Archéomagnétisme et variations séculaires récente
Introduction à l’archéomagnétisme
Les données
L’archéomagnetisme permet de suivre les variations séculaires du champ magnétique terrestre sur quelques millénaires (période historique et pré-historique), en étudiant principalement des vestiges archéologiques, mais également des laves et sédiments contemporains. Les premiers travaux effectués sur des matériaux archéologiques, les « terres cuites », furent ceux du professeur français Émile Thellier dans les années trente. Mais les études portant sur l’archéomagnétisme n’ont pris leur véritable essor qu’au début des années 80, avec comme principale zone d’investigation l’Europe (voir les compilations de (Genevey et al., 2003, 2008; Kovacheva et al., 2009; Tema and Kondopoulou, 2011)). Les objets archéologiques provenant d’argiles cuites, telles que les briques, les poteries ou encore les céramiques enregistrent parfaitement le champ magnétique auquel ils ont été soumis lors du refroidissement de leur dernière cuisson. Le processus d’acquisition de l’aimantation est exactement le même que celui qui opère pour les laves, il s’agit d’une ATR acquise au cours du refroidissement de l’objet par des minéraux ferromagnétiques telle que la magnétite, présents dans la matière première ou formés pendant la cuisson. L’archéomagnétisme porte également sur l’étude de coulées de lave relativement récentes et sur l’enregistrement sédimentaire. L’ensemble des données collectées par différentes études jusqu’à présent ont été rassemblées en bases de données et plusieurs compilations réalisées à l’échelle mondiale 37 Archéomagnétisme et variations séculaires récentes Introduction à l’archéomagnétisme sont disponibles (Korte et al., 2005; Genevey et al., 2008; Korhonen et al., 2008; Donadini et al., 2009). Toutes montrent un biais d’observation important, tant d’un point de vue de la distribution spatiale que de la distribution temporelle des données. En effet, la distribution des données issues des matériaux archéologiques est très hétérogène géographiquement et temporellement (Fig. 2.1). Seulement 5% des données proviennent de l’hémisphère Sud. Dans l’hémisphère Nord, 70% des données ont été récoltées dans la partie Ouest de l’Eurasie. La distribution des âges est également très inhomogène : plus de 70% des données des 12 derniers milliers d’années proviennent des trois derniers millénaires. L’apport des données sédimentaires, bien que possédant une aimantation moins forte et moins fiable que celle portée par les laves ou les terres cuites, revêt une importance particulière. En effet, la répartition spatiales de ces données est beaucoup plus homogènes et leur distribution temporelle est presque uniforme sur les 12 derniers millénaires (Fig. 2.2). Un point clé dans toute étude archéomagnétique réside dans la capacité à dater précisément les échantillons.
Les datations
Le contrôle précis des âges constitue un élément essentiel pour la reconstruction du champ géomagnétique ancien, en particulier lorsque les données de différents sites doivent être comparées ou utilisées conjointement pour la construction de modèles de champ magnétique. Toute erreur dans l’estimation d’un âge se traduira directement par une erreur dans la variation séculaire sous forme de décalage temporel. Parmi le large éventail des techniques de datation, les principales méthodes utilisées pour dater de objets archéologiques sont basées sur des informations archéologiques ou historique ou sur des méthodes de datation absolue telles que la datation par le carbone 14 (14C) ou la thermoluminescence (Creagh and Bradley, 2000). Les documents écrits d’origine relatant une éruption volcanique par exemple peuvent, en principe, fournir des données de précision annuelle, en supposant que la coulée de lave en question soit correctement identifiée. Documenter la stratigraphie et la chronologie d’un site archéologique est une entreprise périlleuse, et il peut être difficile de décider quelle méthode est la mieux adaptée pour un échantillon donné. Les contraintes d’âge sont les plus fiables lorsque la preuve archéologique est bien fondée et soutenue par des dates absolues. Toutefois, la précision varie considérablement d’un objets à l’autre, d’un site archéologique à un autre, l’incertitude pouvant varier de quelques années à plusieurs siècles. Pour les sédiments, il est courant de réaliser une datation en combinant des méthodes relatives stratigraphiques et des techniques absolues comme le 14C ou le comptage des varves. En principe, le comptage des varves annuelles fournit une échelle de temps extrêmement précise, qui peut être validée par des comparaisons stratigraphiques entre plusieurs carottes d’un lac ou à travers une région mais, une lacune ou le comptage inexact de certaines couches très fines peuvent contribuer à une erreur cumulative dans l’enregistrement. Lorsque plusieurs carottes sont disponibles, un paramètre magnétique, comme la susceptibilité magnétique par exemple, est utilisé pour établir une stratigraphie magnétique locale qui est indépendante des variations géomagnétiques. Cette technique est souvent associées à des marqueurs géologiques distinctifs (par exemple des cendres 39 Introduction à l’archéomagnétisme provenant des éruptions volcaniques, des turbidites, etc …). Sur des échelles de temps plus longues, les mesures des isotopes stables sont utilisées comme marqueurs. Cette stratigraphie interne au sein d’une étude peut alors être utilisée comme base pour une chronologie absolue (Constable and McElhinny, 1985). La datation des échantillons utilisés en archéomagnétisme est une étape primordiale pour la reconstitution du champ magnétique passé tant pour la construction des courbes de variations séculaires que pour le développement de modèle géomagnétiques globaux ou régionaux.
La reconstitution du champ magnétique passé
A partir de l’ensemble de ces données, il est possible de reconstruire l’évolution du champ magnétique terrestre au cours des dix derniers millénaires, sur une échelle régionale ou globale. Dans un premier temps il est possible de construire des courbes de variations séculaires régionales par un lissage simple des données, préalablement relocalisées en un site donné pour s’affranchir de la dépendance latitudinale du champ magnétique. Ces courbes sont généralement construites par moyenne glissante en utilisant la statistique bayésienne (Lanos et al., 2005), qui a l’avantage de tenir compte des erreurs de datation des structures. Plusieurs courbes de ce genre ont été construites pour différentes régions, par exemple pour la Bulgarie (Kovacheva et al., 2009) ou encore pour les Balkans (Tema and Kondopoulou, 2011). Cependant, les reconstitutions à l’échelle globale du champ passé restent primordiales pour comprendre son évolution et donc les mouvements de matière à la surface du noyau liquide. Les modèles globaux doivent d’une part rendre compte de la géométrie du champ magnétique à la surface du globe (en tenant compte des composantes non dipolaires notamment) mais aussi reconstituer son évolution temporelle. Dans cet exercice, la décomposition du champ magnétique en harmonique sphérique est un outil mathématique important (cf. eq. 1.7). Il permet de prendre en compte les termes de bas degré capables de rendre compte des anomalies régionales. L’évolution temporelle des modèles globaux repose des fonctions splines, utilisées en premier lieu par Bloxham and Jackson (1992) pour reconstruire le champ historique. Le nombre et la distribution spatiale et temporelle des données de l’holocène, combinés aux incertitudes d’âge importantes, limitent actuellement la résolution du champ passé et de son évolution à un degré d’harmonique sphérique maximal de 4 ou 5 dans l’espace et à quelques décennies dans le temps. Cependant, si le développement en harmoniques sphériques est tronqué à ces degrés relativement bas et si la variabilité temporelle est limitée à cette valeur, une partie de l’information pourrait être perdue si la fréquence du signal est plus élevée ou si la longueur d’onde est plus courte. Pour remédier à ce problème et pourvoir décrire les variations temporelles rapides et/ou à courtes échelles spatiales, l’élargissement de la série d’harmonique sphérique à des degrés plus élevés ainsi qu’une résolution temporelle plus fine est nécessaire. Ceci implique de régulariser dans l’espace et le temps les modèles afin qu’ils puissent suivre l’évolution des données sans toutefois être trop complexes. La minimisation de la dissipation ohmique à la limite noyau-manteau (Gubbins, 1975) et la minimisation de la norme de la dérivée seconde du champ (accélération séculaire, Bloxham and Jackson (1992)) sont largement utilisées pour régulariser les modèles dans l’espace et le temps.