Du danger à la représentation du risque
Il nous semble plus qu’important de commencer par un travail de différenciation des notions. Nous verrons que les notions de risque et de danger sont le plus souvent utilisées de façon impropre. Selon Leplat, « Les notions de risque et de danger sont souvent utilisées synonymement. On parlera ainsi, dans une même situation de danger ou de risque d’avalanche, de danger ou de risque de chute de pierres, de danger ou de risque d’inondation. ». Pourtant, la phase initiale de toute démarche de prévention repose sur une phase d’identification. Afin de pouvoir faire face à un risque, une menace ou un dommage il va falloir l’identifier. Nous verrons également que bien souvent, les comportements de sécurités associés ne sont pas identifiés et sont sources d’actions de prévention inutiles voire d’aggravation d’accidents.
Du danger au risque : Donner une définition précise du danger et du risque n’est pas simple, pourtant il est indispensable de caractériser le problème. La communauté scientifique travaillant sur ce domaine reconnaît que la définition du risque est sujet à controverse et pour certains aucune définition du risque correcte ou appropriée à tous les problèmes n’est atteignable. Ainsi, les auteurs se rattachent à leurs communautés pour donner leurs propres définitions, par exemple les psychologues sociaux travaillant sur le thème de la perception des risques auront leurs propres référentiels en termes de risques .
Les définitions varient également entre les chercheurs et les praticiens qui sont plus particulièrement à la recherche de définitions applicables sur le terrain. Ainsi, on observe un consensus entre certains auteurs qui caractérisent le danger comme « un événement ou une situation susceptible d’entraîner des conséquences négatives ou dommages à l’homme et/ou à l’environnement. ». Vérot propose également la définition du danger comme « une propriété intrinsèque à une substance, à un système et qui peut conduire à un dommage. ».
Pour nous, cette seconde définition a une orientation plus écologique. Elle nous permettra d’y associer la notion de situation dangereuse comprise dans la première définition. La notion de situation dangereuse est caractérisée par la coexistence, éventuellement temporaire, d’un élément de danger en interaction potentielle avec un « élément vulnérable » susceptible de subir des dommages .
Pour une notion plus complète du danger nous pouvons nous reporter à celle du MEDD3 (2005) se rapportant spécifiquement aux risques technologiques : « Cette notion définit une propriété intrinsèque à un substance (butane, chlore,…), à un système technique (mise sous pression d’un gaz,…), à une disposition (élévation d’une charge),…, à un organisme (microbes), etc., de nature à entraîner un dommage sur un « élément vulnérable » [sont ainsi rattachées à la notion de «danger» les notions d’inflammabilité ou d’explosivité, de toxicité, de caractère infectieux etc… inhérentes à un produit et celle d’énergie disponible (pneumatique ou potentielle) qui caractérisent le danger] ».
Typologie des risques industriels
Généralement, trois types de risques sont associés à l’industrie : les risques d’accidents du travail, les risques de maladies professionnelles et les risques d’accidents majeurs. Il nous semble important d’ajouter un quatrième type de risques : les risques de crises. Dans notre domaine de recherche ces types de risques sont au cœur de la sécurité. De manière non exhaustive nous allons aborder chacune de ces catégories de risques ainsi que leurs implications. Cette étape est indispensable car elle va permettre plus tard de relier des comportements à ces types de risques. Wybo (2004b) propose une distinction entre deux types de risques : les risques de dommages et les risques de crises . « Les risques de dommages correspondent à des situations qui ont été étudiées et pour lesquelles des mesures de prévention et de protection ont été prises par l’organisation. En d’autres termes, il existe un plan d’action. Les risques de crises, au contraire, correspondent à des situations pour lesquelles il y a eu peu d’anticipation et il n’existe aucune expérience antérieure. Il n’y a pas de plan d’action ou bien il est inadéquat ou inopérant. » .Cette différenciation entre risques de crises et risques de dommages aura des implications importantes sur les mesures mises en place pour les maîtriser. Pour l’instant il est important de comprendre à quoi se rapporte chacun de ces différents risques. Notre travail se focalisera principalement sur les risques de dommages mais dans la mesure où ceux-ci peuvent dériver vers la crise, il sera indispensable d’évoquer les risques de crise.
Démarche centrée sur l’évaluation des risques
Comme nous l’avons vu précédemment, la notion de risque peut-être définie comme une combinaison entre la probabilité ou fréquence d’occurrence d’un dommage et l’importance de ce dommage. Selon Leplat « La notion commune de risque est liée à ce trait de gravité et on considérera que, toutes choses égales par ailleurs, un risque est plus grand qu’un autre quand il est susceptible de conduire à des conséquences plus néfastes ». Cette gravité peut être évaluée sur une échelle en fonction de l’importance du dommage. Les différents niveaux d’une échelle de gravité sont généralement construits en fonction de la réversibilité des dommages et du nombre de victimes potentielles. Cependant il existe d’autres types d’échelles de gravité. Ces échelles peuvent par exemple se référer à l’impact sur l’environnement, l’impact financier ou encore l’impact sur l’image de l’entreprise.
Si une échelle de gravité est relativement simple à construire, le dimensionnement de l’impact d’un scénario sur un individu par exemple est plus difficile à prédire. En effet, si l’on peut imaginer le risque de coupure lié à un opérateur qui approche sa main près d’une machine en mouvement, il est parfois plus difficile de prédire s’il va être victime d’une simple éraflure ou d’une amputation de son bras. Concernant les accidents majeurs ce problème est encore plus important, notamment lorsqu’il s’agit de projectiles. La construction du risque liée à la mise en place d’un scénario implique que de nombreux éléments ont valeur prédictive et présentent des combinaisons très variables. Cependant, nous verrons plus tard comment le retour d’expérience peut nous éclairer sur ces aspects.
L’évaluation de la fréquence d’occurrence d’un événement est encore plus difficile que celle de la gravité. L’évaluation du risque à partir de la fréquence présente des difficultés, dont deux majeures.
Stratégies de maîtrise des risques en fonction de la fréquence et de la gravité des accidents
A ce niveau, il convient de préciser différents concepts associés à la maîtrise des risques. Nous avons vu que la maîtrise des risques englobait une phase d’évaluation du risque et une phase de gestion du risque. La phase de gestion du risque comprend toutes les actions qui peuvent être implémentées pour réduire le risque ainsi que la mise en place de ces actions. La phase de réduction du risque est aussi appelée mitigation13 du risque, elle associe deux grands concepts associés. Le premier représente les mesures de prévention qui concerne toutes les actions mises en place pour réduire la fréquence d’occurrence d’un événement. Le second précise les actions de protection qui ont pour objectif de réduire la gravité d’un événement.
Volontairement, dans le cas de la gravité, nous n’associons pas cette définition à la gravité des dommages. Si certains auteurs différencient les actions d’intervention ou d’assurance nous préférons les conserver dans le vocable de protection.
Maîtrise des risques d’accidents du travail
La maîtrise des risques d’accidents du travail repose sur un pilier, celui de l’évaluation des risques. Nous verrons également que pour les autres risques de dommage il est indispensable de se baser sur une démarche d’évaluation des risques afin de définir et de hiérarchiser nos actions correctives. La démarche utilisée repose sur la démarche générale de maîtrise des risques mais le code du travail apporte ici un descriptif précis des actions à mettre en place. Pour atteindre ces objectifs, l’entreprise doit élaborer une politique de prévention qui intégrera les éléments suivants, issus du code du travail :
Eviter les risques. Evaluer les risques non évités. Combattre les risques à la source. Substituer ce qui est moins dangereux à ce qui l’est plus. Donner la priorité à la protection collective par rapport à l’individuelle. Tenir compte de l’état d’évolution de la technologie. Adapter le travail à l’homme. Donner des instructions appropriées aux travailleurs. S’assurer de l’aptitude médicale des salariés. Planifier la prévention: technique, organisation, conditions de travail, relations sociales, facteurs ambiants. Organiser les premiers secours. Associer à toutes ces phases les travailleurs et leurs représentants.
Comme on peut le constater le code du travail propose une démarche de maîtrise des risques identique à celle que nous avons nommée « tactique de maîtrise des risques ». La prévention des accidents du travail doit être associée à une démarche d’évaluation des risques au poste de travail car nous nous intéressons aux risques pouvant avoir des conséquences à l’échelle d’un salarié (voir plus s’il y a plusieurs personnes au poste de travail). A partir d’un travail de terrain effectué en Chine dans une usine réalisant des pneumatiques (Denis-Rémis et Specht, 2004) nous avons développé une méthodologie pour la prévention des accidents du travail. La mise en place de cette méthodologie basée principalement sur l’observation au poste de travail propose une démarche complète partant des dangers jusqu’à la mise en place d’un plan d’action. Cette Recherche Action (Lewin, 1947) avait pour but de définir une méthodologie permettant de concevoir facilement des formations à la maîtrise des risques. Elle poursuit deux objectifs, d’une part aider le praticien dans son objectif de réduction des accidents du travail et d’autre part fournir des connaissances théoriques exploitables pour les chercheurs et pouvant être réappliquées ultérieurement.
Table des matières
1 INTRODUCTION
2 CHAPITRE I : Vers une maîtrise des risques industriels axée sur la formation
2.1 Dangers, risques et maîtrise des risques
2.1.1 Du danger à la représentation du risque
2.1.1.1 Du danger au risque
2.1.1.2 Perception du risque et représentation du risque
2.1.2 Typologie des risques industriels
2.1.2.1 Les risques d’accidents du travail
2.1.2.2 Les risques de maladies professionnelles
2.1.2.3 Les risques d’accidents majeurs
2.1.2.4 Les risques de crises
2.1.3 Démarche générale de maîtrise des risques
2.1.3.1 Démarche centrée sur l’évaluation des risques
2.1.3.2 Stratégies de maîtrise des risques en fonction de la fréquence et de la gravité des accidents
2.1.3.3 Maîtrise des risques axée sur les comportements
2.1.4 Conclusion
2.2 Maîtrise des risques industriels
2.2.1 Maîtrise des risques d’accidents du travail
2.2.1.1 Retour d’expérience sur les accidents
2.2.1.2 L’évaluation des risques
2.2.1.3 Cartographie des risques
2.2.1.4 Hiérarchisation des risques
2.2.1.5 Mesures correctives
2.2.1.6 Plan d’action
2.2.1.7 Contrôle et réévaluation périodique
2.2.2 Prévention de maladies professionnelles
2.2.3 Maîtrise des risques d’accidents majeurs
2.2.3.1 Réduction des dangers à la source
2.2.3.2 Maîtrise des risques procédés
2.2.3.3 Plans d’urgence
2.2.3.4 Information du public
2.2.3.5 Maîtrise de l’urbanisation
2.2.4 Maîtrise des risques de crises
2.2.5 Conclusion
2.3 Apprentissage de la maîtrise des risques
2.3.1 Apprentissage par le retour d’expérience
2.3.1.1 Le retour d’expérience et la maîtrise des risques d’accidents du travail
2.3.1.2 Le retour d’expérience et la prévention des maladies professionnelles
2.3.1.3 Le retour d’expérience et la maîtrise des risques d’accidents majeurs
2.3.1.4 Le retour d’expérience et la maîtrise des risques de crises
2.3.2 Maîtrise des risques à travers la formation des acteurs
2.3.2.1 La formation comme moteur de la prévention
2.3.2.2 Identification des comportements sécuritaires
2.3.2.3 Plaidoyer pour la conception de formations spécifiques à la maîtrise des risques
2.3.3 Conclusion
2.4 Conclusion
3 CHAPITRE II : Des dangers aux comportements de sécurité
3.1 Risque, persuasion et prédiction des comportements
3.1.1 D’une évaluation « objective » à une évaluation « subjective » du risque
3.1.1.1 L’approche probabiliste
3.1.1.2 Construction de l’objet « risque » : de l’expert au profane
3.1.2 Modification des attitudes et des comportements : la persuasion
3.1.2.1 Attitudes et comportements
3.1.2.2 La communication
3.1.2.3 Les principaux modèles des communications persuasives
3.1.3 Prédire et modéliser les comportements
3.1.3.1 L’attitude comme prédicteur du comportement
3.1.3.2 Le comportement comme prédicteur du comportement
3.1.3.3 Les modèles basés sur la prise en compte du danger
3.1.4 Conclusion
3.2 Modélisation : De la représentation du risque à la mise en place d’un comportement de
sécurité
3.2.1 La représentation des risques
3.2.1.1 Importance de l’information dans l’identification du danger
3.2.1.2 D’une évaluation matricielle à une construction individuelle
3.2.1.3 Mécanismes heuristiques de l’évaluation des risques
3.2.1.4 Dimensions de pondération du risque
3.2.2 Réponses associées à une représentation du risque.
3.2.2.1 La peur
3.2.2.2 Théories de l’appel à la peur
3.2.2.3 Le coping
3.2.2.4 De la représentation à l’action
3.2.2.5 De l’intention au comportement
3.2.3 L’engagement ou l’influence du comportement sur le comportement
3.2.3.1 La théorie de l’engagement
3.2.3.2 Définition de l’engagement
3.2.3.3 Les conditions de l’engagement
3.2.3.4 Les conséquences de l’engagement
3.2.3.5 Utilisation de l’engagement
3.2.4 Conclusion
3.3 Conclusion et nouvelles perspectives pour la mise en place de comportements
sécuritaires : la communication engageante
4 CHAPITRE III : La formation « Culture de Sécurité » : Concevoir, mettre en place et
évaluer une formation à la maîtrise des risques d’accidents majeurs
4.1 Vers une formation « Culture de Sécurité »
4.1.1 Recherche Action
4.1.2 Le concept de « culture de sécurité »
4.1.3 L’ingénierie pédagogique
4.1.3.1 Formation, éducation et pédagogie
4.1.3.2 De l’ingénierie de la formation à l’ingénierie pédagogique
4.1.4 Une ingénierie pédagogique en cinq étapes
4.1.4.1 Le diagnostic
4.1.4.2 Le design
4.1.4.3 Le développement
4.1.4.4 La conduite
4.1.4.5 L’évaluation
4.1.5 Conclusion
4.2 Le module de formation « culture de sécurité »
4.2.1 Diagnostic
4.2.1.1 Objectifs de la formation
4.2.1.2 Analyse du public
4.2.1.3 Ressources et contraintes du projet
4.2.2 Design et leviers d’actions
4.2.2.1 Objectifs d’apprentissage, dispositifs et moyens pédagogiques
4.2.2.2 Menace assortie de mesures de maîtrise des risques
4.2.2.3 Communication engageante
4.2.3 Développement de la formation
4.2.3.1 Développement du support d’enseignement
4.2.3.2 Développement des exercices
4.2.3.3 Développement des études de cas
4.2.4 Conduite des formations « culture de sécurité »
4.2.5 Evaluation de la formation « culture de sécurité »
4.2.5.1 Les connaissances et compétences
4.2.5.2 Evaluation de la formation et de l’animateur
4.2.5.3 Modification des comportements
4.2.6 Conclusion
4.3 Expérimentation
4.3.1 Procédure des expérimentations
4.3.1.1 Messages de faible et forte vividité
4.3.1.2 Evaluation de l’impact de la formation
4.3.2 Faible vividité
4.3.2.1 Présentation du support de faible vividité
4.3.2.2 Pré-test portant sur l’évaluation émotionnelle pour le support de faible vividité
4.3.2.3 Résultats de FAIBLE
4.3.2.4 Discussion des résultats
4.3.3 Forte vividité
4.3.3.1 Présentation du support de forte vividité
4.3.3.2 Pré-test portant sur l’évaluation émotionnelle pour le support de forte vividité
4.3.3.3 Résultats de FORTE
4.3.3.4 Discussion des résultats
4.3.4 Communication engageante
4.3.4.1 Procédure
4.3.4.2 Résultats de FORMENG
4.3.4.3 Discussion des résultats
4.3.5 Discussion générale
4.4 Conclusion
5 CHAPITRE IV : La formation Information Préventive aux Comportements qui
Sauvent (IPCS) : description, analyse et engagement
5.1 Description d’une formation informative et comportementale : savoirs et savoir-faire de
la formation
5.1.1 Niveau I : Etat des lieux
5.1.1.1 Analyse des émotions devant un événement imprévu
5.1.1.2 Savoir pour agir
5.1.2 Niveau II : Savoir-faire et savoir-être
5.1.2.1 Le « Non Vu »
5.1.2.2 Les scénarios
5.1.3 Niveau III : Les principes
5.1.4 Niveau IV : Mise en pratique des principes, vers un idéal
5.1.5 Conclusion
5.2 Les éléments du succès de la formation
5.2.1 Les leviers d’actions de la formation IPCS : des dangers aux comportements
5.2.2 Construction et partage de l’objet risque
5.2.3 Le registre de l’émotionnel : l’appel à la peur
5.2.3.1 De la notion de peur à la notion de panique
5.2.3.2 L’action du sapeur-pompier pour lutter contre les stratégies « d’isolement » face au danger
5.2.3.3 De l’apprentissage théorique à l’apprentissage pratique pour des comportements de sécurité
5.2.3.4 Vers des comportements de sécurité
5.2.4 Un contexte favorable : Le sapeur-pompier d’expérience, un acteur « neutre » de
l’entreprise
5.2.5 Discussion
5.3 Une formation engageante pour plus de comportements de sécurité
5.3.1 Cadre théorique
5.3.1.1 Une formation comportementale
5.3.1.2 Théorie
5.3.1.3 Objectifs et hypothèses théoriques
5.3.2 Méthode
5.3.2.1 Population
5.3.2.2 Plan d’expérience et variables
5.3.2.3 Matériel
5.3.2.4 Procédure
5.3.3 Résultats
5.3.4 Discussion des résultats
5.4 Conclusion
6 CONCLUSION GENERALE
7 POSTFACE
8 BIBLIOGRAPHIE
9 INDEX DES ILLUSTRATIONS
9.1 Index des figures
9.2 Index des tableaux
10 ANNEXES
10.1 Annexe 1 : Grille de qualification des risques associés aux dangers
10.2 Annexe 2 : Fiche d’évaluation des risques au poste de travail
10.3 Annexe 3 : Questionnaire de la formation « culture de sécurité »
10.4 Annexe 4 : Questionnaire mesurant la peur
10.5 Annexe 5 : Convention d’engagement pour la formation Culture de Sécurité
10.6 Annexe 6 : Feuille d’émargement
10.7 Annexe 7 : Questionnaire de la formation IPCS
11 RESUME