Association entre petits producteurs et
grandes entreprises l’agriculture contractuelle
Récemment des propositions se sont répandues dans le pays, propositions qui font partie de la stratégie appelée « d’entreprises associatives rurales » qui, dans l’esprit du travail associatif, prétendent relier les petits producteurs ruraux avec les grandes entreprises agro-industrielles. L’argument principal de ce type de modèle est que la formation d’entreprises associatives renforce la capacité d’insertion des petits producteurs dans des marchés compétitifs et une rapide adaptation à de nouvelles opportunités d’affaires. Selon cette ligne de pensée les bénéfices obtenus sont : un marché sûr, des paiements comptants, des prix compétitifs, des créations d’emploi, des crédits et un meilleur accès à l’assistance technique. (Ruralter , 2004). Certains considèrent l’agriculture sous contrat comme la panacée pour résoudre les carences et les désavantages dont sont victimes les petits. Mais bien sûr dans les conditions d’extrême iniquité agraires existantes, le résultat net de ces « efforts associatifs » va dans la direction imposée par les intérêts des entreprises et la demande dominante du marché, déterminée par des « agents externes ». Pour cette raison les projets élaborés à partir de cette perspective se sont peu à peu éloignés de plus en plus des bases sociales du développement ; en définitive ils ont perdu peu à peu leur capacité d’innovation socio-économique en fonction d’une plus grande adaptation au marché et à un profil d’entreprise. Même si dans le scénario des organisations contractuelles il existe un consensus élémentaire sur l’importance de soutenir le développement des petits producteurs et de procurer des débouchés pour ce secteur dans le cadre d’une économie mondialisée, il semblerait que par contre il n’y ait pas d’accord sur le rôle des petits producteurs, sur la façon de construire le travail associatif paysan ou sur le modèle de développement agraire dans son ensemble. On distingue actuellement deux tendances : une qui considère comme fondamental la relation entre les petits producteurs ruraux (PPR) et les entreprises privées (EP) et la consonance avec les avancées de l’économie d’entreprise privée ; et une autre qui met plutôt l’accent sur le besoin d’explorer les potentiels du travail paysan associé en tant qu’outil d’un modèle d’une économie sociale solidaire. Bien que le discours qui caractérise chacune de ces deux tendances tende à montrer une certaine similitude terminologique, il existe sur le fond une sérieuse divergence d’objectifs et de contenus ; divergences qui correspondent à des paradigmes distincts sur le modèle de développement rural. Pour juger de l’importance du travail associatif en tant qu’instrument de développement il faut tout d’abord commencer par distinguer trois formes principales de travail : i) le travail indépendant privé ; ii) le travail salarié dépendant ; iii) le travail associatif. Ce dernier type pourrait également s’appeler travail solidaire ou 374 communautaire (association qui ne peut qu’impliquer qu’un apport de travail ou également un apport de capital). Actuellement on parle surtout et de plus en plus (préoccupation présente aussi bien dans les agendas de la coopération fonctionnaliste que dans ceux des propositions alternatives) de l’obligation de mettre en place des formes associatives de travail paysan. Cela s’appuie sur le fait que face aux limitations dans les investissements, la gestion, la technologie et la capacité à administrer les marchés – de produits, financiers et technologiques – des PPR et par conséquent face à leur manque de compétitivité qui limite leur accès à une économie de plus grandes synergies et à plus grande échelle, il est indispensable de regrouper les petits en « entreprises » plus grandes. Les partisans et promoteurs du modèle fonctionnaliste mettent l’accent sur l’importance d’opérer des efforts associatifs en direction de la demande dominante du marché, déterminée par des « agents externes ». Les objectifs pour cette tendance sont en général : a) compléter les maillons de la chaîne ; b) augmenter le volume de l’offre ; c) transformer la concurrence en partenaires stratégiques. Une stratégie de ce type aurait trois conséquences négatives : a) elle encouragerait la déstructuration des modèles de reproduction paysanne basés sur la logique communautaire et sur des procédés agricoles agro-écologiques ; b) elle accentuerait le processus de prolétarisation paysanne et l’assujettissement des petits producteurs au système de rémunération salariale – monétarisation des revenus – et à une dépendance croissante de modèles de consommation inhabituels ; c) plus grave encore, elle donnerait aux entreprises agro-industrielles la possibilité de décider ce qui doit être semé, comment le cultiver, sous quel ordre territorial et avec quel usage du sol ; d) elle amènerait les organisations à une plus grande spécialisation des systèmes de production et cela demanderait chaque fois une plus grande augmentation de capital pour pouvoir continuer avec les productions requises par les agro-industries, d’où une perte de la biodiversité. Cela veut dire que l’agriculture sous contrat devient une négociation entre des entreprises puissantes et de petits agriculteurs, devenant un mécanisme de 375 subordination agressive qui soumet les décisions d’ordre territorial, les politiques régissant le travail, les politiques agraires, les choix technologiques et la production alimentaire aux intérêts et au bon-vouloir des entreprises agro-industrielles. Personne ne peut nier les bienfaits des formes associatives du travail paysan mais elles n’amènent des bénéfices pour les petits que s’elles s’inscrivent dans un cadre d’équité et de production solidaire. Il existe par contre cette deuxième tendance où le défi est de construire une économie solidaire, de parvenir à un renforcement économique collectif et solidaire avec un développement social et avec l’aspect agraire axé également sur la souveraineté alimentaire. L’économie solidaire se réfère à un ensemble d’initiatives nouvelles à caractère innovateur avec une recherche théorique et pratique pour atteindre une économie basée sur l’égalité et le travail et un développement humain intégral (économique, social et écologique). En autres termes une économie solidaire est comme un mouvement critique à l’égard du système de monopole et basé sur des valeurs comme la coopération, la confiance, la promotion humaine et la durabilité écologique. On cherche à recréer les vieux principes de l’économie sociale orientée vers la satisfaction des besoins collectifs sans placer le profit comme principal objectif et sans répartir individuellement toutes les réserves, reconnaissant le paiement de dividendes sur la base de la participation et non de l’investissement, organisée à travers une gestion démocratique (chaque membre a un vote) et liée aux principes du coopérativisme.
Organisation paysanne et commerce équitable: l’exemple d’El Guabo
C’est dans ce contexte en 1997 que se crée l’Association de petits Producteurs d’El Guabo152 afin d’obtenir des conditions plus justes dans la production et la commercialisation de la banane sur les marchés locaux et internationaux. L’Association d’El Guabo possède le label « Fair Trade » et travaille avec plusieurs marchés internationaux pour exporter de la banane biologique et « conventionnelle ». Elle exporte également la banane « Orito » plus connue sous le nom de Baby Banana. L’association des petits producteurs Bananiers « El Guabo » (APPBG) est une organisation qui regroupe 540 petits producteurs qui se consacrent à la production de banane, avec une surface moyenne de 5 hectares par producteur.
Un obstacle difficile à surmonter : mobiliser un volume de banane suffisant pour pouvoir exporter dans des conditions satisfaisantes
A l’origine, l’APPBG était liée à une organisation de deuxième ordre de la région153 , laquelle par ses contacts internationaux de la fondation SOLIDARITÉ en Hollande a pu trouver des marchés internationaux pour la banane sous la certification du commerce équitable. C’est ainsi qu’en 1996 l’UROCAL décida de créer une entreprise consacrée à l’exportation de banane154 appelée EXPOECOAGRO, bien qu’il n’ait pas existé de processus organisationnel solide et que la distribution de quotas155 n’ait pas été très claire. L’entreprise parvint à envoyer jusqu’à 7000 caisses par semaine. Mais suite à de nombreuses pertes et à des difficultés au moment de payer les producteurs, l’entreprise ferma ses portes. L’APPBG qui continuait à fonctionner avec ses 20 associés se trouva sans espace pour placer ses fruits sur les marchés. Après plusieurs tentatives infructueuses avec des acheteurs, elle réussit à prendre contact avec un importateur en Hollande156 à travers la Fondation Solidarité et celui-ci s’engagea à acheter les fruits de l’Association pourvu qu’il trouve un acheteur. L’importateur trouva un client en Suisse en octobre 1998 et il put établir un contrat pour l’envoi d’un container hebdomadaire et réussit à atteindre 3 containers hebdomadaires au cours de l’année de 1999. Le problème à ce moment là résidait dans le transport maritime puisqu’étant donné la faible158 quantité de caisses envoyées, les fruits devaient faire un transbordement aux Etats-Unis pour être ensuite acheminées vers les ports européens. Vers le milieu de l’année 1999, une alliance fut établie avec une autre compagnie maritime159 pour transporter la banane de manière directe vers l’Europe. Étant donné les conditions très changeantes imposées160 par l’entreprise de transport, l’APPBG changea une nouvelle fois de transporteur à la fin de l’année. A cette époque l’APPBG envoyait 5000 caisses par semaine pour le marché conventionnel et 3000 caisses pour le marché du commerce équitable. Comme les problèmes de transport persistèrent en mars 2000 on signa un nouveau contrat pour le transport conjointement avec d’autres exportateurs. Celui-ci donnait une plus grande stabilité pour le transport, mais la condition était d’envoyer 20000 caisses minimum par embarquement. Il fut nécessaire d’augmenter la quantité de caisses conventionnelles à 16000 et à 4000 pour le commerce équitable. La vente dans le marché conventionnel se faisant « a consignation ». Cette augmentation de la proportion des caisses conventionnelles provoqua des pertes aux agriculteurs pendant quelques semaines.
Le Commerce équitable l’est –il réellement ?
Parmi les producteurs ayant le label du Commerce équitable et appartenant à l’Association des petits Producteurs bananiers d’El Guabo nous trouvons des systèmes de type A2, B2, et C. Ces derniers bénéficiant d’un régime spécial161 , comme nous l’avons expliqué, en ce qui concerne le prix. Mais dans les regions étudiées il existe également un autre type d’exploitations possédant le label Commerce équitable, les exploitations de type D. Ces plantations exercent également un strict contrôle sur le prix reçu conformément aux règles établies par la Fair Labelling Organisation – FLO. La différence entre ces types d’exploitation a déjà été énoncée : les agro-exportateurs vendent un grand volume de fruits ce qui facilite et diminue les coûts du matériel d’emballage, des contrats avec les entreprises maritimes et avec les importateurs. En outre ils détiennent de manière oligopolique les licences d’importation pour le marché européen. Par contre les associations comme l’APPBG ou les autres situées dans le même secteur et regroupant des petits producteurs qui ne possèdent pas l’infrastructure nécessaire, la logistique et le volume de caisses suffisant, ont des difficultés pour souscrire des contrats avec les fournisseurs de matériel d’emballage, les compagnies maritimes et les importateurs. En outre elles ne disposent pas de licences d’importation pour les marchés européens ce qui réduit encore plus leur action. Une fois exposés ces éléments, il est nécessaire de lancer une réflexion sur l’avenir des exploitations familiales et patronales liées au circuit du Commerce équitable et situées dans la zone d’étude dans un contexte où de plus en plus de compagnies agroexportatrices obtiennent le label du Commerce équitable, comme dans le cas du Pérou et de la République dominicaine, après une augmentation de la demande du marché européen pour des bananes issues du Commerce équitable. Une autre analyse à effectuer est celle des prix payés aux producteurs de banane du Commerce équitable. Dans la zone d’étude et selon les normes de FLO le prix était fixé, en 2005, à 4,75 dollars la caisse de 18,14 kilogrammes. Dans les supermarchés européens ce produit avait un prix final pour le consommateur de 2,30 dollars le kilogramme, soit un prix de 41,70 dollars la caisse. Les producteurs qui n’appartiennent pas au circuit du Commerce équitable perçoivent un prix de 2,91 dollars la caisse de banane conventionnelle et le consommateur final européen paye 1,30 dollars le kilogramme soit 23,60 dollars la caisse.