Appropriation historique et culturelle de la Crimée

Appropriation historique et culturelle de la Crimée

Le présent chapitre examine la rhétorique identitaire des dirigeants russes justifiant l’incorporation de la Crimée. Aux fins de l’analyse, les processus de construction de cette rhétorique ont été identifiés. Pour ce faire, les contextes, les acteurs et les idéologies impliqués dans sa formation ont été retracés. Dans le cas de l’incorporation de la Crimée, la rhétorique identitaire s’est incarnée à travers un discours promouvant l’unité entre les peuples slaves, dont les Russes, les Ukrainiens et les Biélorusses. Ce discours, prenant racine au travers des relations entre l’Église orthodoxe russe et l’État, a visé à démontrer les liens historiques et culturels entre d’une part la Fédération de Russie et l’Ukraine et d’autre part, la Fédération de Russie et la Crimée. Le discours unitaire a également été appuyé par des actes patrimonialisation : l’érection de monuments commémorant la gloire militaire russe en Crimée et l’érection à Moscou d’un monument dédié au prince Vladimir, perçu comme l’unificateur des peuples slaves. Pour les dirigeants russes, ces faits historiques justifieraient l’incorporation de la Crimée.

patrimoine et patrimonialisation

Le concept de patrimoine a, dans un premier temps, été défini dans le domaine judiciaire comme « un bien transmis de père en fils et de génération en génération » avant de s’insérer dans le domaine de la culture où il va de pair avec l’identité de différents groupes sociaux. Tel que spécifié par Berthold (2012 : 1) ces monuments, ces objets, ou même ces héritages immatériels seraient « invités à raconter le passé des collectivités nationales en pleine émergence. » Le patrimoine serait donc défini en tant que construction sociale permettant la réinterprétation du passé dans les temps présents, d’où l’importance de sa conservation et de sa mise en valeur. Le patrimoine pourrait également s’insérer dans le domaine politique afin de légitimer le pouvoir de certains acteurs. C’est ce processus de construction du patrimoine qui pourrait être qualifié de « patrimonialisation ». L’étude du patrimoine et de la patrimonialisation serait d’intérêt « dans la mesure où il [le patrimoine] traduit une construction qui, à son tour, renseigne au moins autant sur les individus et sur la collectivité qui l’orchestrent que sur les objets qui en découlent » (Berthold, 2012 : 2).

Afin d’étudier le patrimoine, il conviendrait de le « déconstruire », c’est-à-dire identifier les significations et les processus sous-tendant la mise en valeur, la conservation d’un objet ou l’érection d’un monument, pouvant varier en fonction des discours, des pratiques ou des contextes. L’approche consistant à caractériser et décrire les biens mis en patrimoine serait considérée comme insuffisante. Il aurait plutôt lieu, comme Berthold le souligne, de répertorier et d’analyser trois processus à l’œuvre derrière la patrimonialisation : des domaines du savoir, des idéologies et des contextes. Dans un premier temps, concernant les domaines du savoir, plusieurs disciplines ont étudié le patrimoine et la patrimonialisation allant de l’histoire, de l’histoire de l’art, de l’histoire de l’architecture en passant par l’ethnologie et l’anthropologie chacune possédant leurs principaux théoriciens et définitions. L’étude du patrimoine serait donc perçue comme étant interdisciplinaire. Par exemple, en histoire, les travaux d’Eric Hobsbawm, de Benedict Anderson et de Pierre Nora figureraient parmi les plus marquants en étudiant les « processus de construction des traditions », les « modes de construction de l’imaginaire national » et le patrimoine culturel en fonction des « mémoires solidaires de contextes sociaux et politiques mouvant » tandis qu’en ethnologie ou en anthropologie, les œuvres d’Arjun Appadurai seraient importantes en abordant des fonctions politiques, économiques ou culturelles imputables aux divers objets (Berthold, 2012 : 3-10). Dans un second temps, les idéologies (romantiques, conservatrices, libérales, néonationalistes, etc.) contribueraient à l’étude de la patrimonialisation devant être perçue sous l’angle de l’interprétation. Les travaux de Fernand Dumont ont abordé ces idées en profondeur. Pour ce sociologue, les idéologies, tout comme la culture, seraient un dédoublement; la culture serait dialectique, opposant une culture première à une culture seconde. L’homme possèderait une culture première, agissant comme un donné, c’est-à-dire comme la culture en tant que telle (schéma d’action, coutumes, réseaux). Or, une culture seconde, agissant comme un construit, c’est-à-dire la représentation de cette même culture, tenterait de s’immiscer dans la première. Il en irait de même pour l’idéologie, devant être saisie pour elle-même, mais aussi en fonction des représentations que s’en font les individus ou les collectivités (Berthold, 2012 : 22). Dans un troisième temps, les contextes (période d’activités économiques et touristiques, économie agricole, rénovation urbaine, etc.) et les discours devraient également être pris en compte dans l’étude de la patrimonialisation (Berthold, 2012 : 26).

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