Aspects physico-chimiques de l’interaction des éthers de cellulose avec la matrice cimentaire
L’hydratation des phases cimentaires
Le ciment et ses produits d’hydratation Le ciment est un liant hydraulique défini selon la norme NF P 15-301, comme une fine mouture inorganique qui, gâchée avec de l’eau, forme une pâte qui fait prise et durcit. Le ciment Portland est constitué d’un mélange de clinker, de gypse (source de sulfate pour éviter la « fausse prise » [Taylor, 1997]) et d’ajouts minéraux. Le ciment est majoritairement composé de quatre phases anhydres (tableau 2) : ⊲ l’alite ou silicate tricalcique (notée C3S), ⊲ la bélite ou silicate bicalcique (notée C2S), ⊲ l’aluminate tricalcique (notée C3A), ⊲ la brownmillérite (phase aluminoferritique notée C4AF). 7 Chapitre I : Description du système d’étude Tableau 2 : Composition chimique en oxydes d’un ciment ordinaire et notation cimentaire Oxydes CaO Al2O3 SiO2 Fe2O3 CaSO4 H2O SO3 Composition 50-70 % 5-10 % 15-30 % 5-10 % 0-5 % 0-2 % 0-5 % Notation cimentaire C A S F CS H S Les phases anhydres du ciment vont réagir avec l’eau, à des vitesses différentes, pour former plusieurs hydrates. Fait assez rare en chimie minérale, ces hydrates sont moins solubles que les sels anhydres. Les phases hydratées susceptibles de précipiter sont récapitulées dans le tableau 3. Parmi ces hydrates, la structure et la stoechiométrie de l’hydrosilicate de calcium (C-S-H) est assez singulière [Nonat, 2004]. Le C-S-H est formé de nanoparticules cristallines (60 × 30 × 5 nm) présentant un ordre à courte distance [Garrault, 1998]. Sa composition variable est définie par les rapports CaO/SiO2 (noté C/S) et H2O/SiO2 (noté H/S). Trois stœchiométries différentes du rapport molaire C/S sont identifiées en fonction de la concentration en hydroxyde de calcium de la solution (figure 1 et figure 2) [Lecocq, 1993]. Figure 1 : Les différentes stœchiométries du C-S-H [Lecocq, 1993] Figure 2 : Rapport CaO/SiO2 du C-S-H en fonction de [Ca(OH)2] [Lecocq, 1993] 8 Paragraphe I.A : L’hydratation des phases cimentaires Tableau 3 : Principaux hydrates formés lors de l’hydratation du ciment Notation cimentaire Formule chimique Dénomination CH Ca(OH)2 Portlandite C-S-H (CaO)C/S-(SiO2)-(H2O)H/S Silicate de calcium hydraté C3A(CS)3H32 [Ca3Al(OH)6]2, 3SO4, 26H2O Trisulfoaluminate de calcium hydraté ou ettringite (structure de type AFt) C3ACSH12 [Ca2Al(OH)6]2, SO4, 6H2O Monosulfoaluminate de calcium hydraté (structure de type AFm) C2AH8 (CaO)2-Al2O3-(H2O)8 Aluminate dicalcique hydraté C3AH6 (CaO)3-Al2O3-(H2O)6 Hydrogrenat C4AH13 (CaO)4-Al2O3-(H2O)13 Aluminate tétracalcique hydraté
Les différentes théories de l’hydratation
Ce paragraphe s’attache à dégager les deux grandes écoles de pensée sur lesquelles reposent les différentes théories de l’hydratation. Cette présentation critique et volontairement partiale des différentes conceptions de l’hydratation est l’occasion de décrire succinctement les phénomènes physico-chimiques caractéristiques de l’hydratation des liants hydrauliques.
La théorie de Le Châtelier Lavoisier fut le premier à décrire la prise des liants hydrauliques comme un processus de cristallisation [Lavoisier, 1768]. Plus tard, Le Châtelier reprit à son compte et développa cette conception. Le Châtelier estime improbable un mécanisme d’hydratation que l’on définirait aujourd’hui comme « topochimique ». Il propose que la sursaturation soit induite par les vitesses relatives de deux phénomènes contraires (la dissolution et la précipitation), et considère la sursaturation de la solution à partir de laquelle se produit la précipitation comme le moteur et la caractéristique fondamentale de l’hydratation : « En précisant les réactions chimiques auxquelles donne lieu l’hydratation des liants hydrauliques, en rattachant leur cristallisation aux phénomènes de sursaturation et leur durcissement à la cristallisation, on a considérablement fait progresser nos connaissances pratiques sur les dits liants » [Le Châtelier, 1919]. . Cette période initiale d’hydratation de faible activité est caractérisée par une période d’induction. Les différentes théories, développées après Le Châtelier, se sont attachées à fournir une explication à cette période d’induction apparaissant comme une caractéristique essentielle et spécifique de l’hydratation des liants hydrauliques. Ainsi, de nombreux auteurs ont été amenés à modifier la théorie originale de Le Châtelier pour rendre compte de cette particularité. I.A.2.b Période « dormante » et théorie de la cristallisation Dans le cadre de la théorie de la cristallisation, la précipitation des hydrates a lieu à partir de solutions sursaturées. Pour interpréter la « période dormante », la notion de « retards de cristallisation » est introduite. Ces retards sont facilement observables lors de la précipitation de sels peu solubles à partir de solutions sursaturées seules (ne comportant aucun renouvellement des ions en solution par la dissolution d’une phase solide). Les travaux sur la germination du C-S-H [Garrault, 1998], détaillés dans la suite de ce mémoire, montre que la germination homogène du C-S-H intervient après un temps d’induction de durée inversement proportionnel au degré de sursaturation atteint à partir d’une solution de chaux et de silice (dépourvue de solide) (figure 3). Figure 3 : Induction de précipitation de C-S-H en fonction de la sursaturation notée β [Garrault, 1998]
L’hydratation des phases cimentaires
Dans ce cas particulier, les mécanismes mis en jeu ont entièrement lieu en solution. La germination est homogène et les germes croissent à partir des ions de la solution. Ainsi, la durée de la période d’induction de germination homogène, en tant que fonction décroissante du degré de sursaturation de la solution, met en évidence que la sursaturation peut être à la fois la cause et le moteur de la précipitation. Sur ce point précis, cette conception rejoint la théorie de l’hydratation proposée par Le Châtelier.
Période « dormante » et germination hétérogène
Le caractère hétérogène de la germination de C-S-H est mis en évidence lors de l’hydratation du C3S [Garrault, 1998]. Mais la surface de solide anhydre n’intervient pas dans le principe originel de la théorie de la cristallisation. Toutefois, un mécanisme de germination hétérogène peut tout de même être introduit. Dans ce cas, des germes d’hydrate apparaissent brutalement, par un mécanisme de germination hétérogène, sur des sites énergétiquement favorables à la surface du solide anhydre. Néanmoins, la quantité de germes est insuffisante pour déclencher immédiatement une précipitation significative. La « période dormante » représente alors une phase de croissance de ces germes à partir des ions en solution. Mais cette croissance est extrêmement réduite compte-tenu de la faible surface extérieure des germes. Comme la théorie de la cristallisation originelle, cette conception maintient le rôle moteur de la sursaturation pendant la « période dormante ». Néanmoins, elle accorde une place nouvelle et majeure à la surface de solide anhydre initiale. Le terme « période dormante », entretenant l’idée d’une phase de gestation où rien ne se passe, induit en erreur sur la véritable nature du phénomène pilotant cette période de l’hydratation. Il serait plus exact et rigoureux d’employer la dénomination de période d’induction, ou mieux encore de période athermique
Période « dormante » et réaction topochimique
Cette conception se démarque de la théorie défendue par Le Châtelier, car elle considère que le sel hydraté ne précipite pas à partir de la solution. L’eau qui se « dissout » dans le réseau cristallin de l’anhydre provoque une précipitation de germes dont la croissance est alimenté par la diffusion à l’état solide des molécules d’eau au travers de l’interface ainsi créée. 11 Chapitre I : Description du système d’étude Dans son principe, le processus d’hydratation est ici très proche des réactions hétérogènes solide-gaz, comme l’oxydation des métaux pulvérulents. L’un des premiers a soutenir cette hypothèse de mécanisme fut Michaëlis [Michaëlis, 1909]. Il considérait qu’au contact de l’eau, la dissolution du clinker formait un squelette pauvre de chaux après libération d’ions calcium en solution. Le gel d’hydrate apparaît alors par gonflement de ce squelette sous l’action de la solution de chaux. La période d’induction correspond ainsi au recouvrement des grains anhydres d’une espèce hydratée intermédiaire, souvent mal cristallisée, de composition mal définie et variable, peu stable et qui formerait dans certains cas un gel. La sursaturation de la solution ne joue pas un rôle moteur dans cette conception de l’hydratation. I.A.2.e Synthèse sur les différentes théories d’hydratation Il a longtemps été difficile de trancher entre les deux grandes catégories de mécanisme d’hydratation : 1. le mécanisme d’hydratation désigné généralement par le qualificatif « topochimique », fondé sur la fixation directe des molécules d’eau à la manière d’une réaction solide-gaz, 2. le mécanisme d’hydratation défendu par Le Châtelier, reposant sur la dissolution des phases anhydres, la formation d’une solution sursaturée qui entraîne la précipitation des hydrates. Grâce aux progrès réalisés ces dernières décennies sur la compréhension du mécanisme d’hydratation du C3S, des preuves expérimentales semblent valider l’idée maîtresse de Le Châtelier selon laquelle la sursaturation de la solution est le moteur de l’hydratation [Ménétrier, 1977]. Le processus d’hydratation du ciment, connu aujourd’hui sous l’appellation « principe de Le Châtelier », peut être schématisé par trois étapes successives : ⊲ la dissolution congruente des différentes phases anhydres du ciment, ⊲ la formation de solutions sursaturées, ⊲ les réactions de formation des différents hydrates qui sont alors en compétition.
Mécanisme d’hydratation du C3S
L’hydratation de la phase pure de silicate tricalcique est traitée dans ce paragraphe. Cet exemple permet d’illustrer simplement les mécanismes physico-chimiques de dissolutiondiffusion-précipitation mis en jeu. Minard ayant montré que l’hydratation du C3S est inchangée en présence de C3A et de gypse, par analogie l’hydratation des phases silicates dans un ciment Portland est extrapolable [Minard, 2003]. I.A.3.a Dissolution congruente de C3S Le C3S se dissout de manière congruente selon le principe décrit par Barret (équation 1). Ce mécanisme de dissolution considère une étape d’hydroxylation superficielle et une absence des ions O2− et SiO44− en solution [Barret et al., 1979; 1983; 1986]. Cette dissolution entraîne une élévation de la concentration des espèces ioniques en solution. Celle-ci peut être représentée sur un diagramme chaux-silice (figure 4). Ce diagramme permet de décrire les variations de composition en hydroxyde de calcium et en silice de la phase liquide. Il est tracé en reportant sur un même graphique, à chaque instant durant l’hydratation, les valeurs de [Ca(OH)2] et des concentrations en Ca(OH)2et en SiO2 totale. Ca3SiO5 + 3 H2O → 3 Ca2+ + 4 OH− + H2SiO2− 4 Equation 1 : Réaction de dissolution du C3S I.A.3.b Diffusion ionique puis précipitation de C-S-H et CH Les espèces ioniques issues de la dissolution diffusent. Une solution riche en ions silicate, calcium et hydroxyde devient saturée puis sursaturée par rapport aux différents hydrates. En particulier, le système atteint rapidement la sursaturation maximale par rapport au C-S-H. A partir de cet instant, ont lieu simultanément la dissolution du C3S, ainsi que la précipitation du C-S-H par un processus de germination-croissance. Dès que le système atteint la sursaturation par rapport à la portlandite, celui-ci va alors précipiter à son tour. Ces étapes de précipitation sont décrites par l’équation 2. C/S Ca2+ + 2 (C/S − 1) OH− + H2SiO2− (a) 4 → (CaO)C/S − (SiO2) − (H2O)H/S Ca2+ + 2 OH (b) − → Ca(OH)2 Equation 2 : Réactions de formation de l’hydrosilicate de calcium et de la portlandite
Auto-régulation de l’hydratation de C3S
Dès la germination primaire des C-S-H terminée, et quelles que soient les vitesses auxquelles se déroulent les réactions d’hydratation, les concentrations ioniques en solution suivent une courbe appelée « chemin cinétique » [Barret et al., 1988]. Ce chemin cinétique est situé entre deux limites thermodynamiques : la courbe de solubilité de C-S-H et celle de C3S (figure 4). Le fait que le système tende toujours vers ce chemin cinétique est le résultat d’une auto-régulation de la vitesse d’hydratation.
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