Attitude soignante et communication

Sentiment d’impuissance

Le sentiment d’impuissance est un concept très utilisé dans la littérature, bien que sa définition, sa conceptualisation et sa mise en pratique soient variées et manquent de consensus entre les auteurs (Froté, 2011). Le sentiment d’impuissance est la perception par un individu que ses actions ne peuvent pas changer sa situation, la personne se considère impuissante à changer favorablement sa vie (Stanley & Gauntlett-Beare, 2005). En tant que diagnostic infirmier définit par la NANDA3, le sentiment d’impuissance est décrit comme « une impression que ses propres actes seront sans effet, sentiment d’être désarmé devant une situation courante ou un événement immédiat » (AFEDI & AQCSI, 2008; dans Froté, 2011). Il faut surtout souligner la notion d’absence de contrôle sur sa propre vie, l’incapacité d’atteindre ses objectifs et, pour une personne souffrante, l’impossibilité de soulager sa douleur (Froté, 2011). Dans le cas des patients drépanocytaires, le sentiment d’impuissance les accable lorsqu’ils ont le sentiment de ne pas avoir de pouvoir sur leur maladie, et à plus forte raison sur leur vie. En effet, la survenue et la durée des crises vaso-occlusives sont imprévisibles. La personne vit dans l’attente et l’anxiété d’un nouvel épisode et renonce à faire des projets de vie ou d’entreprendre une formation comme dans l’exemple mentionné plus haut (Gernet, 2010). Les crises vaso-occlusives sont extrêmement douloureuses.

La douleur, intense et généralisée, est difficile à gérer, de sorte que le patient n’a d’autre choix que de la subir sans pouvoir agir sur cette dernière. De plus, elle contraint souvent le patient à rester chez lui ou à être hospitalisé (Lattimer & al., 2010), ce qui l’empêche de vivre selon ses désirs et de réaliser ses projets. Certains facteurs influençant le sentiment d’impuissance ont été répertoriés; il s’agit de l’environnement de soins, l’expérience antérieure, le manque de connaissances, le style de vie dépendant et la perte perçue ou réelle du contrôle sur une situation (Stanley & Gauntlett-Beare, 2005). Plusieurs de ces facteurs peuvent s’appliquer aux patients drépanocytaires et favoriser la survenue de leur sentiment d’impuissance; comme nous l’avons déjà mentionné plus haut, la douleur et le vécu sont souvent mal compris et mal traités par les soignants qui ont tendance à stigmatiser les patients et à les traiter de toxicomanes (Gernet, 2010; Lattimer & al., 2010).

L’environnement de soin n’est donc pas soutenant; la douleur est expérimentée depuis la petite enfance sans qu’elle ne soit ni comprise ni traitée dans les premières années (Gernet, 2010); la maladie est souvent mal comprise par l’entourage, soumise à des interprétations ou à des croyances culturelles (Gernet, 2010); la maladie a un fort impact sur la vie, le bien-être physique psychologique, social et la qualité de vie. Les soignants, dans leur prise en charge des patients drépanocytaires, doivent considérer tous les aspects de la maladie. Le sentiment d’impuissance propre aux personnes souffrant de maladie chronique doit être connu et reconnu. Ainsi, l’infirmière menant une action de gestion des symptômes chez un patient drépanocytaire ne considérera pas seulement la douleur physique, ou d’autres symptômes visibles, mais explorera avec le patient son vécu. Des actions propres à soulager le sentiment d’impuissance et à reprendre le contrôle de sa maladie peuvent être mises en place, comme nous tenterons de l’exposer dans les chapitres suivants. Une prise en charge globale, telle que nous venons de la décrire, permet d’améliorer le bien-être et la qualité de vie, cette dernière étant souvent mise à mal par la maladie.

Evaluation de la douleur

Il existe différents types de douleur. Il est généralement admis que la douleur drépanocytaire est épisodique et donc aiguë, car elle dépend des crises vaso-occlusives. Cependant, l’on parle aussi de douleurs chroniques dues à la drépanocytose. Il est alors nécessaire de définir s’il est possible que la douleur évolue d’un type à l’autre, quels sont les processus de cette évolution et de quelle manière évaluer le type de douleur dont souffrent les patients. Hollins et al. (2012) ont mesuré les signes précoces de douleur chronique, tels que l’hyperalgésie, la sommation temporelle augmentée, ou l’hypervigilance chez 22 adultes Afro-américains drépanocytaires. Leur but était de déterminer si des épisodes douloureux à répétition, comme ceux causés par les crises vaso46 occlusives, peuvent induire des changements dans les processus centraux qui sont des signes de douleur chronique. Les résultats montrent que la plupart des patients drépanocytaires souffrent de douleurs aiguës lors des crises et que ces douleurs restent épisodiques. Toutefois, les patients plus âgés et qui ont un historique d’épisodes très douloureux ressentent la douleur de manière plus intense et plus déplaisante que les patients plus jeunes (Hollins & al., 2012). Cela indique qu’ils évoluent vers des douleurs chroniques, peut-être à cause de l’ampleur des tissus nécrosés ou des changements dans le système nerveux central (Hollins & al., 2012).

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Les soignants doivent être capables de reconnaître ces signes afin d’apprécier l’évolution de la maladie. Une différence de genre est également à souligner; les femmes cotent la douleur plus haute, plus rapidement et comme plus déplaisante que les hommes, indépendamment des groupes patients/contrôles (Hollins & al., 2012). Ces résultats suggèrent que le ressenti de la douleur diffère d’un individu à l’autre et qu’il est dépendant de l’âge et du genre. Cela souligne l’importance de considérer la douleur du patient comme unique, de l’évaluer et de la traiter de manière individualisée. Dampier et al. (2012) ont comparé divers instruments d’évaluation de la douleur afin de trouver celui qui était le plus adapté à guider le traitement. Trente-huit adultes Afro-américains drépanocytaires hospitalisés ont évalué quotidiennement leur douleur à l’aide de plusieurs échelles. Il ressort que l’échelle visuelle analogique (EVA), bien que largement utilisée par les soignants, n’est pas la plus sensible pour détecter les changements d’intensité de la douleur (Dampier & al., 2012). De plus, elle ne mesure qu’une seule dimension, ce qui réduit le vécu de la douleur du patient. Les méthodes d’évaluation telles que le Brief Pain Inventory (BPI) et le Memorial Pain Assessment Card (MPAC) semblent plus appropriées pour mesurer l’évolution de la douleur et l’efficacité des traitements (Dampier & al., 2012).

Avec le BPI, les scores d’intensité de la douleur décroissent dans le temps, alors que les scores de soulagement induit par les traitements augmentent, ce qui reflète l’évolution de la crise drépanocytaire. Les scores des sous-tests de l’affectivité et de l’activité augmentent également dans le temps, de manière inversement proportionnelle à l’intensité de la douleur. Le BPI est donc un outil d’évaluation sensible, capable de détecter les variations de l’état des patients lors des crises vaso-occlusives (Dampier & al., 2012). Les résultats pour le MPAC sont assez similaires, quoiqu’encore plus fiables, que ceux du BPI (Dampier & al., 2012). En plus d’évaluer la douleur, cet instrument considère aussi d’autres dimensions, comme le soulagement et l’humeur, qui évoluent avec la réduction de la douleur. Pour la pratique, il semble donc judicieux d’utiliser le BPI ou le MPAC afin d’apprécier de manière sensible les changements d’intensité de la douleur, l’efficacité des traitements et la résolution de la crise vaso-occlusive. Une évaluation précise par l’infirmière, ne tenant pas seulement compte de l’intensité mais également de la durée, du nombre de sites touchés et de la dimension affective, la guidera dans ses interventions, ainsi que le médecin pour prescrire l’antalgique adapté.

Table des matières

1. INTRODUCTION
2. PROBLÉMATIQUE
3. CONCEPTS ET CHAMP DISCIPLINAIRE INFIRMIER
3.1. LES CONCEPTS
3.1.1. Sentiment d’impuissance
3.1.2. Qualité de vie
3.1.3 Souffrance totale
3.2. CADRE THÉORIQUE -­‐ LA THÉORIE DE GESTION DES SYMPTÔMES
4. MÉTHODE
5. SYNTHÈSE DES RÉSULTATS ET DISCUSSION
5.1. EVALUATION DE LA DOULEUR
5.2. TRAITEMENT ANTALGIQUE
5.3. ATTITUDE SOIGNANTE ET COMMUNICATION
5.4. INTERVENTIONS, ENSEIGNEMENTS ET PRÉVENTION
6. CONCLUSION
7. RÉFÉRENCES
APPENDICES
APPENDICE A: ILLUSTRATIONS
APPENDICE B: GRILLES D’ANALYSE DES ARTICLES D’APRÈS FORTIN (2010)

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