Autour des standards, la vie des objets textuels
Ajustement aux standards Les standards désignent ici les documents aux contraintes formelles récurrentes et identifiées comme telles par les acteurs. La nature des documents et les modalités de leur circulation font l’objet de contractualisation avec les tutelles (ANR et IFB)150 et, a fortiori, de discussion collective au sein des projets étudiés. Quelles pratiques les chercheurs mettent-ils en œuvre à l’égard de ces standards ? L’analyse portera davantage sur le projet Inbioprocess qui correspond au niveau auquel s’observent de manière privilégiée le rapport à différents publics et les tensions entre différentes formes de valorisation.
Des formats synthétiques : un souci des publics ?
Dans une perspective de transfert et d’évaluation des résultats, les documents de valorisation exigés au sein de DIVA et d’Inbioprocess sont des formats relativement synthétiques : le nombre de page de ces résumés, fiches ou rapports sont spécifiés. Certains objets textuels tels que les rapports font l’objet de fortes prescriptions de la part des instances de programmation alors que les formes d’autres documents tels que les délivrables sont laissés à la charge des chercheurs. Comment expliquer ces choix ? Dans le cas de DIVA, le rapport final se décline en trois formats dont les « instructions pour le rapport final » expliquent précisément les attentes : « Le rapport final se composera donc de trois documents distincts : -Un résumé d’une page -Un rapport scientifique de 25 pages de texte maximum -Un « 8 pages » de présentation des résultats de la recherche » (souligné dans le texte) Cette triple déclinaison d’un même contenu selon des formats plus ou moins synthétiques témoigne d’une volonté de diversifier les modalités de circulation auprès de différents publics. Le rapport long est destiné aux comités scientifiques et au comité d’orientation pour l’évaluation finale. Les instructions le concernant précisent le nombre de pages au sein de chaque partie : deux pages pour les objectifs, deux pages pour les méthodes, quinze pages pour les résultats, une page pour les conclusions. L’accent est particulièrement mis sur les résultats, le public (représentants de Ministères et d’organismes présents dans le comité d’orientation, et les chercheurs de la commission scientifique) a suivi les projets sur les quatre années par le biais des séminaires et du rapport mi-parcours. Ils attendent alors des résultats « utiles » des recherches financées. En effet, par ouï-dire je comprends que tel projet n’a pas plu ou que le rapport de tel autre a dû être complètement réécrit car il ne correspondait pas aux attentes du comité d’orientation. Le résumé d’une page est destiné à être mis en ligne sur le site du programme. Il constitue une première forme de valorisation du programme dont le site, fort des différents résultats des éditions successives de DIVA (1, 2 et 3 en cours), vise à mutualiser les apports. Pour une partie d’entre eux, ils seront également repris dans la revue de presse à l’occasion du colloque de restitution du programme. Ces résumés indiquent la problématique, les méthodes et résultats mais aussi les partenaires locaux impliqués afin d’afficher l’originalité du programme. Enfin, le « 8 pages » est distribué, sous forme de fascicule, lors du colloque de restitution du programme à Rennes. Ce format intermédiaire insiste également sur les résultats puisqu’il est destiné aux « acteurs et utilisateurs potentiels » des recherches. Ce format A4 d’une cinquantaine de pages, en couleurs avec quelques photographies, comprend également trois textes transversaux : une synthèse des résultats (Baudry et Bardy), un point sur l’animation transverale (Emprin et Cattan) et l’autre sur le fonctionnement du programme (Baudry, Emprin, Cattan, Peeters, Bardy), ainsi qu’un point sur les instances et actions d’animation du programme. Ainsi, le document pourra rendre compte du programme dans sa globalité. Les formats synthétiques sont ajustés à des publics et à des situations de circulation des résultats : le résumé est voué à une large médiatisation par le site Internet et la conférence de rédaction ; le huit pages cible un public concerné d’une manière ou d’une autre par le programme et propose un format que les invités du colloque de restitution vont pouvoir consulter puis conserver ; enfin les rapports longs ne circulent qu’entre membres du programme, ils sont les supports de l’évaluation mais aussi de l’appropriation des recherches par les membres des comités. Cependant, ces documents ne sont jamais cités par les chercheurs des projets eux-mêmes lorsqu’il est question de leur lien à l’action publique. Ils évoquent plutôt les publications dans des revues dites de « transfert » (« Fourrages », « espaces naturels », « Le courrier de l’environnement »), ou des documents spécifiquement produits à l’intention des partenaires de la recherche. Le souci du public, s’il est porté par les tutelles du programme, s’exprime également au niveau de chaque projet et localement dans les rapports avec les partenaires. Dans le cas d’Inbioprocess, les documents synthétiques (rapports et délivrables) rythment complètement l’activité de recherche puisqu’ils déterminent les dates des réunions du comité technique et du comité de pilotage. Le coordinateur est en charge d’un rapport semestriel, très court, qu’il constitue à partir d’un rapport interne auquel contribuent une grande partie des chercheurs du projet. Ce processus de synthèse devient un acte presque automatisé, sans figure de destinataire explicite, qui ne demande pas à être motivé ou justifié autrement que par le dispositif lui-même. Le résultat est d’ailleurs désigné par les chercheurs, en l’occurrence le coordinateur, comme extrêmement lissé : « Ça c’est le rapport long. Et j’en fais un rapport court, de trois pages que 242 je communique à l’ANR. Et là il est extrêmement lissé ! Il y a une demande de : quels étaient les objectifs ? Qu’est-ce qui a été atteint ? Enfin je ne mens pas, je ne mens pas ! Mais en trois pages on ne peut que lisser les choses, donc il y a pleins de détails qui giclent. En fait, je garde les gros trucs qui ont marché, et les gros trucs où il y a un problème, parce que cacher un gros truc à problème ça ne sert à rien, ça va émerger forcément. Je les mets bien en évidence, par exemple que la tâche B est très en retard. »
Inbioprocess : standardisation incomplète et exigences contradictoires
Les membres d’Inbioprocess manipulent différents formats de valorisation (publications, rapports, fiches techniques, délivrables) en fonction de leurs statuts et de leurs places dans le projet : les jeunes chercheurs interviennent principalement sur les publications, les responsables d’action sur les documents de gestion et de planification, et le coordinateur finalise les documents à destination des publics non-chercheurs (chapitre III). La standardisation de la communication est incomplète puisque ces formats répondent à différents critères et modalités de diffusion renvoyant à différents espaces de communication. Les différentes normes peuvent entrer en conflit : un même ensemble de résultats ne peut pas aisément prendre la forme simultanément d’une publication, d’une fiche technique, d’une procédure de brevetage et d’un délivrable. L’articulation des contraintes des formats et supports est alors discutée lors des réunions. Le statut du modèle et de son logiciel à destination des utilisateurs, n’a pas été anticipé et va faire l’objet d’une discussion quant aux différentes possibilités de valorisation qu’il offre : Pierre : ça ce n’est pas disponible dans le commerce, il n’y a aucune boîte qui fabrique ça… Alexandre : oui la sienne [Désignant Michaël] Juliette : c’est MAD environnement Pierre : tu vas le commercialiser ? Michaël : ah non, non, ça c’est à vous. Moi dans le truc ANR je l’ai vendu, je n’ai aucun droit. Alexandre : on a fait signer la décharge de copyright quand même Juliette : ça appartient à l’ANR Michaël : ça appartient à l’ANR, après vous pouvez en faire ce que vous voulez, sauf en faire une utilisation commerciale Pierre : on l’a mis dans les délivrables ? Michaël : non parce que ce n’était pas prévu au départ (…) Pierre : qu’est-ce qui faut qu’on fasse, il faut qu’on le brevette, il faut qu’on fasse quoi ? Vincent : non c’est un freeware, c’est un logiciel gratuit Juliette : on peut le mettre en open source Françoise : il faut le mettre sur le site de l’ANR ! Juliette : il faut le mettre en open source Françoise : ou du projet Etienne : il faut le valoriser, même par publication Chris : ou le vendre sous forme de publication Michaël : si vous en faites la pub, après la communauté vient le télécharger Chris : voilà, on publie et après on le met en téléchargement sur le site, après publication. » CT juin 2009