Autisme, sillon temporal supérieur (STS) et perception sociale : études en imagerie cérébrale et en TMS
L’AUTISME
L’autisme a été décrit pour la première fois par le pédopsychiatre Leo Kanner en 1943 (Kanner, 1943) sur la base de l’observation clinique de 11 cas d’enfants ayant « une incapacité à établir une relation ordinaire avec les gens et les situations, depuis le début de leur vie ». Lors de ses premières descriptions de l’autisme, Kanner a insisté sur le caractère inné de ce tableau clinique, appelé désormais autisme infantile précoce. Ce terme a été emprunté à Bleuler, qui l’avait utilisé pour décrire les symptômes de « repli sur soi », observés dans la schizophrénie. Kanner a caractérisé l’autisme notamment par un isolement extrême (aloneness) et par un besoin d’immutabilité (sameness) (Kanner, 1943). Parallèlement, en 1944, le psychiatre autrichien Hans Asperger a décrit des troubles du comportement chez des enfants qui, malgré un développement typique de l’intelligence et du langage, présentaient une déficience marquée dans les interactions sociales (Asperger, 1944). Asperger a appelé ce trouble psychopathie autistique. L’Autriche étant alors au cœur de la Seconde Guerre mondiale, les travaux de Hans Asperger sont restés méconnus jusqu’en 1981, date à laquelle Lorna Wing, une pédopsychiatre anglaise, les a réactualisés en proposant la définition du syndrome d’Asperger. Les principales différences cliniques entre le syndrome d’Asperger et l’autisme classique, sont une absence de retard dans le développement du langage, ainsi qu’un niveau cognitif normal, voir supérieur à la norme (Wing, 1981). Le diagnostic de syndrome d’Asperger a été reconnu dans le Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders-IV (DSM-IV) en 1994 (APA, 1994).
L’EVOLUTION DES CRITERES DIAGNOSTIQUES
Dans les deux premières versions du DSM (APA, 1952 ; 1968), l’autisme n’était pas considéré comme une pathologie en soi, mais plutôt comme une forme sévère de schizophrénie infantile, conformément aux définitions de l’époque. Ce n’est qu’en 1980, avec la publication du DSMIII, qu’on trouve pour la première fois le concept de trouble envahissant du développement (TED), qui englobait l’autisme infantile, le « trouble envahissant du développement débutant dans l’enfance » (lorsque les symptômes apparaissent entre l’âge de 30 mois et 12 ans) et le trouble envahissant du développement atypique (Waterhouse et al., 1992). Le diagnostic de l’autisme reposait donc sur une série de critères cliniques, qui devaient être présents avant l’âge de 3 ans (voir tableau 1). En 1987, avec la publication de la version du DSM-III révisé (DSM-III-R) (APA, 1987) deux diagnostics composaient les troubles envahissants du développement : le trouble autistique et les troubles envahissants du développement non spécifiés (PDD-NOS). L’autisme était caractérisé par trois groupes de symptômes, qui devaient survenir avant l’âge de 3 ans : l’altération qualitative des interactions sociales, les troubles de la communication verbale et non verbale et un comportement répétitif et stéréotypé. Suite à la publication en 1994 du DSM-IV, les TED ont changé d’axe et n’étaient plus considérés comme un trouble de personnalité ou une déficience intellectuelle (axe II), mais plutôt comme un trouble clinique (axe III), regroupant cinq pathologies : le trouble autistique, le syndrome d’Asperger, les TED non spécifiques (y compris l’autisme atypique), le syndrome de Rett et le désordre désintégratif de l’enfance. Dans les versions IV et IV-R du DSM les 18 critères diagnostics de l’autisme restent les mêmes, caractérisés par la même triade de symptômes décrite dans le DSM-III (tableau 1). L’intensité, la fréquence et la sévérité des manifestations symptomatologiques qui caractérisent l’autisme peuvent être extrêmement variées, ce qui a amené à la notion d’un continuum autistique (Wing, 1988). La notion de troubles du spectre autistique a été introduite en 1988 ; alors que Lorna Wing a soulevé la discussion sur l’existence d’un continuum autistique, Doris Allen propose pour la première fois le concept de spectre dans Autistic spectrum disorders: clinical presentation in preschool children (Allen, 1988). Le DSM dans sa cinquième version (DSM-V), publié en 2013, prend en compte cette notion et remplace la définition d’autisme par celle de troubles du spectre de l’autisme (TSA). Les TSA regroupent dans un même diagnostic les catégories précédemment distinctes de trouble autistique, syndrome d’Asperger et les TED non spécifiques (y compris l’autisme atypique). Contrairement aux versions précédentes, dans le DSM-V (APA, 2013) nous ne retrouvons plus la triade de symptômes qui a constitué la base du diagnostic de l’autisme. Les critères diagnostiques des TSA comprennent deux grands groupes de symptômes : 1) des déficits persistants de la communication sociale et des interactions sociales dans plusieurs contextes et 2) l’existence de patterns de comportements, d’intérêts et d’activités restreints et répétitifs (tableau 1). Les symptômes doivent être présents dans la petite enfance et doivent entraîner des limitations cliniquement significatives dans le domaine social, celui des occupations ou d’autres sphères du fonctionnement dans la vie quotidienne. Ces difficultés ne peuvent pas être expliquées par la déficience intellectuelle ou un grave retard de développement. On note que les symptômes liés aux anomalies du langage ne font plus partie des critères diagnostiques pour 19 les TSA et font désormais l’objet d’un diagnostic distinct de trouble de la communication sociale. Ce diagnostic s’applique aux personnes qui ont des troubles de communication sociale verbale et non verbale, entraînant des limitations dans la participation sociale et la réussite scolaire ou la performance au travail, mais qui ne présentent pas les comportements stéréotypés ou répétitifs et les intérêts restreints caractéristiques de l’autisme.
LA DESCRIPTION CLINIQUE DE L’AUTISME
Classiquement, l’autisme se manifeste par une difficulté de rentrer en relation avec autrui. Cette difficulté peut se manifester très tôt dans le développement de l’enfant, au cours des premiers mois de sa vie. En effet, les parents décrivent souvent des bébés très calmes, absents dans le contact visuel et ne réagissant pas en situation d’interaction. Fréquemment l’enfant avec autisme ne répond pas à l’appel de son prénom, ce qui peut faire penser à une surdité. Ces déficits dans le contact social persistent tout au long du développement et sont caractérisées par des anomalies du regard avec une difficulté d’établir un contact visuel, une réduction des expressions faciales, une absence de jeux imaginatifs, une tendance à l’isolement et un manque d’intérêt à l’égard les autres enfants (Volkmar et al., 2005; Tager-Flusberg, 2010). Un retard de l’acquisition du langage est très fréquent et 50 % des enfants avec autisme ne développent pas des capacités verbales (Tager-Flusberg and Caronna, 2007). De plus, les enfants qui développent un langage ne l’utilisent pas souvent dans le but d’interagir socialement. En effet, le langage, quand il est présent, peut être répétitif et ritualisé : le sujet répète toujours les mêmes phrases ou demande à son entourage de le faire. Le langage peut également se manifester sous forme d’écholalie, c’est-à-dire la répétition excessive, immédiate ou différée, des mots d’autrui. Même les enfants qui présentent une maîtrise exceptionnelle du langage au niveau formel, comme certains enfants diagnostiqués avec le syndrome d’Asperger, présentent néanmoins de grandes difficultés dans l’utilisation sociale du langage. Chez tous les sujets, indépendamment du degré de sévérité de l’autisme, la communication non verbale (c’est-à-dire l’utilisation de gestes instrumentaux, l’utilisation ou l’interprétation des gestes sociaux, des expressions faciales, du regard, etc.) est très compromise, voir absente (Stone et al., 1997; Chiang et al., 2008). 23 Outre les anomalies dans les interactions sociales et les anomalies de la communication, les enfants avec autisme présentent des intérêts bizarres et obsessionnels, ainsi que des activités et préoccupations stéréotypées. Les jeux imaginatifs et d’imitation sont souvent absents et sont remplacés par des comportements ritualisés. Les enfants avec autisme peuvent aussi présenter des comportements moteurs répétitifs comme des maniérismes des mains et des doigts ou des stéréotypies motrices plus complexes (balancements, sautillements…) apparaissant dans diverses circonstances. Enfin, ils peuvent adhérer de façon compulsive à certaines routines et sont souvent intolérants au changement, ce qui peut engendrer de violentes colères. Classiquement, ces trois grands groupes de symptômes (les difficultés dans les interactions sociales, les déficits de la communication verbale et non verbale et la présence de comportements répétitifs et stéréotypés) composaient ce qui a été appelé la « triade de l’autisme ». En effet, depuis 1987 avec la publication de la DSM-III-R, et jusqu’en 2013, avec la publication de la DSM-V, cette triade autistique était la base du diagnostic d’autisme et caractérisait cliniquement ce trouble. Les symptômes de l’autisme doivent être présents avant l’âge de 3 ans. Dans la majorité des cas, le comportement anormal de l’enfant est observé depuis la naissance. Dans d’autres cas, l’enfant semble se développer normalement jusqu’à l’âge d’environ 18 mois et ensuite une rupture se fait dans son développement, avec une perte des acquisitions, y compris celle du langage, et l’installation du tableau autistique. Cette forme dite régressive est observée dans 20 % à 40 % des cas d’autisme (Bryson et al., 2008).
I. Introduction générale |