Approches esthétique, médiatique et sémantique du design interactif

Approches esthétique, médiatique et sémantique du
design interactif

Triade, trilogie, et tripartition

 Le design interactif, constitutif de l’interface entre l’homme et la machine ordinateur, se développe à la fin du siècle passé. Après une mise en place des processus de calcul informatique au moyen d’écrans noirs sur lesquels s’inscrivaient des requêtes codées en blanc que formulait l’utilisateur éclairé, l’environnement graphique est apparu afin de démocratiser l’usage de l’ordinateur personnel. L’image ainsi cadrée par l’écran se confronte à un usage qui lui était étranger jusqu’au XXe siècle, celui de la manipulation. L’interactivité de l’image investit chaque foyer équipé d’un ordinateur, détrônant l’image télévisée qui sidérait, le soir, le travailleur fatigué. A la fascination morbide d’une image filmique passive et invasive succède un design saisissable, docile, une posture active. 

Triade 

Le design interactif remet en cause les paradigmes précédents qui déterminaient les notions d’auteur et de spectateur, le point de vue, l’œuvre, sa clôture, son unicité, la narration et le spectacle. L’image qui d’abord se voyait (percept), et ensuite se comprenait (concept), se voit investie d’une troisième dimension par l’interactivité : la manipulation (construct), nouveau paradigme largement commenté en Sciences de l’Information et de la Communication. Cette triade de l’approche engagée du spectateur pose des interrogations quant à la médiation du design interactif dans ces aspects esthétique, médiatique et sémantique. Trilogie Que deviennent les notions d’œuvre et d’auteur, dans un design mouvant lié à ses conditions d’émergence ? Sur le plan esthétique, le design interactif constituet-il une esthétique du numérique à part entière ou est-il l’outil d’un monde numérique esthétisé ? Chaque utilisateur construit un parcours singulier qui remet en cause la validation symbolique traditionnelle de l’unicité de l’œuvre. Les choix individuels de consultation entament-ils l’homogénéité de l’objet esthétique ? Quelle culture peut-on convoquer lorsque l’énonciation du design est interactive ? Le design énoncé par le geste de l’utilisateur mute-t-il celui-ci en co-auteur de la production ? On s’interroge sur le statut du design en regard de son interactivité.  L’étude du design interactif se fait selon deux points de vue bien différents : celui du concepteur, qui élabore un corps graphique Approches esthétique, médiatique, et sémantique du design interactif 4 Christine Bréandon. Thèse de Doctorat. Université du sud Toulon-Var polymorphe dont il sait que seul un fragment émergera dans l’énonciation de l’utilisateur, et celui de l’utilisateur qui énonce un corps graphique homogène et chronologique à ses choix en ignorant tous les possibles qu’il ne convoque pas. Sur le plan médiatique, l’interactivité favorise une relation personnelle avec l’application qui questionne sur l’image multimédia : la manipulation de l’image crée un récit émergent, variable d’un utilisateur à l’autre, dans l’espace homogène d’une application. Le geste interactif de l’utilisateur rend celui-ci responsable de l’apparition des formes et des contenus à l’écran. Ses choix de navigation créent-il une hybridation de l’image virtuelle sur sa réalité expérimentée ? Que devient la mise à distance d’une représentation lorsque le spectateur manipule les objets symboliques ?  Le design interactif est un hypermédia qui permet à la fois une énonciation individualisée et une infinité de formulations en convoquant l’action réticulaire de l’hyperlien. La médiation d’un récit existe-telle encore alors que le spectateur est en posture d’auteur ? Peut-on évaluer le degré et les enjeux de l’individualisation d’une consultation interactive ? Pour souligner la notion factuelle autant que conceptuelle du vocable designer, nous choisissons d’utiliser le néologisme « design-eur ». En effet, l’acception anglo-saxonne met l’accent sur la conceptualisation du projet, alors que l’acception française introduit également la réalisation (sur la question de la forme et de la fonction, cf. Dessein et dessin : le design, p. 41).  Nous considérons ainsi le design-eur à la fois comme un auteur et un acteur de la réalisation émergente : il n’est pas seulement celui qui pense, conçoit, réalise et délègue ensuite sa production à l’interacteur, mais il participe aussi, en différé, à la production émergente7 7 Au sens de la systémique de Francisco Varela et Edgard Morin. dans le récit interactif de l’utilisateur. Introduction 5 Christine Bréandon. Thèse de Doctorat. Université du sud Toulon-Var Le design-eur est l’auteur-acteur du design interactif durant toute la manipulation de l’interacteur : les sémioses 8 Figure 35 : Modélisation simplifiée des flux de sémioses activées par l’objet des deux interlocuteurs se rencontrent et négocient le sens individualisé articulé à la sémiose intrinsèque de l’objet « design » (cf. , p. 215). Nous nous rapprochons de la définition de l’authoring introduite en France sous le néologisme d’ « auteurisation » ou « processus d’auteurisation » (François Cooren, cité par James Renwick Taylor9 ), à savoir l’action en cours et continue de l’auteur10 L’analyse, l’enquête, et l’expérimentation sont utilisées pour évaluer la stratégie du design-eur, les réactions réceptives d’un groupe de répondants, et l’observation mesurée de l’individualisation des récits d’un groupe de participants. . D’un point de vue sémantique, on se pose la question du message dans une situation d’individualisation de la consultation. Un message contingent peut-il être partagé ? Quelle représentation symbolique l’utilisateur se fait-il d’un message alors singularisé ? Le concepteur du design interactif fantasme les attentes du récepteur et prévoit les boucles narratives possibles de son application. Le récepteur du message interprète selon ses habitudes et sa culture, le message visuel polysémique. Quels sont les constantes et variables entre le message émis et celui reçu ? La consultation de l’utilisateur construit-elle un sens partagé ou singulier ? Le design interactif est-il l’œuvre ouverte à laquelle chacun prête un sens contextuel ? On s’interroge sur les modalités de communication d’un message du point de vue de l’émetteur alors que sa formulation est singularisée et contingentée. L’entretien avec le concepteur d’une application générique permet d’évaluer son anticipation de la polysémie; l’étude de cas envisage la surface sémantique du design mouvant mise en place par le concepteur afin de guider l’interprétation ; l’observation participante et l’enquête recueillent les données effectives de réception du message auprès d’un panel de répondants, ce qui autorise à évaluer le degré de déformation ou perte du message émis (Bréandon et Renucci, 2012). Nous guidons notre analyse selon trois concepts, celui du design tout d’abord, qui nécessite dans préciser le champ d’étude, ensuite celui du récit, qui organise le lien narratif entre le message iconique et l’utilisateur, et enfin celui de l’individualisation, qui souligne la dimension sensible qu’apporte le design interactif au moyen d’une délégation d’énonciation envers l’utilisateur. Cette problématique porte sur la tension du concept de design entre sa stratégie de communication visuelle et la contingence de son émergence liée au métarécit de l’utilisateur en liberté surveillée. Selon Pierre Barboza, le métarécit « c’est la construction du récit singulier par l’interacteur. Le métarécit est le résultat du parcours fictionnel de l’un des récits possibles contenus dans la macrostructure narrative. Le métarécit se construit en fonction du parcours du spectateur dans les différents espaces discursifs qui constituent l’hyperfiction. » (Barboza, 2006 : 266). 

Tripartition 

Cette recherche engagée sur trois ans met en abyme un rythme ternaire éminemment esthétique. Trois concepts autour du design interactif sont étudiés, trois variables en sont extraites, trois points de vue sont avancés, selon trois méthodes d’enquête, pour atteindre à des conclusions issues d’une analyse croisée des trois dimensions du design interactif retenues : esthétique, médiatique, sémantique. Ces conclusions qualitatives sont ensuite confrontées aux données quantitatives recueillies au moyen d’une expérimentation d’oculométrie. Introduction 7 Christine Bréandon. Thèse de Doctorat. Université du sud Toulon-Var Ce mémoire rend compte de nos travaux selon trois grandes sections, chacune divisée en trois chapitres : – La première section expose la définition du champ d’étude, ensuite l’hypothèse de recherche et la problématique, et enfin la méthodologie inscrite dans le corpus théorique de la sémiologie. C’est chronologiquement la phase abductive11 – La deuxième partie réalise une étude de cas sur un site web, selon trois points de vue : celui du design-eur (au moyen d’un entretien semidirectif), celui de l’utilisateur (une enquête en observation participante), et celui du chercheur objectif (une analyse de contenu). Chacun des trois chapitres développe respectivement les trois variables retenues : esthétique, médiatique, sémantique. Il s’agit alors d’émettre des conclusions inductives. de l’hypothèse en construction. – La troisième grande section rapporte la démarche expérimentale d’oculométrie, ainsi que les conclusions du chercheur par une interprétation croisée entre les mesures recueillies par l’expérimentation et les conclusions inductives précédentes.

 Précisions sur les trois concepts retenus

 Nous considérons le terme design dans sa double acception, à la fois dessein (concept, ergonomie, fonction) et dessin (produit, esthétique, forme) tel que le définissent les fonctionnalistes allemands de l’Ecole du Bauhaus dès 1919. Traitant à la fois de la forme et de la fonction dans leur dimension communicationnelle, notre cadre théorique est celui de la sémiopragmatique actuelle de Bernard Darras et Jean-Jacques Boutaud, en droite ligne de la Gestalttheorie (théorie de la configuration), elle-même relayée par les travaux du Groupe μ (1992). Cependant, il est à noter que cette bipartition est diachronique. En effet, la culture contemporaine de la dématérialisation des objets tend à rapprocher les objets de la sphère communicationnelle (clavier à projection), et à rendre le langage fonctionnel à son tour (lien hypertexte), comme le souligne 11 Selon la méthodologie scientifique de C. S. Peirce que nous argumentons au chapitre 3 de ce recueil. Approches esthétique, médiatique, et sémantique du design interactif 8 Christine Bréandon. Thèse de Doctorat. Université du sud Toulon-Var Alessandro Zinna (2009 : 85) : « Malgré la mondialisation des objets, chaque culture est le paradigme où lire leur design, enchaînement, disposition et pratique comme un choix d’appropriation : tout en sachant que les cultures de production et celles de réception peuvent être éloignées les unes des autres [soit] autant La notion de récit est activée par la dimension interactive du design étudié. Elle articule deux postures, celle de l’auteur de la diégèse dans l’espace que dans le temps ». – telle que Gérard Genette la définit – et celle du lecteur qui confond les rôles d’acteur et de spectateur. L’interactivité de l’image place l’utilisateur dans la posture du héros suivant le schéma actanciel d’Algirdas J. Greimas, puisqu’il participe de l’émergence du récit. Le concept d’image actée de Jean-Louis Weissberg (1997) définit ce nouveau paradigme autour de la délégation d’énonciation entre l’auteur et le spectacteur15  L’auteur construit une narration polymorphe et polysémique dans l’hypermédia dont l’utilisateur n’a qu’une connaissance monosémique et uniforme à travers un parcours de navigation singulier. (Weissberg, 2000). Le récit est lié aux conditions singulières de son émergence et procède ainsi d’un point de vue interne par la réduction de la distance héros/spectateur.

Table des matières

REMERCIEMENTS
PLAN DE RECHERCHE
SOMMAIRE
RESUME : 6000 CARACTERES
INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE : LE CONTEXTE DE CETTE ETUDE
CHAPITRE 1 : LE CHAMP DU DESIGN INTERACTIF.
CHAPITRE 2 : INTERACTIVITE ET INDIVIDUALISATION
CHAPITRE 3 : LA SEMIOLOGIE COMME FONDEMENT DE LA METHODOLOGIE
DEUXIEME PARTIE : ETUDE DE CAS
CHAPITRE 4 : LA VARIABLE ESTHETIQUE DE L’ETUDE DE CAS
CHAPITRE 5 : LA VARIABLE MEDIATIQUE DE L’ETUDE DE CAS
CHAPITRE 6 : LA VARIABLE SEMANTIQUE DE L’ETUDE DE CAS
TROISIEME PARTIE : LA DEMARCHE EXPERIMENTALE
CHAPITRE 7 : L’EXPERIMENTATION D’OCULOMETRIE
CHAPITRE 8 : RESULTATS ET INTERPRETATION DE L’OCULOMETRIE
CHAPITRE 9 : APPROCHES ESTHETIQUE, MEDIATIQUE, ET SEMANTIQUE CROISEES
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
TABLE DES MATIERES
ANNEXES EN DOCUMENT JOINT ET CD-ROM
REFERENCES SITES HI-RES! CITES
ANNEXES EN DOCUMENT JOINT ET CD-ROM

 

projet fin d'etude

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