Définition opérationnelle et aspect multidimensionnel du leadership authentique
S’ inscrivant dans le courant de la psychologie positive (Seligman & Csikszentmihalyi, 2000) et s’appuyant sur la théorie des comportements organisationnels positifs de Luthans (2002), le leadership authentique constitue l’essence même de l’ authenticité, c’ est-à-dire la révélation et le maintien du concept de soi au fil du temps et des situations rencontrées (Kemis & Goldman, 2006). Appliquée au domaine du leadership, l’ authenticité se traduit, entre autres, par une communication qui laisse transparaitre les valeurs et les principes moraux élevés des leaders, véritables guides de leurs actions (Avolio et al., 2004). En effet, les leaders authentiques demeurent fidèles à eux-mêmes plutôt qu’à un désir de conformisme aux attentes d’ autrui (par exemple, à leurs supérieurs, à leurs groupes de pression et à la société) ou à la recherche de bénéfices personnels (Shamir & Eilam, 2005). Démontrant un haut niveau d’intégrité, ils inspirent confiance, ce qui favorise le développement de relations saines avec leurs collègues et leurs subordonnés et, par conséquent, rend possible leur développement (Luthans & Avolio, 2003). Dans leur définition fondatrice du leadership authentique, Luthans et Avolio (2003) expliquent que les leaders authentiques s’appuient sur leurs capacités psychologiques positives ainsi que sur un contexte organisationnel favorable à l’ instauration d’ un climat de travail sain, dans lequel le développement individuel est encouragé. Inspirées par la conception multidimensionnelle du fonctionnement authentique de Kemis et Goldman (2006), qui rassemble les dimensions du soi (conscience et acceptation) ainsi que les dimensions comportementale et relationnelle, les pratiques des leaders authentiques se regroupent sous quatre dimensions: la conscience de soi, la transparence relationnelle, le processus équilibré d’ information et la perspective morale intériorisée (Avolio, Wemsing, & Gardner, 2018; Walumbwa et al., 2008).
Conscience de soi.
La conscience de soi réfère tant à la connaissance que le leader a de ses forces, de ses faiblesses, valeurs, besoins, émotions et motivations qu’à la compréhension de l’ influence de ces multiples éléments sur son fonctionnement (I1ies et al., 2005) et sur celui des autres. C’est qu’en s’exposant tel qu’ il est lors de ses interactions interpersonnelles, le leader arrive à mieux saisir la perception d’autrui face à lui-même ainsi que l’ impact de ses comportements sur son environnement (Kemis, 2003). Au fil du temps, le leader authentique acquiert un portrait plus juste de lui-même, favorisant ultimement une maitrise plus fine de son environnement (Ilies et al., 2005). Un leader en mesure de décrire adéquatement la manière dont les autres le perçoivent démontre une bonne conscience de lui-même.
Transparence relationnelle. La transparence relationnelle s’ établit par une révélation authentique de soi face aux autres (Vogelgesang, 2008). Ce qui est vécu intérieurement (par exemple, les pensées et les émotions) et partagé par le leader est complètement cohérent, favorisant l’instauration de relations honnêtes fondées sur la confiance et sur l’ouverture (Ilies et al., 2005; Kemis, 2003). Grâce au développement de la conscience de soi, le leader authentique acquiert une compréhension plus fine de l’ impact de ses comportements sur son environnement, ce qui l’amène à minimiser le partage de sentiments inappropriés, dans un désir de transparence (Kemis, 2003). Ainsi, un leader qui affiche les émotions reflétant ses sentiments réels fait preuve de transparence relationnelle.
Processus équilibré d’information. Un processus équilibré d’ information s’ exprime par une analyse objective et transparente de toutes les informations et données pertinentes à la prise de décision. En sollicitant divers points de vue pouvant remettre sa vision en question, le leader évite, d’ une part, d’être influencé par ses biais personnels (Gardner, Avolio, Luthans, May, & Walumbwa, 2005), et d’autre part, de créer des conflits adaptatifs au sein des équipes de travail (Avolio, 2005). Étant résolus par des échanges sains selon lesquels tous les acteurs impliqués ont la possibilité d’ être entendus, ces échanges donnent lieu à des décisions innovatrices et adaptées aux situations rencontrées (Avolio & Wemsing, 2008). Un leader qui analyse toutes les données pertinentes à la prise de décision participe au processus équilibré d’ information.
Opérationnalisation du construit du leadership authentique.
Malgré que le caractère multidimensionnel du leadership authentique représente l’une de ses assises théoriques, il n’est que très rarement représenté dans les études empiriques qui s’y rattachent (Gardner, Cogliser, Davis, & Dickens, 20 Il), questionnant ainsi la capacité des mesures actuelles de bien représenter le construit. À ce jour, deux instruments, appuyés sur les mêmes fondements théoriques, sont principalement utilisés pour évaluer le leadership authentique, l’Aulhentic Leadership Questionnaire (ALQ; Walumbwa et al., 2008) et l’Authentic Leadership Inventory (ALI; Neider & Schriesheim, 2011). L’ALQ a été créé et validé grâce à trois études menées auprès de trois échantillons différents (Chine, États-Unis, Kenya; Walumbwa et al., 2008). Ces recherches, présentant les résultats d’analyses factorielles confirmatoires (AFC), soutiennent une structure factorielle à quatre dimensions pouvant être regroupées sous un facteur de deuxième ordre correspondant au construit global du leadership authentique. Avec des indices de cohérence interne satisfaisants (entre 0.72 et 0.92) pour chacune des quatre dimensions ainsi qu’une validité convergente soutenue par des relations positives avec la satisfaction professionnelle et la performance, l’ALQ présente des qualités psychométriques satisfaisantes.
Or, en raison de droits d’ auteurs réservés, seulement huit des seize énoncés composant l’ ALQ sont disponibles sans restriction. Par conséquent, il est plausible que les chercheurs soient plus enclins à utiliser la version écourtée de l’ ALQ comprenant seulement les huit énoncés, dont les qualités psychométriques demeurent inconnues. C’est précisément pour répondre à cette limite que le deuxième instrument de mesure du leadership authentique a été conçu. Neider et Schriesheim (2008) ont créé et validé l’ALI auprès d’ étudiants universitaires qui devaient évaluer l’ authenticité de deux politiciens américains (Barack Obama et John McCain) lors des élections présidentielles de 2008. Les résultats d’AFC ont montré l’ existence d’ une structure factorielle différente selon le politicien évalué. Alors que la structure factorielle à quatre dimensions a été soutenue pour les deux politiciens, la solution présentant un facteur de deuxième ordre, correspondant au construit global du leadership authentique, ne l’a été que pour Barack Obama, ce qui questionne la généralisabilité des résultats obtenus. Malgré cela, les qualités psychométriques de l’ALI sont satisfaisantes, avec des indices de cohérence interne variant entre 0.74 et 0.85 et une validité convergente soutenue par des relations positives avec la satisfaction professionnelle et envers le superviseur ainsi qu’ avec l’engagement organisationnel.
Bien que ces travaux soient intéressants, et que les résultats qui en découlent aient contribué au développement de la théorie au moyen de l’ offre de mesures valides du leadership authentique, l’ identification d’ importantes lacunes remet en question leur utilisation. D’ une part, considérant les fortes corrélations observées entre les dimensions du leadership authentique (ALQ : r moyenne de 0,67; ALI: r moyenne de 0,80), il est plausible que chaque instrument contienne un nombre appréciable d’énoncés ne permettant pas de distinguer adéquatement les différentes dimensions théoriques. D’autre part, tant l’ALQ que l’ALI ont été validés au moyen d’AFC qui, de par leur nature, contraignent la saturation factorielle des items à la dimension qui leur est théoriquement associée (Marsh et al., 2009). L’ utilisation de cette technique s’ avère donc inappropriée pour rendre compte du vrai patron de corrélations entre les dimensions, les fortes corrélations pouvant ne constituer que le reflet artificiel, voire biaisé, d’items saturant simultanément sur différentes dimensions. En utilisant une technique plus actuelle qui ne contraint pas la saturation factorielle des items, l’analyse par équations structurelles exploratoires (Exploratory Structural Equation Modeling; ESEM; Mplus; Asparouhov & Muthén, 2009) nous permettrait d’évaluer les qualités psychométriques des versions adaptées en français de l’ALI et l’ALQ et ainsi que d’examiner leur capacité respective à refléter le caractère multidimensionnel du leadership authentique. Afin de pallier cette lacune, le premier objectif de la thèse vise à approfondir les connaissances concernant les instruments utilisés pour mesurer les pratiques du leadership authentique. Objectif 1 : Examiner la nature multidimensionnelle du leadership authentique au moyen d’une réévaluation des qualités psychométriques des instruments de mesure les plus utilisés à ce jour dans la documentation scientifique, l’Authentic Leadership Questionnaire (ALQ; Walumbwa et al., 2008) et l’Authentic Leadership Inventory (ALI; Neider & Schriesheim, 20 Il).
Revisiting the factor structure of the ALQ and ALI using ESEM Although these studies provide initial support to the construct validity of the ALQ and the ALI, the fundamental multidimensional nature of AL has often been empirically neglected in later research based on the se instruments. Studies also show c1ear inconsistencies in how AL was measured, with sorne studies using a unidimensional model (Fox, Gong, & Attoh, 2015; Hirst, Walumbwa, Aryee, Butarbutar, & Chen, 2016; Liu, Liao, & Wei, 2015 ; Lapez, Alonso, Morales, & Leon, 2015; Yagil & Medler-Liraz, 2014; Zubair & Kamal, 2015), a four-factor model (Bamford et al., 2013; Edu Valsania, Moriano Leon, Molero Alonso, & Topa Cantisano, 2012; Shapira-Lishchinsky & Tsemach, 2014; Xiong & Fang, 2014), or a second-order factor model (Hsieh & Wang, 2015; Lyubovnikova, Legood, Turner, & Mamakouka, 2017; Rego, Junior, & Pina Cunha, 2015; Rego, Sousa, Marques, & Cunha, 2014; Wang, Sui, Luthans, Wang, & Wu, 2014). A possible explanation for these discrepant practices could be the high factor correlations among the four a priori factors, which is likely to create multicollinearity, making it impossible to simultaneously consider ail four dimensions in multivariate analyses. The inconsistency of the AL factor structure calls into question the ability of the ALQ and the ALI to adequately capture the four distinct dimensions of AL. Even in studies supporting a multifactor structure, the dimensions were so highly correlated as to suggest conceptual redundancy (Banks, McCauley, Gardner, & Guler, 2016). This is worrisome as a key aspect of AL theory is the differential ability of these four dimensions to predict specifie outcome variables (for a similar argument applied to transformational leadership, see Banks et al., 2016; Van Knippenberg & Sitkin, 20(3).
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