ARCHITECTURE ET CROISSANCE DES RÉCIFS
DE TAHITI (POLYNÉSIE FRANÇAISE) DURANT
LA DERNIÈRE DÉGLACIATION
Évolution de la composition biologique des séquences récifales post-glaciaires : reconstitution de la croissance récifale
L’analyse de l’évolution des séquences récifales permet de déterminer des stratégies de croissance : mode de croissance récifale continue (ou ‘keep-up’), mode de croissance récifale différée (ou ‘catch-up’) et mode de croissance récifale bloquée (ou ‘give-up’) (Davies et Montaggioni, 1985 ; Neumann et Macintyre, 1985) qui dépendent de la réponse des communautés coralliennes à la remontée du niveau marin. Une séquence récifale à composition homogène témoigne de la permanence des conditions environnementales depuis le début de la colonisation récifale. Inversement, des changements de faciès répétés et abrupts sont interprétés comme reflétant des déplacements latéraux des communautés coralliennes suite à des variations rapides du niveau marin et/ou à des changements environnementaux abrupts. Les taux d’accrétion récifale peuvent aussi être déterminés à partir des âges et de l’épaisseur des dépôts. Ce calcul est valable si les remaniements n’ont pas trop perturbé les dépôts originels (Davies, 1983). La distribution verticale des associations biologiques couplée aux données chronologiques permet de reconstituer le développement des édifices récifaux et d’appréhender leurs réponses aux changements des taux de remontée du niveau marin et aux modifications des conditions paléoenvironnementales. Les données chronologiques sont issues de deux types de datations sur les coraux : des datations U-Th (26 à Tiarei et 7 à Maraa) avec un spectromètre de masse à thermo-ionisation et source solide (VG Sector 54-30) du CEREGE réalisées par Pierre Deschamps et Nicolas Durand ; et des datations 14C (38 à Tiarei et 45 à Maraa) avec un spectromètre de masse par accélérateur réalisées à ARTEMIS (Saclay, France). Les âges 14C ont été convertis en âges calendaires (Cal. BP) avec le programme ‘CALIB REV 5.1beta’ (Stuiver et Reimer, 1993) et la courbe de calibration marine ‘marine04.14c’ (Hughen et al., 2004). L’âge réservoir utilisé est de 300 ans (Bard et al., 1998 ; Stuiver et al., 1998 ; Goslar et al., 2000 ; Paterne et al., 2004). Les coraux sélectionnés pour les datations sont ceux dont le squelette aragonitique n’a pas subi d’altération et qui doivent ainsi contenir moins de 1% de calcite faiblement magnésienne. Pour vérifier que les coraux n’ont pas subi d’altération, des analyses de diffraction des rayons X ont été réalisées. Ces analyses ont été faites au CEREGE avec un diffractomètre de type Bragg Brentano et de montage theta-theta (Philips X’PERT Pro MPD). Les données ont été traitées avec le logiciel ‘X’Pert Graphics & Identify’ (Philips Analytical) pour l’identification des pics et avec le logiciel ‘PC-APD’ (Analytical Powder Diffraction, v.3.6, Philips Electronics) pour la quantification des paramètres des pics (aires et hauteur). La méthode de quantification des différents carbonates (aragonite et calcite magnésienne) est décrite dans Sépulcre et al. (2009). Les observations aux microscopes optique et électronique à balayage ont permis de mettre en évidence différents types de ciments dans la porosité des squelettes coralliens (Fig. III.8). Ces ciments sont soit des ciments de calcite magnésienne (Fig. III.8C,G), soit des ciments d’aragonite secondaire (Fig. III.8B,D,F,H). L’aragonite secondaire ne peut être différenciée de l’aragonite primaire des squelettes coralliens aux rayons X. Cependant, étant donné que ces ciments aragonitiques précipitent rapidement dans les pores du squelette, leur présence ne biaise pas les résultats des datations. L’évolution de la composition biologique des séquences récifales post-glaciaires a été décrite pour les sites 9B, 9D, 9E, 24A, 25A, 25B, 21A, 21B, 23A et 23B et synthétisée sous forme de tableaux et de logs (légende pour les logs : Fig. V.10) : – Sites 9 : Les sites 9B et 9D sont caractérisés par la profondeur du substratum Pléistocène la plus importante (121,16 m et 120,77 m, respectivement) et enregistrent ainsi les stades les plus précoces de l’initiation récifale (16 ka BP). La profondeur du substratum est plus faible au site 9E : 112,69 m. Les séquences récifales post-glaciaires ont une épaisseur de 20 m pour le site 9B, de 15,7 m pour le site 9D et de 16,7 m pour le site 9E. Elles enregistrent l’intervalle ~16 – ~10 ka BP. Elles sont décrites dans les tableaux III.1 et III.2 et la figure III.11. – Site 24 : La profondeur du substratum est de 119,16 m. La séquence récifale postglaciaire a une épaisseur de 28,3 m et couvre l’intervalle ~15,7 – ~11,7 ka BP. Elle est décrite dans le tableau III.3 et la figure III.12. – Sites 25 : La profondeur du substratum est de 118,62 m pour le site 25A et de 119,04m pour le site 25B. Les séquences récifales post-glaciaires ont une épaisseur de 12,6 m pour le site 25A et de 17 m pour le site 25B et couvrent l’intervalle ~15,8 – ~12 ka BP. Elles sont décrites dans le tableau III.4 et la figure III.13. – Sites 21 : La profondeur du substratum est de 111,28 m pour le site 21A et de 111,17m pour le site 21B. Les séquences récifales post-glaciaires ont une épaisseur de 28,3 m pour le site 21A et de 28,9 m pour le site 21B et couvrent l’intervalle ~14,7 – ~11 ka BP. Elles sont décrites dans le tableau III.5 et la figure III.14. – Sites 23 : La profondeur du substratum est de 93,62 m pour le site 23A et de 97,57 m pour le site 23B. Les séquences récifales post-glaciaires ont une épaisseur de 25,6 m pour le site 23A et de 30 m pour le site 23B et couvrent l’intervalle ~14,5 – ~10,6 ka BP. Elles sont décrites dans le tableau III.6 et la figure III.15.
Synthèse de l’évolution de la ride externe (Fig. III.16)
La partie inférieure des séquences de la ride externe, comprise entre 122 et 117m.s.n.m. (m.s.n.m. : mètres sous le niveau marin actuel) dans les forages les plus profonds (sites 9, 24 et 25) et entre 111 et 107 m.s.n.m. dans les forages moins profonds (site 21), est dominée par l’assemblage à Pocillopora à branches robustes et fines et à Montipora massifs et encroûtants (PM). Cet assemblage est donc le premier à coloniser le substratum pléistocène vers 16 ka BP pour les sites les plus profonds (9, 24, 25) et vers 15 ka BP pour les sites les moins profonds (21). Il forme une unité d’une épaisseur comprise entre 1 et 4 m. Ensuite se développe dans les forages les plus profonds (sites 9, 24 et 25) l’assemblage à Porites massifs (mP) entre 118 et 110 m.s.n.m., ce qui correspond à la période de temps comprise entre ~15,4 et ~14,6 ka BP. Cet assemblage forme une unité d’épaisseur comprise entre 3 et 7 m. Cet assemblage est ensuite remplacé par l’assemblage à Porites branchus et Pocillopora à branches robustes (PP) présent dans tous les forages entre 110 et 100 m.s.n.m., ce qui correspond à la période de temps de ~14,6 à ~13,9 ka BP. Cet assemblage forme une unité d’épaisseur comprise entre 2 et 6 m. Puis apparaît l’assemblage à Porites branchus et à Porites et Montipora encroûtants (PPM) présent dans tous les forages entre 100 et 85m.s.n.m., ce qui correspond à la période de temps de ~13,9 à ~11,5 ka BP. Cet assemblage forme une unité d’épaisseur comprise entre 2 et 15 m.
Synthèse de l’évolution de la ride interne (Fig. III.16)
La partie inférieure des séquences de la ride interne, comprise entre 97 et 90 m.s.n.m., est également dominée par l’assemblage à Pocillopora à branches robustes et fines et à Montipora massifs et encroûtants (PM). Cet assemblage forme une unité d’une épaisseur comprise entre 4 et 7 m qui couvre la période de temps comprise entre ~14,5 et ~14 ka BP. Ensuite se développe l’assemblage à Porites branchus et Pocillopora à branches robustes (PP) présent entre 90 et 80 m.s.n.m., ce qui correspond à la période de temps de ~14 à ~13 ka BP. Cet assemblage forme une unité d’épaisseur comprise entre 8 et 10 m. Cet assemblage est ensuite remplacé par une intercalation de plusieurs assemblages : les assemblages à Porites branchus et à Porites et Montipora encroûtants (PPM), à Porites massifs (mP) et à Acropora tabulaires (tA) présents entre 80 et 72 m.s.n.m., ce qui correspond à la période de temps comprise entre ~13 à ~11,2 ka BP. Cette unité a une épaisseur comprise entre 8 et 10 m. Pour tous les sites des rides externe et interne, le sommet des séquences est dominé par l’assemblage à coraux encroûtants Montipora, Agaricidés et Favidés (AFM). Cette unité a une épaisseur comprise entre 1 et 5 m. Les caractéristiques des sommets de séquence sont décrites dans le paragraphe III. 2. 4. Pour chaque site, l’initiation récifale s’est déroulée dans des environnements peu profonds (<10 m de profondeur ; assemblage PM). Pour les sites 9B, 9D et 25B, le développement récifal a débuté dans des environnements peu profonds (<15 m de profondeur ; assemblages mP et PP) jusqu’à ~110 m.s.n.m. (~14,3 ka BP). L’approfondissement est ensuite progressif (environnements à des profondeurs inférieures à 25 m ; assemblage PPM) jusqu’à 104 m.s.n.m. et se termine par l’ennoiement des séries récifales vers 13,8 ka BP (assemblage AFM, profondeurs supérieures à 20 m). Pour les sites 24A, 21A et 21B, le développement récifal a lieu dans des environnements peu profonds Figure III.17 : Reconstitution des courbes de croissance récifale pour les sites 23, 9, 21, 24 et 25 de Tiarei. Les points correspondent aux âges U-Th et 14C calibrés des coraux en fonction de leurs profondeurs dans les forages. Une régression linéaire pour les points des sites 23, 21, 24 et 9 permet d’obtenir les taux moyens de croissance récifale au niveau de ces sites. Reef growth curves from sites 23, 9, 21, 24 and 25 with mean vertical accretion rates. Courbes de Croissance des séquences de Tiarei y = 0.0071x – 10.181 R 2 = 0.9121 y = 0.0071x + 1.068 R 2 = 0.9394 y = 0.0078x – 5.0633 R 2 = 0.8881 y = 0.0077x + 0.4328 R 2 = 0.8202 60 70 80 90 100 110 120 130 8000 9000 10000 11000 12000 13000 14000 15000 16000 17000 Ages (ans Cal. BP) Profondeur (m.s.n.m.) 23 9 21 24 25 Linéaire (23) Linéaire (21) Linéaire (24) Linéaire (9) Tiarei reef growth curves Ages (Cal. yr BP) Depth (m) (<15m de profondeur ; assemblages mP et PP) jusqu’à ~100-102 m.s.n.m. (~13,9 ka BP). L’approfondissement est ensuite progressif (environnements à des profondeurs inférieures à 25 m ; assemblage PPM) jusqu’à 85 m.s.n.m. et se termine par l’ennoiement des séries récifales vers 11-12 ka BP (assemblage AFM). Pour les sites 23A et 23B, le développement récifal s’est déroulé dans des environnements peu profonds (<15 m de profondeur ; assemblage PP) jusqu’à ~80 m.s.n.m. (~13 ka BP). L’approfondissement est ensuite progressif (environnements à des profondeurs inférieures à 25 m ; assemblages PPM, mP et tA) jusqu’à 72 m.s.n.m. et se termine par l’ennoiement des séries récifales vers 11 ka BP (assemblage AFM). La réponse du récif à l’accélération de l’élévation du niveau marin associée au MWP1A est bien visible dans le forage 24A (Fig. III.18). En effet, l’assemblage à coraux massifs formant une unité continue de 8 m d’épaisseur est remplacé dès le début du MWP-1A (~14,6 ka BP) par des coraux branchus de l’assemblage PP caractérisés par des taux d’accrétion verticale plus importants. Malgré l’augmentation des taux d’accrétion récifale, on note un approfondissement avec le développement de l’assemblage PPM à partir de 13,8 ka BP. Le MWP-1A ne produit ainsi pas un arrêt de la croissance récifale mais un changement de communauté corallienne vers un assemblage plus adapté à une remontée rapide du niveau marin puis un approfondissement progressif. L’ennoiement définitif de cette série a lieu vers 12 ka BP. La réponse du récif est également observable dans le forage 9B (Fig. III.19). L’approfondissement y est plus rapide avec le développement peu important de l’assemblage PP (~1m, carotte 10R) et le passage rapide à l’assemblage PPM dès 14,2 ka BP. L’assemblage PPM connaît ensuite un développement important (~6m d’épaisseur) jusqu’à 13,8 ka BP. L’ennoiement est ensuite plus conséquent avec le développement de l’assemblage AFM (carottes 1, 2 et 3R). Comme dans le forage 24A, le MWP-1A n’induit pas un arrêt brutal de la croissance récifale mais un approfondissement progressif. La zone récifale forée étant plus profonde au niveau du site 9B qu’au site 24A, l’approfondissement y est plus rapide. Les séquences récifales de Tiarei montrent ainsi une succession d’assemblages caractérisant des environnements de plus en plus profonds avec, tout d’abord, l’assemblage PM marquant des pentes récifales de profondeurs inférieures à 6-10 m, puis les assemblages mP et PP qui caractérisent des environnements de profondeurs inférieures à 15 m, puis l’assemblage PPM qui caractérise des environnements de profondeurs inférieures à 25 m et enfin l’assemblage AFM qui caractérise des environnements de profondeurs supérieures à 20m. Cette évolution montre l’approfondissement progressif du milieu et démontre ainsi que le récif est peu à peu distancé par la montée du niveau marin
RÉSUMÉ DE LA THÈSE |