivent être étudiées dans des cas numériques très simples et sur des problèmes pratiques. Les maîtres se rendront vite compte qu’avec nos habitudes actuelles, ces problèmes pratiques sont de plus en plus rares.
Les programmes et instructions de 1970
A partir de 1970, les mathématiques modernes apparaissent : la compréhension des notions mathématiques prévale sur la technique et l’utilisation de ces notions. En effet, en ce qui concerne les fractions, les enfants doivent comprendre ce que représentent les fractions et non simplement savoir s’en servir. Ainsi on voit apparaître, dans les programmes, les fractions opérateurs. Nous pouvons remarquer notamment que le produit de deux fractions doit être vu au cycle 3 en 1970 alors qu’actuellement seule l’addition et la soustraction y sont travaillées. D’autre part, il nous faut souligner que les nombres décimaux sont amenés par un changement d’unité et non en lien avec les fractions décimales. Sous la rubrique nombres et opérations nous étudions d’abord les fractions comme opérateurs avant d’aborder les décimaux. Pour arriver jusqu’à l’écriture fractionnaire, un long temps d’étude est proposé sur les opérateurs – additionner a, soustraire b, multiplier par c, diviser par d – qui associent les nombres d’une liste à ceux d’une autre dans une relation numérique donnée. Dans ces programmes, il n’y a plus aucune relation entre fractions et décimaux.
Les programmes et instructions de 1980
Après le travail sur les nombres naturels initié au CP, développés au CE et repris au CM, il s’agit d’aborder les décimaux et les fractions en faisant prendre conscience que lors de situations appropriées les naturels sont insuffisants et ainsi, de nouveaux nombres sont nécessaires pour étendre le domaine du calcul. La partie instructions pédagogiques précise les situations dans lesquelles les naturels sont insuffisants : – dans N, les fonctions retrancher et diviser ne sont pas partout définies, l’extension de leur domaine de validité nécessite l’introduction des entiers négatifs et des nombres rationnels – si nous voulons exprimer la longueur d’un objet donné à l’aide d’une unité choisie arbitrairement, les nombres naturels s’avèrent insuffisants dans la plupart des cas 114 – si nous représentons les nombres naturels sur une droite graduée, il existe des points non repérés entre deux graduations correspondantes à deux entiers successifs. Se pose alors le problème du repérage de ces points intermédiaires. – dans certaines situations de partage, nous sommes également rapidement confrontés à l’insuffisance des nombres naturels. Par exemple, comment exprimer la longueur obtenue en partageant exactement en 3 une bande de longueur 2 ? De là, il ressort que de nouveaux nombres, de nouvelles notations sont nécessaires, fractions et décimaux doivent être introduits pour répondre aux questions soulevées par cet ensemble de situations. Le travail du CM concerne principalement les nombres décimaux mais les élèves doivent aussi connaître un certain nombre de fractions simples, en saisir leur signification et savoir les situer par rapport aux nombres décimaux. C’est à partir des programmes de 1980 que nous voyons les décimaux abordés comme de nouveaux nombres, en lien avec les fractions. Cependant, il n’est pas réellement précisé dans quel ordre aborder ces deux notions fractions et décimaux. Il est simplement noté qu’il faudrait lier ces deux notions en passant d’une écriture à l’autre. 2.1.5. La circulaire de 1991 sur les cycles et les programmes de 1995 Le texte de 1991 limite l’approche des fractions dites simples demi, tiers, quart et des fractions décimales. Fractions et décimaux servent à exprimer le résultat d’une mesure, d’un partage. Ils permettent de repérer les points d’une droite. Le programme de 1995 ne modifie en rien le texte de 1991. Ces deux programmes se rejoignent fortement dans la manière de présenter les fractions simples et décimales afin d’introduire les nombres décimaux par des étapes clés.
Les programmes et instructions de 2002 et de 2007
Les fractions sont introduites à partir de leur sens usuel, c’est-à-dire par le partage d’une unité. Les programmes de l’école primaire publiés en 2002, puis en 2007, donnaient des indications précises concernant l’organisation de l’étude des fractions, à savoir : « Au cycle 3, les élèves mettent en place une première maîtrise des fractions et des nombres décimaux : […] leur étude sera poursuivre au collège. Les fractions et les nombres décimaux doivent d’abord apparaître comme de nouveaux nombres, utiles pour résoudre des problèmes que les nombres entiers ne permettent pas de résoudre de façon satisfaisante : problèmes de partage, de mesure de longueur ou d’aire, de repérage d’un point sur une droite graduée. Les fractions sont 115 essentiellement introduites, au cycle 3, pour donner du sens aux nombres décimales » (Programme de l’école primaire, cycle des approfondissements, BO n° 5 du 12 avril 2007, p.137). L’apprentissage des fractions doit avoir lieu avant celui des nombres décimaux. « En dehors de la connaissance des fractions d’usage courant, le travail sur les fractions est essentiellement destiné à donner du sens aux nombres décimaux envisagés comme fractions décimales ou sommes de fractions décimales (fractions de dénominateurs 10, 100, 1000 …) » (BO n° 1 du 14 février 2002).
Les programmes et instructions de 2008
Dans les nouveaux programmes de 2008, la partie qui s’intéresse aux fractions et qui s’intitule Mathématiques, précise les indications suivantes : « Fractions simples et décimales : écriture, encadrement entre deux nombres entiers consécutifs, écriture comme somme d’un entier et d’une fraction inférieure à 1, somme de deux fractions de même dénominateur » (Horaires et programmes d’enseignement de l’école primaire, BO hors-série n° 3 du 19 juin 2008). Dans le texte des programmes de l’école primaire publiés en 2008, les contenus à enseigner sur les fractions sont cités avant ceux concernant les décimaux ; néanmoins, aucune précision n’est donnée tant en ce qui concerne l’articulation de l’étude de ces deux termes que leur motivation. Dans ce document, il n’est fait référence qu’à des fractions simples : demi, tiers, quart, et les contenus qui doivent être étudiés à leur sujet ne différent pas de ceux attendus jusqu’à lors. En effet, au niveau des Instructions Officielles de cette année-là, les fractions sont amenées, à juste titre, au CM1 et sont approfondies au CM2. Il s’agit surtout de savoir associer une fraction à une représentation d’un partage, d’encadrer une fraction entre deux nombres entiers, de décomposer une fraction en une somme d’entier et de fraction inférieure à 1 ainsi que d’ajouter deux fractions de même dénominateur. En somme, les fractions au cycle 3 ne sont pas amenées simplement pour donner du sens aux nombres décimaux mais elles sont travaillées et approfondies comme de nouveaux nombres. Pour terminer sur cet aspect, il nous a paru judicieux, en travaillant sur l’évolution des programmes, d’analyser également les programmes actuels du collège classe de 6ème afin d’évaluer la continuité de ces apprentissages. Les instructions officielles de 6ème concernant les fractions sont en continuité avec celles du cycle 3, notamment en ce qui concerne l’équivalence entre les fractions représentant une partition de la pluralité et celles représentant 116 un fractionnement de l’unité. Par ailleurs, il est clairement indiqué, à propos du programme de cycle 3, qu’il ne sera pas repris à zéro mais au contraire considéré comme acquis. 2.2. Enseignement des fractions à l’école élémentaire en France Dans le système scolaire français, l’apprentissage et l’enseignement des fractions s’échelonnent sur plusieurs années scolaires. Même si les fractions sont déjà présentes, chez les plus jeunes, dans le sens le plus immédiat de la moitié d’une pomme ou du tiers d’une barre de chocolat, elles commencent à être enseignées pleinement au cycle III de l’école primaire, surtout en CM1 et CM2. Il semble intéressant de nous interroger sur l’intérêt que présente l’enseignement des fractions à l’école primaire, en effet, le but d’enseigner cette notion à ce stade scolaire est d’amener les élèves à résoudre des problèmes variés portant sur les fractions. Selon Dienes (1971), l’enfant rencontre l’idée de demi, de quart, de tiers ou de trois quarts, mais ne rencontre pas d’autres fractions avec la même fréquence. De plus, les tâches et les exercices mathématiques susceptibles de les familiariser avec les propriétés des fractions ne se trouvent pas dans son environnement immédiat. Par conséquent, c’est à l’école qu’il appartient de les lui fournir. L’enseignement systématique des opérations arithmétiques liées à la fraction est complété au cours de la première année du secondaire. L’enseignement des fractions est fréquemment introduit à l’école primaire comme une idée de partie-tout. Le partage équitable d’une quantité, les présentations des idées de parties et de tout ainsi que l’application du vocabulaire pour les fractions propres (a/b, a < b) et leur écriture, sont les premières notions abordées avec les élèves de ce niveau. L’enseignant leur demande, par exemple, de trouver la fraction représentée par une partie donnée et d’ordonner des fractions d’un même tout. Cette stratégie pédagogique, idée de partie-tout, induit certains obstacles car les situations ne font toujours pas sens pour les élèves. Il s’agit, dans la plupart des cas, des situations présentées par des figures représentant un tout qui doit être divisé en parties équitables. Dans ce contexte, nous demandons souvent de colorier certaines de ces parties qui vont représenter le numérateur, en représentant le dénominateur par le nombre de parties dans lequel le tout a été divisé. À l’école primaire, l’écriture classique des fractions est entendue comme deux nombres qui se superposent et qui sont divisés par un segment de droite. Cette représentation d’un nombre déstabilise les schèmes habituels des élèves, mais aussi ceux des certains enseignant(e)s. Face à cette déstabilisation, l’enseignant(e) peut proposer des situations nouvelles d’essayage et de défis ou rester dans la stabilité d’un niveau de conceptualisation moins élevé (Medeiros de Araujo Frutuoso, 2009). 117 Nous pourrions aller jusqu’à dire que la première approche universelle de l’enseignement des fractions, est celle de prendre un objet concret de référence considéré comme l’unité qui devrait avoir les exigences suivantes : – être perçu comme agréable et donc comme un plaisir, – clairement unitaire, – déjà familier, ce qui ne nécessite pas d’apprentissage supplémentaires (Fandiño Pinilla, 2007). Habituellement, un gâteau rond ou une pizza sont choisis dans presque tous les pays du monde, ces deux objets ont les exigences ci-dessus. Dans ces situations imaginées d’enseignement, cette unité, donnée par un gâteau, une pizza ou des objets similaires, doit être partagée entre un nombre d’élèves ou des gens en général. De cette façon, les élèves arrivent à l’idée d’un demi en divisant par 2, un tiers en divisant par 3 etc. Les fractions unitaires sont les premiers exemples des fractions auxquelles sont confrontés les élèves ; en effet, pour chacune de ces fractions spécifiques, des formes écrites sont établies. Pour les cas ci-dessus, ce sont 1/2 et 1/3, et la lecture de ces formes comme un demi et un tiers pose quelques problèmes. De plus, nous pouvons généraliser cette forme en écrivant le symbole 1/n qui signifie qu’un objet initial unitaire est divisé en n parties égales. Avec les jeunes élèves, divers exemples sont considérés, en attribuant des valeurs différentes appropriées à n (Fandiño Pinilla, 2007). De plus, dans le texte des programmes de 2008 il n’est fait référence qu’à des fractions simples : demi, tiers, quart. Nous allons présenter ici les différentes connaissances concernant les fractions dans les trois cycles composées de l’école primaire en France : Au premier cycle de l’école primaire, aucune connaissance sur les fractions n’est exigée, mais nous trouvons des connaissances sur les grandeurs et les mesures. En manipulant des objets variés, les élèves repèrent d’abord des propriétés simples petit ou grand, lourd ou léger. Progressivement, ils parviennent à distinguer plusieurs critères, à comparer, à classer et à ranger des objets selon leur forme, leur taille, leur masse ou leur contenance. Au cycle deux, aucune connaissance sur les fractions n’est demandée, mais nous trouvons des indications sur les grandeurs et les mesures, « les élèves apprennent et comparent les unités usuelles de longueur (m et cm ; km et m), de masse (kg et g), de contenance (litre), de temps (heure, demi-heure) ainsi que la monnaie (euro, centime d’euro). Ils commencent à résoudre des problèmes portant sur des longueurs, des masses, des durées 118 ou des prix. » (Horaires et programmes d’enseignement de l’école primaire, BO hors-série n° 3 du 19 juin 2008). Au cycle trois, l’exploration des opérations sur les fractions, à l’aide d’un matériel concret, est à l’étude. Les élèves commencent à additionner et à soustraire des fractions dont le dénominateur d’une fraction est un multiple du dénominateur de l’autre fraction, et à multiplier des fractions par des nombres naturels. Ils doivent savoir ordonner les fractions et savoir, aussi, comment les simplifier. Pour l’enseignement des fractions, il est recommandé de s’appuyer sur des situations et des objets concrets pour plus d’efficacité. Selon Burns (2000) : « Quand on enseigne les fractions aux élèves, l’enseignant doit s’appuyer sur des expériences antérieures de l’élève en fournissant de nombreuses opportunités pour les élèves à utiliser la terminologie fractionnaire, apprendre à représenter des fractions et donner des différents sens de la fraction tout au long de l’année scolaire. Les élèves devraient travailler avec des fractions en utilisant des objets concrets tels que des matériels de manipulation et dans un contexte de la vie courante avant de travailler avec des représentations symboliques telles que les images » (p. 223). De plus, il est important pour les élèves, à l’intérieur d’un même groupe classe, d’avoir accès à une variété de façons d’appréhender les fractions de sorte que tous les styles d’apprentissage soient considérés. L’enseignant doit pouvoir fournir l’occasion d’un apprentissage des fractions à l’aide de matériel concret, d’une perspective géométrique, avec une concentration numérique et de rendre les questions applicables à des situations réelles afin d’améliorer leur compréhension des concepts.
Résumé |