Assemblage des communautés: les processus
Derrière les approches statistiques utilisées, les écologues tentent de rendre compte des processus déterministes et stochastiques selon leur compréhension du monde vivant. J’expose ci-dessous les processus majeurs suivant le paradigme partagé par nombres d’ écologues des communautés (Lorie, HilleRisLambers, Vile & Violle … ) .
Dans ce paradigme, les individus des communautés locales sont pigés dans le réservoir régional d’ espèces, qui contient l’ information génétique permettant le développement d’organismes adaptés aux conditions présentes sur cette surface (Corne Il et Harrison 2014). Ce stock paysager, façonné par l’évolution, détermine certaines propriétés des communautés locales, y compris les modalités de la compétition (Tilman 1990). Par exemple, la diversité locale dépend de la diversité régionale (Comell et Harrison 2014), ou des conditions dans lesquelles ont évolué la majorité des espèces (ParteI2002, Laliberte et al. 2014). Le lien entre le réservoir régional et les communautés locales se fait à travers la dispersion, qui dépend des caractéristiques du paysage et des organismes (Levine et Murrell 2003).
Pour s’installer dans une communauté, les propagules du réservoir régional doivent passer à travers une série de filtres, qui représentent une conséquence écologique de la sélection naturelle. Si cet aspect déterministe clé a le plus souvent été abordé sous l’ angle des conditions abiotiques, les conditions biotiques sont un aspect peut-être trop souvent négligé.
Le filtre comme représentation de la sélection
La possibilité d’installation, de maintien et de reproduction d’un individu dans des conditions données dépend de son adaptation à cet environnement. Seuls des individus présentant certaines combinaisons de valeurs de traits fonctionnels pourront être présents à un site particulier: la capacité à germer dans la boue, ou à transporter l’oxygène à travers les aérenchymes, déterminera si des propagules d’une espèce pourront établir une population viable dans un marais (Keddy 1992). En d’autres termes, la sélection détermine quelles caractéristiques, ou valeurs de traits, seront favorables ou non à un site .
Dans le but de modéliser l’ abondance des différentes espèces, il est pertinent de décrire ce filtre de manière probabiliste. Nous pouvons le représenter comme un tamis possédant une distribution de taille de trous . Pour passer à travers le filtre, il faut qu’un individu, que l’on peut représenter comme un grain de sable, soit de la taille correspondante à celle d’une ouverture. Ainsi, la distribution des valeurs de traits dans une communauté dépend de la disponibilité de ces dernières dans le réservoir régional et des conditions environnementales. Celles-ci, en sélectionnant des valeurs de traits particulières, déterminent la probabilité d’observer localement chaque valeur, ce qui aboutit à différentes abondances relatives.
La sélection agissant ici sur l’individu, des différences devraient apparaître dans les distributions de traits à l’intérieur des espèces. Ainsi, le long d’un gradient de conditions environnementales contraignantes, les individus d’une même espèce devraient posséder des caractéristiques différentes, dans les limites de leur plasticité phénotypique ou de la diversité génétique des populations (Ackerly et Comwell 2007). Une telle sélection individuelle peut mener à des formes particulières de distribution spécifiques de traits, par exemple si elle favorise les valeurs les plus importantes que peuvent exprimer les individus d’une espèce ou si elle limite la diversité des valeurs favorables (Weiner et Thomas 1986, DeWitt 2016) .
La description de l’environnement se fait souvent au sens large: les variables prédictives déterminant la sélection ne différencient pas les processus abiotiques et biotiques. Or, le modèle conceptuel présenté à la figure 2 prévoit que dans des conditions abiotiques données, les interactions entre individus façonnent les communautés. De plus, la description de l’environnement est habituellement limitée à des gradients de conditions climato-édaphiques. Bien que celles-ci influencent aussi les interactions biotiques, telles que la compétition ou la facilitation, cette approche ne prend pas explicitement en compte ces processus. Ceci peut mener à une confusion si les conditions abiotiques et biotiques covarient, par exemple lorsque la diversité change avec les conditions abiotiques (Partel 2002, Godsoe et al. 2016). Dans ce qui va suivre, je vais présenter un cadre théorique qui permet de modéliser explicitement les filtres biotiques et abiotiques emboîtés, en faisant varier les conditions biotiques à l’intérieur d’un même environnement abiotique.
Chapitre 1. Introduction |