Les canaux ioniques activés par des ligands (« Ligand-gated ion channels » ou LGICs) aussi appelés récepteurs ionotropiques ou récepteurs-canaux sont des protéines transmembranaires organisées autour d’un pore central qui permet un flux régulier d’ions à travers la membrane plasmique en réponse à la liaison d’un messager chimique (i.e. un ligand, tels que les neurotransmetteurs). Ils sont exprimés dans tous les types cellulaires, notamment les cellules nerveuses, musculaires et épithéliales. Par convention, l’appellation LGICs regroupe à la fois des récepteurs ionotropiques excitateurs, perméables aux cations, et des récepteurs ionotropiques inhibiteurs, perméables aux anions. Dans le système nerveux et aux jonctions neuromusculaires, les LGICs sont responsables de la transmission synaptique rapide, agissant à l’échelle de la milliseconde. Cette conversion rapide de l’énergie chimique en énergie mécanique d’activation est essentielle à la neurotransmission. Les LGICs, en tant que protéines membranaires et canaux ioniques, partagent un long passé avec ces derniers. Les canaux ioniques sont des protéines impliquées dans de multiples processus biologiques, notamment la communication entre les environnements intracellulaire et extracellulaire, et le contrôle des propriétés électriques de la cellule (potentiel de repos de la membrane plasmique et excitabilité). Dans ce chapitre, nous rappellerons rapidement l’historique de la recherche sur les canaux ioniques, puis nous présenterons brièvement les différentes classes (ou superfamilles) de LGICs, leur composition en sous-unités, leur architecture moléculaire et leurs mécanismes d’activation.
Un canal ionique est une protéine membranaire formant une structure macromoléculaire, un pore aqueux, incrusté dans la bicouche lipidique. En réponse à certains signaux, les canaux ioniques changent de conformation, ce qui aboutit à l’ouverture d’une porte d’activation (ou « gate » en anglais) et au passage subséquent des ions, cations ou anions, de part et d’autre de la bicouche membranaire. Ces signaux peuvent être la liaison de ligands chimiques xtracellulaires ou intracellulaires, un changement de potentiel transmembranaire, un changement de température ou une force mécanique .
L’importance des ions dans l’excitabilité nerveuse et musculaire est reconnue depuis longtemps. Au début des années 1880, le clinicien et pharmacologiste britannique Sydney Ringer publia quatre papiers dans The Journal of Physiology, montrant que des organes isolés (comme le cœur) pouvaient rester fonctionnels de longs moments s’ils étaient conservés avec une petite quantité d’ions sodium, potassium et calcium, grâce à une perfusion (DeWolf, 1977). Deux décennies plus tard, en 1902, le physiologiste allemand Julius Bernstein publia sa « Membrane Theory of Electrical Potentials » applicable aux cellules et tissus biologiques. Selon lui, les cellules excitables sont entourées d’une membrane sélectivement perméable aux ions K+ pendant les phases de repos et perméable aux autres ions au cours de l’excitation.
Des études fonctionnelles menées entre les années 1945 et 1970 ont révélé la présence de canaux activés par le potentiel et de canaux activés par des ligands, dans les membranes plasmiques de cellules nerveuses et musculaires. Les propriétés fondamentales des courants membranaires créés par le passage des ions à travers les canaux ioniques ont été analysées cinquante ans plus tard par les biophysiciens anglais Alan L. Hodgkin et Andrew F. Huxley, ce qui leur a valu un Prix Nobel en 1963. En 1952, ils mirent en évidence grâce à la technique de « voltage clamp » les propriétés cinétiques caractérisant l’ouverture des canaux sodiques et potassiques dans l’axone géant de calmar, et décrivirent les mécanismes sous-jacents au déclenchement de potentiels d’action grâce auxquels l’information est propagée dans le système nerveux (Hodgkin & Huxley, 1952). En 1966, Bernard Katz et ses collègues déterminèrent les lois cinétiques régissant l’ouverture des récepteurs nicotiniques activés par l’acétylcholine (nAChRs) aux jonctions neuromusculaires de la grenouille (Katz, 1966). Plus tard, dans les années 1971, l’existence des canaux ioniques a été confirmée par Bernard Katz et Ricardo Miledi en mesurant pour la première fois la conductance unitaire de récepteurscanaux à acétylcholine. Dans les mêmes moments, la première purification d’un récepteur nicotinique de l’acétylcholine par J.P. Changeux et ses collègues permit d’en élucider la structure primaire (Changeux et al., 1970). La détection fonctionnelle des canaux ioniques dans des cellules fut montrée plus directement en 1976, grâce à la technique connue sous le nom de « patch-clamp » (Hamill et al., 1981 ; Neher & Sakmann, 1976), qui a valu un Prix Nobel à Erwin Neher et Bert Sakmann. Ces expériences de « patch-clamp » ont montré que les transitions entre les états ouvert et fermé d’un canal ionique individuel étaient des événements soudains et du « tout-ou rien », durant lesquels la protéine, flexible, passait très rapidement (en quelques dizaines de µs) d’une conformation à une autre. Ces résultats sont la confirmation finale de l’existence des canaux ioniques .
Progressivement, avec l’explosion du clonage et du séquençage dans les années 80, notamment de la première sous-unité d’un récepteur nicotinique à l’acétylcholine (nAChR) présente à la jonction-musculaire (Noda et al., 1983), une attention croissante s’est portée sur les études structurales et fonctionnelles des canaux ioniques. Une année plus tard, le canal sodique était à son tour cloné (Noda et al., 1984), puis la séquence primaire du canal potassique Shaker obtenue quatre années plus tard (Pongs et al., 1988 ; Tempel et al., 1988). La détermination des séquences primaires a fourni des informations essentielles concernant la structure et la topologie membranaire des canaux ioniques. La combinaison de biologie moléculaire (mutagenèse dirigée), de biochimie et d’études fonctionnelles (électrophysiologie essentiellement), a conduit à une explosion des connaissances mécanistiques des canaux ioniques. Elles ont permis de répondre à des problématiques essentielles, concernant notamment les mécanismes de sélectivité ionique, les mécanismes d’activation et la transduction des différents signaux (potentiel, ligand, force mécanique, température), en ouverture du canal (pour les canaux activés par le potentiel (Yellen, 1998), les nAChRs (Corringer et al., 2000), les récepteurs-canaux du glutamate (Dingledine et al., 1999), les canaux mécano-sensibles (Hamill, 2006 ; Hu & Sachs, 1997)).
En dépit des connaissances fonctionnelles, ce n’est qu’à la fin des années 90 que les premières structures tridimensionnelles des canaux ioniques ont été résolues, notamment parce qu’il est difficile de cristalliser de telles protéines membranaires complexes. En 1998, MacKinnon et ses collègues publient la première structure cristallographique d’un canal potassique procaryote KcsA, et mettent alors en évidence les bases moléculaires de la conduction sélective des canaux potassiques (Doyle et al., 1998). Quatre années plus tard, la structure cristallographique d’un canal chlore procaryote est dévoilée, par le même groupe (Dutzler et al., 2002). Puis des structures plus complexes, telles que les canaux potassiques activés par le potentiel (Jiang et al., 2003 ; Long et al., 2005 ; Schmidt et al., 2006) sont publiées. Ces dernières structures ont permis de mieux comprendre le couplage qui existe entre le canal ionique en tant que tel et les régions du récepteur sensibles aux stimuli. Le Prix Nobel de Chimie de 2003 fut remis à Roderick MacKinnon et Peter Agre pour leurs études remarquables sur les bases moléculaires et structurales de la perméabilité ionique et aqueuse des membranes biologiques. Plus récemment, les structures complètes de plusieurs récepteurs-canaux ont été obtenues à une résolution atomique (Bocquet et al., 2009 ; Hilf et Dutzler, 2008 ; Kawate et al., 2009; Sobolevsky et al., 2009).
Selon la nomenclature et la classification établies par l’union NC-IUPHAR (International Union of Pharmacology Committee on Receptor Nomenclature and Drug Classification), les récepteurs-canaux ou LGICs regroupent des récepteurs excitateurs, les récepteurs-canaux (ou ionotropiques) du glutamate (iGluRs, Traynelis et al., 2010), les récepteurs nicotiniques à acétylcholine (nAChRs ; Changeux, 2010 ; Millar & Gotti, 2009), les récepteurs sérotoninergiques (5-HT3Rs ; Barnes et al., 2009 ; Walstab et al., 2010), les récepteurs à ATP (P2XRs ; Jarvis & Khakh, 2009 ; Surprenant & North, 2009) ; et des récepteurs inhibiteurs, les récepteurs GABAA (GABAARs ; Belelli & al., 2009 ; Olsen & Sieghart, 2009) et les récepteurs glycinergiques (GlyRs ; Lynch, 2009 ; Yevenes & Zeihlofer, 2011). Les LGICs peuvent aussi être classés en récepteurs trimériques (P2XRs), tétramériques (iGluRs), ou pentamériques (nAChRs, 5-HT3Rs, GABAARs et GlyRs ; aussi nommés récepteurs cys-loop), selon leur topologie membranaire et leur stœchiométrie d’assemblage en sous-unités.
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