APPROCHE INTÉGRÉE DE LA PRÉVENTION DU RISQUE D’INONDATION
La planification au spectre de l’aménagement du territoire
La notion de planification qu’elle soit économique ou spatiale a fortement structuré une vision classique de l’aménagement du territoire du moins jusque dans les années 1990 — et sous une forme différente encore aujourd’hui — comme nous allons l’exposer. Or l’aménagement du territoire est au cœur de la conception des politiques et plans d’aménagement de la Loire de l’après-guerre jusqu’au Plan Loire (voir la suite de nos propos). Et même ce Plan Loire qui s’est construit en réaction aux précédents plans, reste très fortement lié à la problématique de l’aménagement de l’espace ne serait-ce qu’à travers deux caractéristiques : – son approche globale liant la prévention des inondations, la préservation des milieux naturels, et la valorisation du patrimoine ligérien (cf. parties I et II) ; – les dispositifs de programmation le structurant à savoir les Contrats de Plan État-Région pour le Plan Loire dit II (2000-2006) puis le Contrat de Projets Interrégional pour le Plan Loire dit III (2007-2013), qui sont des outils typiques des politiques contemporaines de développement de l’espace. Et la convergence entre la prévention des inondations et l’aménagement du territoire est de plus en plus importante au sein de ce Plan Loire, comme en témoigne par exemple le Programme Opérationnel Plurirégional Loire soutenu par le FEDER22, qui est la deuxième composante du Plan Loire III : ce PO Loire a ainsi comme enjeu de réduire les vulnérabilités aux inondations dans un objectif de développement de la compétitivité et de l’attraction des territoires (FEDER, 2007 ; p. 30). Ainsi les évolutions des approches des plans d’aménagement du fleuve Loire puis du Plan Loire sont assez symétriques de celles des politiques d’aménagement du territoire ; celles-ci tendant depuis 15 ans vers le développement des territoires. 1.1 Les définitions de planification et de planification spatiale P. Merlin donne la définition suivante de la planification : « processus qui fixe (pour un individu, une entreprise, une institution, une collectivité territoriale ou un État), après études et réflexions prospectives, les objectifs à atteindre, les moyens nécessaires, les étapes de réalisation et les méthodes de suivi de celle-ci. La planification prend en particulier la forme de plans. Ceux-ci peuvent concerner une période de temps fixée ou non. On distingue pour un état ou une collectivité locale : – la planification économique (et sociale) qui s’exprime à travers des plans de modernisation (appellation initiale des plans français) ou des plans de développement économique et social, traitant d’agrégats économiques, financiers et humains ; – la planification spatiale qui se préoccupe de la répartition dans l’espace des agrégats précédents et, en particulier, des populations et des activités, et prévoit l’échéancier de réalisation et d’implantation des équipements et des infrastructures nécessaires au bien-être de ces populations et à l’efficience de ces activités ». (Merlin, 2009) est selon lui, la plus ancienne et subordonne souvent la planification. Cette planification a pu être autoritaire (comme dans le cas des pays socialistes) ou indicative (plus souple comme en France). 1.2 L’importance de la planification dans les politiques d’aménagement du territoire Selon D. Barjot, les deux premières guerres mondiales et la grande crise économique de 1930 sont à l’origine d’une accélération des politiques publics volontaristes visant d’une part à relancer le développement économique et d’autre part à organiser le territoire et ceci essentiellement à partir de l’après-guerre (Barjot, 2002). La politique d’inspiration keynésienne de grands travaux conduite en 1933 aux États Unis en réponse à la crise de 1929 est considérée comme le prototype des méthodes classiques d’aménagement du territoire (Lacaze, 1995)23 . En France, la correspondance entre la planification économique et l’aménagement du territoire est une réalité dès les années 1950 et ce jusqu’en 1992. L’aménagement du territoire est ainsi intégré dans les objectifs de la planification économique, qui se traduit par la promulgation de plans réguliers supervisés par le Commissariat Général au Plan (tableau 2). L’aménagement du territoire et l’action régionale apparaissent alors comme une territorialisation de la planification économique. Tableau 2: Les différents Plans et leurs objectifs en terme d’aménagement du territoire Numéro du Plan et dates Objectif en terme d’aménagement du territoire IVe Plan 62 – 65 et V Plan (66-70) Aménagement de l’espace rural, industrialisation des régions de l’Ouest et métropoles d’équilibre VIe Plan (71 – 75) Création des villes nouvelles VIIe Plan (76 – 81) 9 des 25 programmes d’actions prioritaires retenus par ce plan intéressent l’aménagement du territoire Puis Plan intermédiaire (82 – 83) Décentralisation tertiaire, développement du grand sud-ouest, du Massif central et de la Corse IXe Plan (84 – 88) Aménagement du territoire dans le programme d’action prioritaire nº 9 : aider les régions de conversion industrielle, développer les régions d’outre-mer, développer les zones sous-équipées, décentraliser les activités tertiaires. Xe Plan (89 -92) un des 5 grands chantiers mais avec des objectifs vagues Source : (Neiertz & Zembri, 1995). Mais la politique d’aménagement du territoire possède ses propres outils de mise en œuvre. Ainsi, dès 1950, le Plan National d’Aménagement du Territoire est formalisé par le ministre de la Construction et de l’Urbanisme, qui crée également un Fonds National d’Aménagement du Territoire destiné à financer des équipements et des logements pour faciliter l’implantation d’industries dans certaines régions. En 1951, les premières Sociétés d’Économie Mixte d’Aménagement (SEMA), puis des Sociétés de Développement Régional en 1955 sont constituées. En 1960, est mis en place le Comité Interministériel d’Aménagement du Territoire (CIAT). Enfin, instrument phare de l’aménagement du territoire, une délégation spécifique est instaurée en 1963 : la Délégation à l’Aménagement du Territoire et à l’Action Régionale (DATAR) (Neiertz & Zembri, 1995). 23Le principal projet de cette politique a résidé dans l’aménagement de la rivière Tennessee mise en œuvre par la Tennessee Valley Authority afin de développer le sud des États-Unis. Ce modèle a inspiré longtemps la convergence entre interventionnisme étatique, développement régional piloté par l’État et par ailleurs aménagement d’un fleuve. Ce modèle va en particulier inspirer la création de la Compagnie Nationale du Rhône en 1933 pour l’aménagement du Rhône ou encore les Sociétés d’Actions Régionales (SAR) telles que la SOciété de MIse en Valeur des régions Auvergne et Limousin (SOMIVAL) qui réalisera la construction du barrage de Naussac (Ghiotti, 2006).
La politique d’aménagement du territoire en France s’articule autour de trois priorités
mettre un terme à l’expansion parisienne ; industrialiser la France ; protéger et aménager les zones rurales les plus fragiles (ibid.) La politique d’aménagement du territoire jusqu’en 1982 reste essentiellement centralisée, descendante et placée sous l’autorité du 1er ministre (ibid.) ; ce qui ne l’empêche nullement d’être transversale puisque toutes les grandes décisions sont prises par le Comité Interministériel à l’Aménagement du Territoire (CIAT). Les Préfets sont garants de l’articulation des échelles entre planifications nationale et régionale. Et cette approche de l’aménagement du territoire entre en résonance avec l’objectif de rééquilibrage au sein de l’espace national : seul l’État peut être garant de ce mouvement en tant qu’autorité ultime. La DATAR24 a joué un rôle fondamental en tant que force de proposition et instance d’analyse, de prospective, une sorte de « poil à gratter de l’administration » (Lacaze, op.cit.), c’est-à-dire à l’opposé d’une structure de planification rigide et autocratique. Ainsi la DATAR correspond au moins à ces origines aux recommandations que peut faire H. Mintzberg (Mintzberg, 2004) en ce qui concerne le rôle des planificateurs dans la constitution des stratégies (cf .§2).