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ARCHAEPLASTIDA : EMERGENCE DE LA LIGNEE VERTE ET DES PREMIERES ALGUES VERTES
La lignée verte (Archaeplastida) aurait émergé il a 1.5 milliards d’années via l’évènement d’endosymbiose décrit précédemment. Une divergence précoce (~1 milliard d’années) au sein des Archaeplastida a donné naissance à ses deux lignées principales : les Chlorophyta et les Streptophyta, qui ont ensuite suivi des trajectoires évolutives radicalement différentes (Lewis and McCourt, 2004). Les Chlorophyta comprennent deux divisions : les « Prasinophytes » qui ne forment pas un groupe monophylétique et comportent la majorité des espèces picoeucaryotes dans les océans, et les core Chlorophytes comprenant des espèces d’eau douce et marine mais aussi des espèces terrestres (Figure 4) (Leliaert et al., 2011). Chez les Streptophytes on distingue également deux divisions : les Charophytes qui sont des algues d’eau douces avec quelques espèces terrestres et enfin les plantes terrestres qui constituent le groupe le plus diversifié en terme d’espèces photosynthétiques décrites à ce jour (> 400 000) (Lughadha et al., 2016).
Le manuscrit s’intéressera à quelques algues de la lignée des Chlorophytes (Figure 4). Au sein de la division des Prasinophytes on retrouve deux groupes basaux : les Nephroselmidophycées et les Pyramimonales. Les Nephroselmidophycées contiennent les algues du genre Nephroselmis, des algues unicellulaires biflagellées (asymétriques) recouvertes d’écailles non minéralisées, elles possèdent un chloroplaste unique avec pyrénoïde (structure qui concentre les enzymes de la photosynthèse) et un stigma (organite photorécepteur). Parmi les Pyramimonales on retrouve les algues du genre Pyramimonas. Ce sont des unicellulaires recouverts d’écailles non minéralisées possédant 4 à 8 flagelles de taille identique, un chloroplaste unique avec pyrénoïde et un stigma. Leur nom provient de leur forme pyramidale et parfois globuleuse. Les Mamiellales ont quant à elles divergées plus récemment et leurs caractéristiques sont décrites dans le paragraphe 1.4. Enfin, l’espèce Picochlorum costavermella de la classe des Trebouxiophycées parmi les core Chlorophytes sera également citée dans les analyses présentées dans ce manuscrit. Les Trebouxiophycées regroupent des algues de morphologie très simple, sans écailles ni flagelle et le chloroplaste est unique et sans pyrénoïde.
Figure 4. Phylogénie des Archaeplastida (Leliaert et al., 2011).
LES MAMIELLOPHYCEAE
Les Mamiellophyceae forment une classe (classis nova) d’algues vertes (Chlorophyta) qui contient certains des groupes de picoeucaryotes photosynthétiques (diamètre des cellules < 3 µm) les plus importants du point de vue écologique des milieux marins (Massana, 2011). Plusieurs études récentes ont mis en évidence une très large distribution géographique des espèces de la classe des Mamiellophyceae dans de nombreuses zones côtières mais aussi en haute mer (Marin and Melkonian, 2010; Tragin and Vaulot, 2019; Vaulot et al., 2008). Ce phytoplancton peut atteindre des densités de population équivalentes à 103 à 105 cellules/ml d’eau de mer (Countway and Caron, 2006), il possède ainsi un rôle écologique clé dans les réseaux alimentaires marins et les écosystèmes qu’il a colonisés. Ces picoalgues illustrent le succès écologique des cellules eucaryotes miniaturisées : elles présentent une organisation cellulaire simple (une mitochondrie et un chloroplaste) et un rapport surface-volume élevé (Courties et al., 1994) (Figure 5), un caractère avantageux dans les environnements oligotrophes (Schaum et al., 2013).
Figure 5. Morphologie des Mamiellophyceae. Observations au microscope électronique à transmission d’Ostreococcus tauri (A), Bathycoccus prasinos (B) et Micromonas pusilla (C). Ultrastructure 3D d’O. tauri générée par cryotomographie électronique (D). Ch : chloroplaste ; ER : réticulum endoplasmique ; G : appareil de Golgi ; Gr : Granules ; M : mitochondrie ; N : noyau. Sources : Hohmann-Marriott, NIH (A) ; (Moreau et al., 2012) (B) ; Deerinck, Terada, Obiyashi, Ellisman (National Center for Microscopy and Imaging Research) and Worden (MBARI) (C) ; (Henderson et al., 2007) (D).
L’une des principales caractéristiques morphologiques de la classe des Mamiellophycées est la présence d’écailles non minérales (polysaccharides) à la surface des cellules et des flagelles (s’ils sont présents). Ce trait n’est pour autant pas toujours conservé au sein des différents genres. Enfin les Mamiellophycées possède les pigments photosynthétiques de la lignées vertes (chlorophylle a et b) en plus de la prasinoxanthine caractéristique des Prasinophytes (Foss et al., 1984).
Les Mamiellophyceae sont divisés en trois ordres : Monomastigales, Dolichomastigales et Mamiellales. Les ordres Monomastigales et Dolichomastigales contiennent respectivement les familles Monomastigaceae, Dolichomastigaceae et Crustomastigaceae. Les Mamiellales contiennent les familles Mamiellaceae composée des genres Micromonas et Mantoniella et Bathycoccaceae composée des genres Ostreococcus et Bathycoccus (Marin and Melkonian, 2010). Morphologiquement les écailles sont absentes chez les Ostreococcus et les Micromonas, tandis que les flagelles sont également absentes chez Ostreococcus et Bathycoccus. Certains genres, tels que Micromonas, Mamiella, Mantoniella, Dolichomastix, Crustomastix et Monomastix possèdent 1 ou 2 flagelles (Monomastix). Les Doligomastigales sont le groupe le plus diversifié et comporte uniquement des espèces d’eau douces (Monier et al., 2016) tandis que les chez les Mamiellales les espèces décrites sont essentiellement marines.
PHYLOGENIE DES VIRUS DES MICROALGUES DU PHYTOPLANCTON EUCARYOTE HISTORIQUE
La première description faite d’un virus est attribuée à deux chercheurs qui travaillaient indépendamment sur la maladie de la mosaïque du tabac. En 1892, le biologiste russe Dimitri Ivanovski démontre que la maladie est due à un agent infectieux filtrant qui ne peut pas être bactérien. En 1898, le hollandais Martinius Beijerinck vient compléter cette observation en démontrant la diffusion du pathogène au travers d’un gel d’agar : il le définit comme un agent infectieux soluble (contagium vivum fluidum) (Lecoq, 2001). Il sera le premier à appeler « virus » l’agent causal de la mosaïque du tabac. Cependant, ce n’est qu’à la fin des années 1930 que les virus purent être observés pour la première fois grâce à l’invention de la microscopie électronique (Kausche et al., 1939). Par ailleurs, il faudra attendre les années 1950 pour qu’une définition précise des virus soit proposée par le biologiste français André Lwoff, décrivant les virus comme des parasites intracellulaires absolus, ne se reproduisant qu’à partir de leur matériel génétique et par réplication grâce à la machinerie cellulaire de leur hôte. Enfin, les virus ne contiennent qu’un seul type d’acide nucléique (ADN ou ARN) qui constitue leur génome viral.
Il est intéressant d’observer que les virus sont souvent évoqués au travers de leur pathogénicité mais les interactions hôte-virus les plus répandues sont commensales et mutualistes (Roossinck and Bazán, 2017). Cette diversité d’interactions s’accompagne d’une diversité de mécanismes moléculaires considérable.
STRUCTURE ET CARACTERISTIQUES DES VIRUS
Les virus sont constitués d’une capside, un ensemble d’unités protéiques qui structuré autour du génome viral. Le rapport géométrique des différentes unités protéiques aboutit à trois formes caractéristiques de capsides : les capsides à symétrie hélicoïdale, icosaédrique (20 faces) ou encore mixte avec une tête icosaédrique et une queue hélicoïdale (bactériophages) (Figure 6). Cette capside peut elle-même être incluse dans une enveloppe de nature lipoprotéique selon la classe de virus. Enfin, le génome viral se décline sous plusieurs formes selon la nature du virus et peut être constitué d’ADN, d’ARN, simple ou double brin, linéaire ou circulaire.
Figure 6. Diversité structurelle des virus. En vert sont représentées les capsides à symétrie hélicoïdale (a, b, d, e, i, m), icosaédrique (c, h, j, k, l) ou encore mixte (f, g). En jaune sont représentées les enveloppes des virus.
Il existe deux processus de réplication virale majoritaires : la réplication lytique et la réplication lysogénique. Toutes les deux reposent sur la reconnaissance par le virus de son hôte et le contournement de son système immunitaire afin de pouvoir pénétrer et détourner le métabolisme cellulaire hôte afin de se répliquer à l’intérieur de celui-ci. Dans le cadre de la réplication lytique, à la suite de l’assemblage de l’ADN viral et des différents éléments de la capside dans la cellule hôte, les nouvelles particules virales sont libérées par lyse cellulaire. Dans le cas de la réplication lysogénique une phase de latence est observée ; après entrée dans la cellule le génome viral est incorporé au génome de l’hôte. Ainsi, le génome viral est répliqué avec celui de son hôte lors des phases de division cellulaire. A l’occasion de stress ou conditions environnementales particulières la phase lysogénique peut basculer vers une phase lytique où les particules virales seront produites et dispersées. Cette capacité d’infection est conditionnée par le spectre d’hôte du virus, c’est-à-dire sa capacité à reconnaitre une cellule ou organisme hôte dans lequel il va pouvoir réaliser son cycle de réplication en contournant ses défenses, détournant son métabolisme et enfin induisant sa mort dans le cas d’une interaction antagoniste (pathogène). Bien souvent les virus ont une spécificité à un spectre restreint d’hôte, réduit parfois même à des souches particulières au sein d’une même espèce (Baudoux et al., 2015; Clerissi et al., 2012; Yau et al., 2020).
IMPACTS DES VIRUS MARINS SUR LEURS ECOSYSTEMES
L’observation du premier virus marin, un bactériophage, est réalisée par Spencer en 1955 (Spencer, 1955). Ce n’est toutefois qu’au début des années 1990 que la virologie marine connait un essor particulier, on découvre alors que les virus marins sont les entités biologiques les plus abondantes dans les océans (Bergh et al., 1989) et qu’ils exercent à ce titre une pression majeure sur les écosystèmes et leur évolution (Middelboe and Brussaard, 2017). Il est estimé que 20 à 40% des microorganismes marins et 25% des populations phytoplanctoniques sont lysées chaque jour par des virus (Suttle, 2007). La mort induite par les virus d’une large part de la vie marine libère dans l’environnement de nombreux éléments cellulaires (débris) qui vont constituer un réservoir de matière organique dissoutes (MOD) et de minéraux. La MOD sera une source nutritive pour les organismes hétérotrophes du milieu et les minéraux seront réassimilés par la fraction photosynthétique du plancton (Poorvin et al., 2004). Ce phénomène est appelé « shunt viral » car le carbone fixé par le plancton n’est pas transféré aux niveaux trophiques supérieurs mais sera recyclé par ce même plancton (Wilhelm and Suttle, 1999). Ainsi, entre 2 à 26% du carbone fixé par le phytoplancton serait recyclé en MOD par la lyse virale.
En contrôlant les populations planctoniques, les virus agissent directement sur la disponibilité des éléments nutritifs et donc sur le déroulement des cycles biogéochimiques. Ils ont ainsi une influence à l’échelle planétaire qui va bien au-delà de l’effet sur la communauté planctonique infectée. Le cas le plus remarquable est le relargage de molécules soufrées (diméthylsulfure – DMS et diméthylsulfoniopropionate – DMSP) par les populations planctoniques lysées qui agissent en tant que catalyseurs dans la formation des nuages et de pluies acides (Bratbak et al., 1995). Par ailleurs, DMS et DMSP renforcent l’albedo, réduisant l’irradiation et stabilisant ainsi les températures de l’atmosphère terrestre (Charlson et al., 1987).
LES VIRUS DU PHYTOPLANCTON
Plusieurs analyses métagénomiques récentes ont permis de révéler une diversité génétique spectaculaire de virus marins (Gong et al., 2018; Gregory et al., 2019). Si la plupart des virus marins sont des bactériophages (Breitbart, 2012), les virus qui infectent le phytoplancton eucaryote appartenant au groupe des NCLDV (NucleoCytoplasmic Large DNA Viruses, grand virus nucléocytoplasmique) représenterait jusqu’à 10% de la diversité virale marine (Brussaard, 2004). Les NCLDV forment un groupe monophylétique et infectent de nombreux eucaryotes autres que le phytoplancton eucaryote (animaux et amibes) (Iyer et al., 2006). Dix familles composent ce groupe parmi lesquelles on retrouve les Ascoviridae, Asfarviridae, Iridoviridae, Marseilleviridae, Megaviridae, Mimiviridae, Pandoraviridae, Pithoviridae, Poxviridae et les Phycodnaviridae (Abergel et al., 2015) (Figure 7). Les virus des NCLDV ont pour particularité de se répliquer dans le cytoplasme. Les Phycodnaviridae sont caractérisés par une capside icosaédrique d’une taille comprise entre 100 et 220 nm (ce qui en fait des virus géants), l’absence de queue et d’enveloppe autour de la capside, ce qui en font des virus structurellement très proches des Herpèsvirus (Figure 6c). Les génomes sont à ADN double brin composé de 170 à 560 kilo paires de bases (Van Etten et al., 2010). L’identification des espèces repose sur deux marqueurs moléculaires : la séquence de la polymérase B (polB) et la séquence de protéine de la capside majeure (MCP : Major Capside Protein). La famille des Phycodnaviridae est composée de sept genres nommés d’après les espèces qu’ils infectent : Chlorovirus, Coccolithovirus, Mimiviridae, Prasinovirus, Prymnesiovirus, Phaeovirus et Raphidovirus (Maruyama and Ueki, 2016).
Les Prasinovirus sont également un genre monophylétique. Les souches décrites infectent trois genres de microalgues de la famille des Mamiellophyceae : le premier Prasinovirus décrit fût MpV (Micromonas pusilla Virus), un virus infectant le genre Micromonas (Mayer and Taylor, 1979), BpV infectent les algues du genre Bathycoccus tandis que l’on distingue les souches infectant le genre Ostreococcus ; OtV infecte l’espèce Ostreococcus tauri, OmV infecte O. mediterraneus, enfin OlV infecte O. lucimarinus (Figure 8). Le spectre d’infection d’une souche de Prasinovirus est souvent limité à quelques souches de microalgues au sein d’une même espèce (Clerissi et al., 2012; Yau et al., 2020).
Figure 8. Morphologie des Prasinovirus. Observations de virus au microscope à transmission électronique. Micromonas pusilla virus (MpV) (A, B), Ostreococcus tauri virus 5 (OtV5) (C) (Weynberg et al., 2017), virus OtV5 ancrés à la membrane de leur hôte O. tauri (D) et lyse d’O. tauri et dispersion des particules virales OtV5 (E) (Bellec and Desdevises, 2015).
Table des matières
Chapitre I – Introduction
1. Présentation du système biologique phytoplancton eucaryote-virus
1.1. Le phytoplancton
1.2. Le phytoplancton eucaryote
1.3. Archaeplastida : émergence de la lignée verte et des premières algues vertes
1.4. Les Mamiellophyceae
1.5. Phylogénie des virus des microalgues du phytoplancton eucaryote
2. Étude des interactions microalgues-virus
2.1. Dynamique hôte-virus : la notion de phénotype immunitaire
2.2. Les différentes étapes de l’infection virale
2.3. Les caractéristiques génomiques de la résistance du système Ostreococcus-Prasinovirus 20
3. Approche métabolomique dans l’étude des interactions microalgues-virus
3.1. Méthodologie, définitions et concepts.
3.2. Méthodes d’extractions, d’analyses, annotation et identification.
3.3. Classification des lipides
3.4. Biosynthèse des sphingolipides
3.5. Biosynthèse des terpènes
3.6. Approche intégrative : la métabolomique dans l’étude du système microalgue-virus.
4. Objectifs de la thèse
Chapitre II – Diversité métabolomique des Prasinophytes. La métabolomique comme outil de compréhension de l’histoire évolutive du phytoplancton eucaryote ?
1. Introduction
2. Results
2.1. An Untargeted Holistic Analysis of Metabolomic Profiles
2.2. Identification of the Major Metabolites and Detection of Chemotaxonomic Markers
2.3. Phylogenetic Analysis and Metabolome-Based Taxonomy
3. Materials and Methods
4. References
Chapitre III – Approche intégrative : du transcriptome au métabolome pour comprendre la régulation des gènes sur le métabolisme cellulaire dans le cadre de la résistance antivirale.
1. Introduction
2. Plan expérimental
3. Analyse transcriptomique des profils immunitaires résistants et sensibles au virus OmV2
3.1. Résultats
3.2. Conclusion
4. Analyse métabolomique de profils résistants et sensibles au virus OmV2
4.1. Résultats
4.2. Discussion
5. L’approche intégrative du transcriptome au métabolome : comprendre comment se traduit la régulation des gènes sur le métabolisme cellulaire
5.1. Lien gène-métabolite : preuve de concept
5.2. Du métabolite à l’expression des gènes : le cas des galactolipides
5.3. Du métabolite à l’expression des gènes : le cas des phytostérols
5.4. Du métabolite à l’annotation fonctionnelle d’un nouveau gène : le cas des céramides
6. Conclusion
7. Matériels & Méthodes
Chapitre IV – Analyse métabolomique du virus OmV2
1. Introduction
2. Résultats & Discussion
3. Conclusion & Perspectives
4. Matériel & Méthodes
Chapitre V – Conclusions et perspectives de la thèse
Références Bibliographiques
Figures supplémentaires du Chapitre II
Figures supplémentaires du Chapitre III
Figures supplémentaires du Chapitre IV