Approche sociolinguistique des langues dans la presse écrite

« […] quand on entend dire qu’il y a au Cameroun 258 langues, on est tenté d’ajouter, comme Rabelais, « sans compter les femmes et les enfants » ! » (Chaudenson, 1995, 25). La pluralité des langues est un fait. Cependant prendre en compte les réalités linguistiques dans sa diversité, c’est autre chose ! De ce fait, leur gestion réside dans l’évidence d’une utopie collective faute de politique linguistique adaptée, cantonnée dans des moyens inadéquats et d’une mise en œuvre non effective. Nous vivons ainsi, actuellement, dans un monde, qui se meut vers le mirage de l’unilinguisme avec la mondialisation et l’allusion de la considération de langues plurielles dans chaque pays, dans lequel la sociolinguistique apportera modestement son aide précieuse et cruciale.

L’Afrique est représentative de cette coexistence multiple de langues dans un seul et même territoire/région/Etat (comme tous les autres pays d’ailleurs) engendrant souvent un écart considérable dans la compréhension et l’intercompréhension. Contrairement à cette situation, Madagascar, dans la région Océan Indien, à environ 400 kilomètres du Sud de l’Afrique de l’Est, fait partie des pays caractérisé par l’unicité de la langue : le malgache, dans sa diversité, se comprend dans toute l’île. Cependant, elle est immergée (ou submergée) dans un contexte sociolinguistique dominé par une diglossie enchâssée. Cette dernière est caractérisée par trois niveaux de diglossie entre, premièrement, la variété merina et les variétés régionales, deuxièmement, le malgache officiel et le français et enfin le français et les autres langues.

PLURALITE LINGUISTIQUE ET FRANCOPHONIE

La pluralité est consubstantielle à la société actuelle. Une notion, un concept inhérent aux changements s’opérant dans un monde qui est caractérisé par les différences. Ensemble complexe, système cohérent de relations et objet sociohistorique construit (ZARATE, 2009), la pluralité devient, en elle-même, un tout, résultant de flux de diversités, objet intéressant et important.

La pluralité dans le champ de la linguistique revêt la forme de multilinguisme, fait de société, et de, plurilinguisme, fait individuel. Concepts dont les points communs résident dans la présence et l’existence de plusieurs langues ; seuls les niveaux d’analyses diffèrent. Plusieurs définitions s’offrent à ces phénomènes pour les clarifier et pour en préciser les frontières. Nous retenons ici les distinctions sémantiques que Chaudenson en fait pour la logique et la contextualisation de sa description. Le plurilinguisme du latin « plures » signifie plus nombreux désigne «les diverses langues au sein d’un ensemble national ». Le multilinguisme de «multi» ou nombreux indique « les diverses langues du plan régional » (Chaudenson, 1995, p.25-26). Pour englober ces deux niveaux, pourtant, nous rejoignons Randriamarotsimba dans la dénomination simple de « pluralité linguistique ». En effet, elle considère la coexistence des langues à travers ce qui unit le plurilinguisme et le multilinguisme.

STATUT DES LANGUES EN CONTACT

Définition du statut d’une langue

Définir le statut d’une langue n’est pas chose aisée. La complexité de l’approche réside dans la contradiction des situations réelles. Les textes juridico constitutionnels peuvent être contradictoires aux pratiques quotidiennes des administrations publiques. Les représentations des locuteurs se diffèrent également de leurs pratiques ou de leurs discours.

Le statut de fait se distingue ainsi du statut juridico-constitutionnel. Le premier revêt une forme empirique et implicite puisque côtoyant la langue populaire. Il considère les langues haute/basse, les langues grégaire, etc. Le second se présente explicitement et est de jure : il renferme toutes les positions attestées qu’occupent la langue (langue officielle, langue nationale, langue d’enseignement, langue d’information).

Cependant, il est nécessaire de différencier statut et status même si les définitions s’accordent sur l’officialité des langues c’est-à-dire leur « reconnaissances officielles et légales, usages institutionnels hors de l’éducation […] » (Rambelo, 1991, p.121). Le status intègre, en outre, les fonctions : éducation et moyens de communication de masse ; ou enfin le statut économique : capacité de la langue à assurer, hors du secteur public, la réussite professionnelle de ceux qui la parlent (Chaudenson, 1989, p. 246/ Chaudenson, 2000, p.182). Par opposition au corpus qui se définit par les données statistiques et géolinguistiques, le mode de l’appropriation de la langue, la production et la consommation langagières, la compétence ainsi que la dynamique linguistique entre véhicularisation vs vernacularisation (Chaudenson, 2000, p.183-188).

Officialité

Le statut juridico-constitutionnel des langues à Madagascar relève des vacillations étatiques et politiques. Cependant, une langue nationale s’impose : le malgache. Le français se place à ses côtés en langue officielle. Le pays a évolué dans ce contexte bilingue: « le malgache officiel dont la consécration est liée au travail linguistique réalisé par les missionnaires anglais sur la langue malgache et à la politique hégémonique du pouvoir royal merina au 19ème siècle. – le français, héritage de la colonisation française et langue aujourd’hui reconnue officiellement comme faisant partie intégrante du patrimoine culturel malgache (Rambelo, 1991, p.122).

Sur le plan institutionnel et administratif

Le malgache officiel et le français sont également les deux langues officielles sur le plan institutionnel.Les textes officiels de la Républiquede Madagascar sont tous rédigés et publiés dans les deux langues. « En général, les textes sont d’abord conçus en français, langue dans laquelle sont (ou ont été) formés les législateurs, puis traduits en malgache officiel (Rambelo, 1991, p 123).

L’administration nationale est bilingue, cependant la variété officielle et les variétés régionales du malgache sont utilisées plus fréquemment dans les collectivités locales décentralisées. La grande majorité des productions langagières dans l’administration et les institutions (sauf institution religieuse) à Madagascar se rédigent en français.En effet, « plus on va vers les instances administratives centrales, plus on constate une augmentation du volume des textes rédigés en français (notes, circulaires, rapports.. .). En général, l’utilisation du français s’impose dès qu’il s’agit d’un texte «technique» (Rambelo, 1991, p.123).

Dans la jurisprudence, l’utilisation du français est également dominante vu l’influence et l’impact du droit colonial sur le système juridique d’un côté et d’un autre l’insuffisance du malgache à assumer sa fonction de langue juridique, la traduction demeurant encore la seule solution (Rambelo, 1991, p.124). Malgré le choix possible dans les langues de rédaction« la police judiciaire et les casiers judiciaires, les contrats et les ventes judiciaires, les conseils et les liquidations judiciaires, tous les actes administratifs relatifs au domaine judiciaire sont d’une manière générale rédigées en français » (Randriamasitiana, 2004 b, p.3).

Cependant, que ce soit administration locale, ou justice locale, le malgache officiel est utilisé pour l’écrit et les variétés locales pour l’oral (Rambelo, 1991, p. 124). Les deux langues détiennent ainsi chacune une place dans les différents domaines de leur utilisation suivant les fonctions qu’elles assument.

SPHERES D’EVOLUTION DES LANGUES A MADAGASCAR ET FONCTIONS 

La fonction d’une langue

Les milieux plurilingues révèlent différentes fonctions des langues. Une sera utilisée à l’intérieur d’un groupe social, une autre servira de médium pour communiquer avec un autre groupe que ce soit langues naturelles (langue d’un des deux locuteurs ou une autre langue devenue commune différente de ceux des locuteurs), langues particulières (langue résultant de contact) ou langues artificielles (langues créées) (Chaudenson, 1995, p. 24-25). Cette répartition fonctionnelle détermine l’opposition entre vernaculaire et véhiculaire. Etymologiquement, l’appellation vernaculaire est contestée, cependant le concept n’est pas remis en cause. Langues chtôniennes (Brann C.M.,), grégaires (Calvet L.J.), ou langues de souche (Moreau M.L.) (Chaudenson, 1995, p. 24-25), sera maintenu le terme et la définition suivante: « Les langues vernaculaires sont celles qui caractérisent un groupe social ou un terroir. Les langues véhiculaires sont des idiomes qui servent pour communiquer entre eux à des individus ou à des groupes de langues différentes » (Chaudenson, 1995, p. 24). Ainsi, quand les langues servent à la communication à l’intérieur d’un groupe, caractérisé par un lien affectif la fonction est vernaculaire. Elle est véhiculaire lorsqu’elle permet une communication avec les membres des autres communautés n’ayant pas la même première langue.

Calvet détermine le taux de véhicularité d’une langue. Le rapport entre le nombre de locuteurs langue X : langue première et le Nombre de locuteurs qui l’utilisent comme véhiculaire équivaut au taux de véhicularité. 100 personnes parlent une langue, 30 ne l’ont pas pour langue première : la langue est véhiculaire à 30% : son taux de véhicularité est de 30% (Moreau, 1997, p.289).

Médium d’enseignement et langues enseignées

L’enseignement au primaire, en majeure partie se fait en malgache standard. Le français quant à lui assure la suite (secondaire et universitaire), probablement sans continuité réelle ni effective.

A la suite des mouvements populaires de 1972, la réforme dans le domaine de l’enseignement a pu intégrer le malgache officiel jusqu’au second cycle. Ainsi, « d’après les textes, les cours doivent être donnés et résumés en français pour les matières fondamentales spécifiques à chaque série. Les enseignants peuvent cependant donner la traduction en malgache des termes techniques et même utiliser cette langue pour les explications complémentaires. Pour les autres matières, les cours sont donnés et résumés en malgache. Les assistants techniques, quant à eux, peuvent faire leurs cours entièrement en français. Tout ceci part de l’hypothèse que tout élève arrivant en second cycle du secondaire, compte tenu des heures de français qu’il a eues depuis l’Éducation de Base, est à même de suivre un enseignement aussi bien en malgache qu’en français. (Rambelo, 1991, 125). Le système scolaire, par la suite, se veut être bilingue pour l’enseignement primaire et secondaire. Une grande partie des cours sont donnés en malgache, le reste étant donné en français. Les enseignants passent ainsi du français au malgache et inversement suivant les cas.

Le discours mixte pouvant être présent à l’université, cependant « le français reste le véhicule exclusif des connaissances » (Rambelo, 1991, p.125). L’enseignement supérieur est entièrement francophone. Le français est ainsi langue de réussite.

Table des matières

Introduction générale
Première partie : Pluralité linguistique et francophonie
Chapitre 1 : La situation sociolinguistique
Chapitre 2 : La francophonie
Deuxième partie : Gestion du plurilinguisme malgache
Chapitre 1 : Sur la politique actuelle des langues
Chapitre 2 : Politique linguistique explicite à Madagascar
Chapitre 3 : Gestion des langues dans la presse écrite tananarivienne
Troisième partie : Presse écrite bilingue d’Antananarivo : spécificités et particularismes
Chapitre 1 : Contexte général de production
Chapitre 2 : Les langues dans la presse écrite d’Antananarivo : une gestion « diglossique»
Chapitre 3 : Le français de la presse écrite tananarivienne
Conclusion générale
Bibliographie
Table des matières
Annexe

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