L’élevage de la palourde ou vénériculture est une activité très récente en France puisqu’elle a été mise en place au cours des années 1970. Plus précisément, en 1972, la Société Atlantique de Mariculture (SATMAR), spécialisée dans la commercialisation d’huîtres et de palourdes à différents stades de développement de l’animal, a introduit la palourde japonaise, Ruditapes philippinarum à des fins d’aquaculture (Flassch and Leborgne, 1992). L’importation de la palourde japonaise a fait suite à une volonté de diversification dans la production contrôlée des bivalves. En effet, dans les années 1960, de nombreux épisodes d’épizooties ont eu lieu dans les élevages d’huîtres plates en Europe, engendrant une dépendance vis-à-vis de l’huître creuse. Ainsi, la vénériculture représentait une solution intéressante face aux risques associés à la monoculture (Flassch, 1988).
Entre 1975 et 1986, plusieurs programmes nationaux et régionaux ont étudié la faisabilité de ce type d’élevage d’un point de vue technique (Flassch, 1988). Dans cette optique, différentes études ont porté sur la comparaison de la palourde native européenne, Ruditapes decussatus, et de la palourde japonaise (Bodoy et al., 1980; Beninger and Lucas, 1984; Bodoy et al., 1986). Finalement, R. philippinarum, présentant une meilleure croissance et un meilleur taux de recrutement que la palourde européenne, a été largement utilisée en aquaculture et s’est répandue naturellement sur les côtes françaises (Sanchez et al., 2014). Par exemple, dans le bassin d’Arcachon, la population naturelle de palourdes japonaises a supplanté celle de palourdes européennes et représentait 99 % de la biomasse sur une zone de 47 km² (Sanchez et al., 2014). Similairement, la population naturelle de R. philippinarum dans le golfe du Morbihan s’est également développée au dépens de R. decussatus, ce qui pourrait être en partie dû aux périodes de reproduction plus étendues et au plus grand nombre de pontes observés chez la palourde japonaise (Laruelle et al., 1994). Enfin, bien que R. philippinarum ne soit pas la principale espèce de bivalves produite en France, il s’agit d’une espèce à valeur commerciale élevée. En effet, sa production en France génère plus de 6,8 millions de dollars pour 720 tonnes produits en 2013 (FAO, 2013).
Le cycle de production de la palourde japonaise en aquaculture est marqué par différentes étapes clés . La première de ces étapes consiste en la production contrôlée d’un naissain en écloserie, contrairement à la conchyliculture classique où le naissain est directement capté dans le milieu. Ainsi, l’écloserie effectue d’abord l’élevage larvaire des palourdes en milieu contrôlé puis un pré-grossissement qui a lieu en milieu naturel la plupart du temps. Lorsque le naissain atteint la taille de 15 18 mm, il est transféré chez le vénériculteur pour l’étape de grossissement en milieu naturel (en claires ou sur estran). Enfin, lorsque les palourdes adultes atteignent la taille de 35 mm, elles sont récoltées puis commercialisées.
À part l’étape d’élevage larvaire qui est opérée en milieu contrôlé, toutes les étapes de production de la palourde peuvent être effectuées en milieu naturel. Ainsi, les populations cultivées et sauvages sont directement soumises aux modifications de l’environnement, qu’elles soient de nature biotique (prédation, parasitisme, infections bactériennes, virales…) ou abiotique (température, salinité, type et granulométrie du sédiment…). Ces variations ou stimuli environnementaux, ou encore stresseurs, peuvent induire une altération de l’état physiologique des animaux ; cette altération est qualifiée de stress (Selye, 1950 ; Bayne, 1975). De ce fait, ces stresseurs peuvent entrainer des mortalités dans les populations de palourdes (sauvages et cultivées) et donc une chute de la production.
Notamment, à la fin des années 1980, un tel phénomène, marqué par de fortes mortalités, a été observé dans les parcs vénéricoles situés dans le pays des Abers (Nord Finistère, France) et également dans le bassin d’Arcachon (Gironde, France). Dans cette dernière zone, les mortalités de palourdes observées ont été reliées à la présence de plusieurs prédateurs, la dorade royale (Sparus aurata) et le baliste (Balistes capristus) (Robert and Parra, 1991). Dans la zone des Abers, les mortalités de palourdes ont été associées à la Maladie de l’Anneau Brun (MAB) dont le principal signe clinique est le dépôt d’une couche de conchioline de couleur brune sur la surface interne de l’animal (Paillard et al., 1989; Paillard and Maes, 1990).
La MAB est une vibriose causée par la bactérie pathogène Vibrio tapetis qui, après être entrée dans la cavité palléale de l’animal, colonise la lame périostracale de celui-ci entraînant sa dégradation. Puis, l’agent pathogène pénètre dans la cavité extrapalléale où il poursuit la colonisation des fluides extrapalléaux (FE), du manteau et de la lame périostracale (Paillard, 2004a). La dégradation du périostracum induirait une réaction des cellules du bord du manteau se concrétisant dans la formation de sécrétions coquillières visant à encapsuler les bactéries (Paillard et al., 1989; Paillard, 2004a). Si l’animal ne parvient pas à recalcifier par-dessus le dépôt de conchioline (processus de réparation coquillère), celui-ci peut provoquer des lésions au niveau du manteau de la palourde. La conséquence de telles blessures réside dans l’entrée du pathogène dans les organes et les fluides de l’animal, provoquant ainsi la septicémie puis la mort de celui-ci.
De nombreuses études ont mis en évidence le rôle prépondérant des facteurs environnementaux sur l’interaction hôte-pathogène R. philippinarum-V. tapetis. Parmi ces facteurs, la température semble être un déclencheur crucial dans le développement de la maladie. En effet, celle-ci est associée à des températures « froides », avec une température optimale pour son développement se situant autour de 14 °C, contrairement aux cas de nombreuses vibrioses marines (Paillard et al., 2004a). Un autre facteur s’avérant être un facteur aggravant dans le développement de la MAB chez R. philippinarum est l’apport trophique (Plana and Le Pennec, 1991; Plana et al., 1996). Selon la définition de Snieszko (1974), la MAB est donc une interaction complexe entre d’une part, un hôte caractérisé par ses propres facteurs internes le rendant plus ou moins sensible, d’autre part, un pathogène caractérisé par sa virulence, et enfin, un environnement plus ou moins favorable au développement de la maladie.
La MAB se traduit chez R. philippinarum par des modifications de nombreux paramètres physiologiques tels que les paramètres immunitaires et métaboliques. En effet, s’il a été montré que les hémocytes de la palourde japonaise étaient capables de phagocyter V. tapetis (Paillard, 2004b), cette bactérie serait capable en retour d’inhiber les processus de phagocytose en provoquant la perte des filopodes et l’arrondissement de ces cellules (Choquet et al., 2003). De plus, cette bactérie induirait une inhibition de la production d’espèces toxiques pour les agents pathogènes, les espèces réactives de l’oxygène (ERO) au niveau des hémocytes de R. philippinarum (Choquet, 2004). Egalement, la production d’espèces réactives de l’azote (ERA) par les hémocytes via l’activation de l’oxyde nitrique synthase inductible (iNOS), a été associée à la réponse immunitaire de R. philippinarum exposée à V. tapetis (Jeffroy and Paillard, 2011).
Plus récemment, un système enzymatique impliqué dans la réponse immunitaire innée, le système des phénoloxydases (PO), a été caractérisé chez R. philippinarum (Le Bris, 2013). Ce système est à l’origine de la production de la mélanine, un des composants de l’anneau brun, et de composés dérivés toxiques largement impliqués dans la réponse immunitaire non-spécifique.
Outre le système des PO, un autre système enzymatique, le système antioxydant, indirectement relié à la réponse immunitaire innée, peut être mis en jeu chez les invertébrés marins exposés à des stresseurs biotiques et/ou abiotiques. Ces enzymes sont impliquées dans la détoxification des ERO qui sont produites en quantité importante lorsque l’organisme doit faire face à des perturbations de son environnement. Ainsi, elles permettent la régulation de ces espèces afin d’assurer l’homéostasie du potentiel redox cellulaire. Ces enzymes ont déjà fait l’objet d’études chez de nombreux mollusques bivalves exposés à des pollutions par les hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP), les polychlorobiphényles (PBC), les métaux lourds mais également suite à des modifications de température, de salinité, d’oxygénation (Manduzio et al., 2003; Monari et al., 2005, 2007). Ce système enzymatique est également impliqué dans la réponse immunitaire de bivalves exposés à des agents pathogène tels que les vibrions (Canesi et al., 2010; Genard et al., 2013). Le rôle de ces enzymes dans la réponse de R. philippinarum exposée à V. tapetis reste encore inexploré.
Les réponses physiologiques de R. philippinarum exposée à V. tapetis ont également été associées à des modifications métaboliques, notamment au niveau des réserves énergétiques. En effet, Plana et al. (1996) ont montré que les réserves en glycogène des animaux infectés étaient significativement réduites par rapport aux animaux sains. Ces travaux ont conduit à l’hypothèse suivante : les mortalités massives observées chez les animaux infectés sur le terrain seraient dues à des altérations de leur activité métabolique. Cependant, jusqu’à maintenant, aucune mesure d’activité enzymatique liée au métabolisme énergétique de la palourde n’a été menée pour confirmer cette hypothèse.
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