Augmentation récente de la croissance arbustive
Les arbustes sont des espèces ligneuses et pérennes qui peuvent vivre jusqu’ à plusieurs siècles. Au nord de la limite latitudinale et altitudinale des arbres, les arbustes constituent souvent la plus grande forme de croissance végétale existante et peuvent former de denses populations dans les habitats favorables. Ils se distinguent en fonction de leur forme de croissance qui vont de grands arbustes érigés avec des tiges multiples (0.4-4 m), à des arbustes nains (0.1-0.4 m) et des arbustes prostrés « 0.1 m) dont la croissance est horizontale (Myers-Smith et al. 2011b).
Des phénomènes d’ expansion des arbustes ont été observés à l’échelle de l’Arctique circumpolaire : Ouest canadien (Lantz et al. 2010; Myers-Smith et al. 20lla), Est canadien (Ropars and Boudreau 2012; Tremblay et al. 2012), Arctique canadien (Hudson and Henry 2009; Hill and Henry 2011 ; Boulanger-Lapointe et al. 2014), Europe (Hallinger et al. 2010; Weijers et al. 2010; Hallinger and Wilmking 2011), Russie (Forbes et al. 2010; Blok et al. 2011) et Alaska (Tape et al. 2006; Naito and Cairns 2011; Tape et al. 2012). Le phénomène a été observé indépendamment par télédétection, observations directes et expériences sur le terrain ainsi que par modélisation de la zone circumpolaire (Callaghan et al. 2011 ; MyersSmith et al. 20llb; Epstein et al. 2013).
Les principales espèces impliquées dans le phénomène appartiennent aux genres Alnus, Betula et Salix (Sturm et al. 2001 a; Myers-Smith et al. 20 Il b). Leur augmentation dans le paysage s’observe de trois façons : 1) Élargissement et augmentation de la densité des peuplements existants, 2) Croissance en hauteur des individus, et 3) Avancée de la limite arbustive (latitudinale ou altitudina1e) (Tape et al. 2006).
Hétérogénéité de la réponse arbustive
Bien que l’augmentation des arbustes s’observe à l’ échelle circumpolaire, la croissance arbustive est généralement hétérogène et restreinte aux habitats qui présentent les conditions de croissance favorables. L’ étude dendrochronologique de Myers-Smith et al. (2015) réalisée sur 25 espèces à travers 9 pays de l’Arctique et comptabilisant 1821 individus élucide quelques-uns des facteurs qui augmentent la sensibilité des arbustes aux réchauffement du climat. La relation croissance-climat était positivement corrélée à l ‘humidité du sol, à la hauteur de la canopée des arbustes et était accentuée à la limite nordique ou altitudinale des espèces. Ainsi, la sensibilité des arbustes à l’augmentation des températures était maximale à la limite nordique des espèces alors que la sensibilité à l’humidité était maximale à leur limite sud. Ailleurs les facteurs limitants seraient plutôt la compétition, la facilitation, l’herbivorie et les maladies. Ces résultats suggèrent que les facteurs contrôlant la croissance sont différents en fonction de la position géographique des peuplements. La réponse supérieure des arbustes érigés s’explique par leur avantage compétitif pour l’acquisition des nutriments et de la lumière. La majorité des espèces qui composent la végétation Arctique est caractérisée par une croissance lente et une stature prostrée (Bliss 1962) qui limitent leur réponse à l’invasion des espèces arbustives plus compétitives (Callaghan et al. 2004). Subséquemment, les plus fortes réponses arbustives à l’amélioration des conditions climatiques se situaient à la zone de transition entre la toundra arbustive érigée et la toundra arbustive prostrée.
Mais la croissance arbustive est également hétérogène à l’échelle du paysage. Ainsi deux peuplements adjacents peuvent exhiber des réponses différentes face aux variations du climat (Tape et al. 2006; Ropars and Boudreau 2012). Par exemple, les travaux de Naito et Cairn (2011) ont montrés une augmentation de 3 à 76% pour les genre Alnus, Betula et Salix dans les plaines inondables contre -1 à 46% pour l’ensemble de l’aire d’étude située dans l’Alaska North Slope. Similairement, Ropars et Boudreau (2012) ont montré que le couvert arbustif, dominé par Betula glandulosa, a augmenté de 21,6% sur les terrasses fluviales sableuses contre 11,6% sur les collines entre 1957 et 2008 à leur site d’étude à la rivière Boniface au Nunavik, Québec, Canada.
Principaux/acteurs responsables de l’expansion arbustive
Plusieurs composantes environnementales sont déterminantes dans la réponse arbustive aux réchauffements du climat: les régimes thermique et hydrique du sol, les précipitations, la disponibilité des nutriments, l’épaisseur et la fonte de la neige, l’ exposition au rayonnement solaire, les perturbations et la durée de la saison de croissance (Myers-Smith et al. 2011b).
Les basses températures annuelles constituent cependant, le facteur exerçant la plus grande pression sur la croissance arbustive (Swanson 2015). En effet, la température agit directement sur les arbustes en altérant les processus physiologiques comme le taux d’ activité métabolique (Billings 1987), le bourgeonnement (Pop et al. 2000) et la reproduction sexuée (Hermanutz et al. 1989). Les analyses dendrochronologiques effectuées sur des arbustes de la toundra Arctique ont d’ ailleurs montré une réponse positive de la croissance à l’augmentation des températures (Forbes et al. 2010; Hallinger et al. 2010; Myers-Smith et al. 2011b; Boulanger-Lapointe et al. 2014). Chapin (1983) assume cependant que la croissance des plantes en milieu arctique est davantage affectée par la durée de la saison de croissance et le taux auquel les ressources deviennent disponibles que directement par la température.
CHAPITRE 1 |