Appui de la gestion écologique par des législations spécifiques, l’exempledes zones humides
La spécificité insulaire émerge en droit à travers la consécration des normes environnementales pour la protection de certains éléments de la nature. Ces dispositions sont nécessaires pour consolider et encadrer la gestion écologique des îles. L’exemple des zones humides insulaires est saillant puisque ces écosystèmes particuliers ont conduit à l’adoption du premier texte juridique spécifique à leur protection, qui plus est adopté spécifiquement pour les îles Méditerranéennes. En effet, la Résolution XII.14 de la COP 12 de Ramsar en date du 2015 est destinée à la protection des zones humides insulaires du bassin méditerranéen. La Résolution introduit la nécessité d’un cadre commun pour la conservation de la nature insulaire des îles du bassin. Cette nécessité dépasse les frontières et les différences institutionnelles ou géomorphologiques et fait donc émerger les îles de la Méditerranée en tant que groupe de référence juridique en matière d’environnement. Il s’agit d’une émergence au niveau international, qui nécessite des actions sur tous les ordres juridiques et elle implique tous les niveaux institutionnels (§ 1). En pratique, la Résolution est adoptée alors que les pays concernés traitent leurs zones humides insulaires d’une manière contradictoire. Par conséquent, la réussite de la mise en œuvre de la Résolution est tributaire de l’engagement des États concernés (§ 2). § 1. Une Résolution nécessitant la prise de mesures à tous les ordres juridiques et niveaux institutionnels La Résolution XII.14 reflète la capacité du droit à réussir la défragmentation des normes par l’influence que les initiatives locales peuvent avoir à l’égard du droit international et vice-versa. Le retour des communications entre le niveau local, grec en l’occurrence, et les autorités centrales et régionales ont abouti à une consécration internationale des obligations précises pour toutes les îles méditerranéennes (A). La Résolution XII.14 n’était pourtant pas la première adoptée au sein de la COP de Ramsar qui a prié les États d’être vigilant quant aux zones humides insulaires. Sauf que les documents précédents ne mentionnaient pas les îles de la Méditerranée et leur contenu n’était pas applicable au bassin (B). 409 Appui de la gestion écologique par des législations spécifiques, l’exempledes zones humides
L’internationalisation d’un principe et d’une méthode pour la protection efficace des zones humides insulaire
La Résolution XII.14 contient un principe et une méthode pour la protection des zones humides insulaires. Le principe est la nécessité d’un cadre juridique adapté et la méthode concerne leur identification rapide et simple. La nécessité d’une méthode efficace a été constatée lors d’un projet initié en Grèce en 2009 par l’antenne locale du Fond mondial pour la nature (WWF). Les résultats du projet, géographiquement circonscrit aux îles de la mer Égée à l’origine, ont montré que les zones humides insulaires sont souvent méconnues par l’administration, ce qui les rend très vulnérables. Elles ont besoin d’une reconnaissance et d’une protection juridique (1). Grâce à la réussite du programme au niveau national, la reproduction de la démarche à l’échelle des îles de la Méditerranée a été envisagée. La Résolution finalement adoptée sous l’égide de la Convention de Ramsar contient des obligations précises et normatives (2).
D’un programme local à une Résolution internationale
Le programme pour la « Conservation des zones humides insulaires de Grèce », entamé en 2009 par le WWF grec a été le point de départ pour appréhender la richesse et la vulnérabilité de ces espaces particuliers. Le résultat suscité est un changement de la position de l’administration envers ces écosystèmes, suivi d’un corpus législatif. Financée par des fonds privés, l’ONG a entrepris un travail d’inventaire des zones humides, au début dans les îles de la mer Égée et par la suite dans toutes les îles grecques. Il a été indiqué que les zones humides insulaires jouent un rôle majeur pour la conservation de la biodiversité mondiale, puisqu’elles sont des points de passage pour les oiseaux migrateurs. Si la Méditerranée est un hotspot pour la biodiversité mondiale et ses îles sont des terres de concentration extrême de biodiversité (hotspot au carré), leurs zones humides le sont davantage encore. Elles sont caractérisées comme des « diamants » de biodiversité puisqu’elles concentrent le maximum d’espèces qu’une île peut avoir1344. Ceci est dû à la richesse écologique des zones humides, comme écosystèmes accueillants des plantes hydrophiles et des espèces animales terrestres et aquatiques. De plus, les zones humides ont pour fonction d’absorber le CO2, elles sont donc parmi les solutions clés pour lutter contre le changement climatique. Selon des recherches récentes, les zones humides insulaires sont des « bibliothèques » de l’histoire biogéographique des îles1345 .Ces « bombes de biodiversité » sont souvent très petites, d’une taille de moins d’un hectare. Elles sont très vulnérables à cause de leur superficie et peuvent être détruites en très peu de temps. C’est pourquoi il est nécessaire de connaître et surveiller leur existence, leurs limites et leur état écologique. Or, elles sont généralement oubliées, l’administration n’inventoriant que rarement les plus petites zones humides. En conséquence, elles ne sont ni surveillées ni protégées et leur destruction est faite sans s’en apercevoir. Très peu de plus petites zones humides insulaires sont aujourd’hui protégées au titre d’un régime de protection et encore moins sont inscrites dans la liste de Ramsar de zones humides d’importance internationale. L’exemple de la Grèce est flagrant. Les autorités ignoraient l’existence et l’importance écologique des zones humides des îles, aucune aire protégée ne se trouvait dans ces sites et aucun des onze sites classés dans la liste Ramsar n’est insulaire. L’absence d’un engagement national et international de la part de la Grèce vis-à-vis des zones humides insulaires ne peut qu’entraver leur protection et faciliter leur destruction. Étant donné que la majorité des zones humides des îles grecques se trouvent dans la zone littorale, derrière les plages, leur destruction est souvent provoquée par l’installation des établissements touristiques.
Une résolution dont découlent des obligations normatives
La Résolution XII.14 intitulée résolution pour la conservation des zones humides des îles du bassin méditerranéen1352 pose les jalons d’une protection cohérente de zones humides dans toutes les îles de la Méditerranée. La justification de son adoption repose sur le fait que toutes les zones humides insulaires accumulent les mêmes fonctions écologiques, et ont une grande valeur économique, sociale et culturelle pour les habitants des îles. En Méditerranée, ces biotopes sont menacés par des enjeux similaires, tel que le développement urbain et surtout côtier. La Résolution XII.14 entérine au niveau mondial une législation nationale qui innove en établissant une liste des zones humides insulaires à protéger. À travers cette décision internationale, les évidences scientifiques concernant la spécificité des îles en matière de biodiversité trouvent une reconnaissance juridique. Le texte appelle les pays du bassin à adopter une stratégie pour les zones humides insulaires méditerranéennes. Ce « plan d’attaque » pour la conservation des zones humides insulaires est composé d’obligations précises, que l’on peut répartir selon trois axes stratégiques (v. figure 2). Le premier axe est la stabilisation des connaissances sur les zones humides insulaires, le deuxième est la protection nationale et le troisième est la protection internationale. La stabilisation des connaissances est envisagée par la production d’inventaires ainsi que par la surveillance des zones humides identifiées. En effet, les États doivent « produire ou mettre à jour, de manière hautement prioritaire, un inventaire complet et scientifiquement fondé des zones humides insulaires » (§16). Ceci est nécessaire dans la mesure où aucun inventaire officiel et complet n’existe à ce jour au niveau méditerranéen, bien que la majorité des pays ont entamé plusieurs projets dans cette direction. Un recensement répondant aux exigences de la Résolution est en cours d’élaboration, par des scientifiques spécialistes de neuf pays concernés, regroupés autour de huit ONG locales sous le projet intitulé MedIsWet1353. Financé par la fondation MAVA1354, le projet MedIsWet est en lien avec MedWet, le programme régional de la Convention de Ramsar pour la Méditerranée. En pratique, les ONG ont pris l’initiative de compléter les inventaires nationaux,mettre les données en ligne et informer les autorités nationales et locales de leurs résultats. Cet inventaire a pour but d’identifier les zones prioritaires, les menaces, les zones à restaurer ainsi que les zones humides mises en danger par certaines activités. L’utilisation de ces données devrait faciliter la définition d’une stratégie pour leur protection.