Approche anthropologique des paternités transsexuelles
LES CONDITIONS DE L’ENQUETE : « LES PREMIERS PAS »
L’enquête est un temps, un lieu, une pratique et surtout une expérience de l’altérité (Laplantine, 1996 : 11). Nous verrons alors comment le choix du terrain, son accès et sa légitimité ont été élaborés afin de donner une plausibilité au recueil de data.
Le choix du terrain : un milieu d’interconnaissance
La question de départ qui a mené tout le déroulement de l’enquête était simple : comment s’organisent les relations familiales lorsque le père ou la mère s’engage, ou s’est engagé, dans un parcours de transsexualisation ? A partir de là, il s’agissait alors de « trouver » des personnes correspondant à cette configuration familiale. Pour se faire, nous devions, dans un premier temps, investir les différents milieux dans lesquels nous pourrions éventuellement rencontrer ces personnes. La France offre alors deux voies : les associations et les équipes officielles. Les premières visent à aider les personnes transgenres à être acceptées socialement, les secondes étant nécessaires pour les constituer physiquement et civilement. En effet, la procédure de transsexualisation en France implique la médecine. Cette deuxième possibilité peut alors être une entrée pertinente pour le chercheur qui s’intéresse à la procédure de constitution des personnes transgenres. Nous pensons ici à une recherche menée par Laurence Hérault (Hérault, 2006). L’anthropologue travaille au sein d’une des équipes françaises afin d’expliciter les questions suivantes : qu’est-ce qu’un transsexuel ? Qu’est-ce qu’un parcours ? La première interrogation renvoie alors à la manière de se dire, à la présentation et à la définition de soi ; la seconde permet d’interroger la construction typique d’une expérience. Certes, cette entrée nous a paru attractive par la possibilité d’avoir un lieu précis et circonscris qui faciliterait alors les observations et le contact avec les personnes transsexuelles. Mais nous ne voulions pas être confrontés à un discours trop réfléchi et dirigé par le seul but de franchir les étapes de la transition, nous aurions pu alors prendre une position faussée face à ses personnes et être pris pour quelqu’un que l’on n’est pas. En effet, les personnes viennent là car elles sont en demande de transformation et leurs discours est en définitive calqué sur ce que 18 veulent entendre les spécialistes. De plus, travailler dans un tel lieu nécessite une autorisation, un droit officiel à enquêter puisqu’il s’agit d’un milieu institutionnel. La peur du débutant est alors de se voir refuser l’entrée ou alors d’être manipulé et guidé par la direction de l’établissement. Nous le savons et nous en tenons compte mais nous ne voulions pas avoir une telle difficulté à affronter et le but de notre travail ne correspondait pas tout à fait non plus à cette investigation. Nous cherchions avant tout à nous assurer de notre position de chercheur et être considéré comme tel. Et par-dessus tout, la parole donnée aux personnes était au centre de nos préoccupations. Parler de sa famille alors que la personne est là dans un tout autre but ne permettait pas ce type de terrain institutionnel. Le terrain que nous allons décrire ici n’est donc pas matérialisé par une infrastructure. En effet, il s’agit plutôt d’un milieu d’interconnaissance. Comme nous l’avons signalé plus haut, il s’agissait de rencontrer des personnes dans leur intimité et quoi de plus intime que d’aller chez eux, dans leur foyer là où justement se construisent les liens familiaux. Il ne suffisait pas de prendre le bottin mondain pour établir un échantillon à la manière de ceux qui étudient le milieu de la haute bourgeoisie2 ! Nous n’avions donc pas d’autres choix que de contacter les différentes associations existantes en France en espérant que leurs membres soient prêts à nous accueillir par la suite chez eux. Les associations ont toutes leurs propres façons de penser la transsexualité : pour certaines, ce sera un militantisme exacerbé, pour d’autres, plus nuancé mais dans les deux cas, nous aurions à faire face à un discours bien établi. Il fallait donc préciser que nous ne voulions pas nous positionner et prendre parti avec l’une ou l’autre et que notre souhait était avant tout de discuter avec les personnes sur leur vie et non sur leur positionnement et degré d’engagement au sein de l’association.
L’accès aux informations : négocier sa place
Dans un premier temps, il s’agissait de se présenter et d’expliciter notre souhait d’enquête mais nous partions avec un handicap : les associations ne sont pas établies dans des locaux mais fonctionnent grâce à des sites Internet. La présentation de notre recherche consistait alors à être le plus clair possible et surtout à la justifier par notre statut d’étudiant et ce, sous forme d’annonce. Nous avons alors écrit à plusieurs d’entres elles qui sont en lien de prés ou de loin avec la transsexualité : entre autres, le CARITIG (Centre d’Aide, de Recherche 2 Nous pensons ici aux enquêtes menées par le couple de sociologues, Pinçon M. et Pinçon-Charlot M. sur la grande bourgeoisie. 19 et d’Information sur la Transsexualité et l’Identité de Genre), l’ASB (Association de Syndrome de Benjamin), l’AAT (Association d’Aide aux Transsexuels) et Sans Contrefaçon. Les responsables de cette dernière association , Ode et Justine, nous ont rapidement répondu et nous avons alors convenu d’un rendez-vous dans un lieu public. En effet, nous préférions prendre le temps de discuter du projet de recherche et de mettre en confiance les personnes afin d’éviter tous malentendus quant au sérieux de notre démarche. Là, il fallait alors se présenter soi puisque nous n’avions plus notre écran d’ordinateur pour nous cacher : « N’oubliez pas ce que signifie « se présenter » : décliner nom et qualité, justifier sa présence, désamorcer les soupçons, offrir une image présentable, supportable pour vous et pour l’autre » (Goffman, cité par Beaud, Weber, 1997 : 109). Partant de ces principes, nous devions alors faire « bonne figure » à différents niveaux afin de maximiser les chances d’aboutir à notre objectif. La première impression que nous allions donner à l’association serait déterminante pour la poursuite de notre recherche. A l’heure du rendez-vous, après les présentations de politesse, l’étudiante devait se rendre à l’évidence : il fallait prouver que nous n’étions pas là pour juger ou espionner qui que ce soit. Afin de mettre en confiance les responsables de l’association, le premier geste a été de leur donner un exemplaire de notre travail bibliographique de l’année passée : une preuve de notre position et surtout de notre intérêt et connaissance de la situation transgenre. La discussion prenait alors un tout autre ton : elles nous testaient en définitive sur la véracité de nos propos. Attitude légitime puisqu’elles prenaient alors la responsabilité de nous envoyer auprès de leurs amis et membres de l’association. Ceci dit, avant même que nous demandions la démarche à suivre pour rencontrer les personnes, elles avaient pris l’initiative d’en contacter. Elles nous offraient ainsi la possibilité de leur écrire et de voir avec elles les arrangements à prendre pour d’éventuelles rencontres. De même, Ode et Justine nous ont permis d’accéder à leur site Internet en nous donnant la permission de passer une annonce afin de laisser le choix aux membres de nous accueillir ou non. Elles prenaient aussi la responsabilité de « filtrer » les messages afin de nous éviter ceux qui dérogeaient au sujet. Cette annonce permettait aussi aux personnes de discuter sur le sujet de notre recherche et nous offrait ainsi de précieux témoignages. Ce premier contact donnait alors une 3 http://sans.contrefacon.free.fr/ 20 reconnaissance de la part de l’association et nous servait de « carte de visite » auprès des futurs informateurs. Il nous restait alors à être accepter par ces derniers afin qu’ils nous autorisent à les rencontrer. Nous n’allions donc pas s’imprégner du terrain à l’exemple des premières enquêtes ethnographiques. « Notre » terrain consistait en effet à intégrer l’association par le biais de son site Internet et à laisser venir les informateurs vers nous. Nous sommes donc bien dans un milieu d’interconnaissance au sens où il est décrit comme désignant « des personnes [qui] se connaissent mutuellement», « une relation interpersonnelle » supposant ainsi « l’existence d’interactions personnelles répétées » (Beau, Weber, 1997 : 40). Il ne s’agissait donc pas d’un terrain mais de plusieurs terrains. Les personnes préalablement contactées par l’association nous ont très vite répondu favorablement. Les premiers contacts se résumaient alors en une sorte d’interrogatoire quant à notre démarche où il s’agissait mettre en confiance chaque personne par les mots. Autant dire que nous avions recours à de longues répétitions. Il fallait à la fois se présenter à nouveau, réexpliquer notre démarche et expliciter notre recherche. Ces bases de politesse étant dépassées, nous avons été confrontés à différentes difficultés « pratiques ». Les rencontres effectives ont mis plusieurs semaines avant de se concrétiser. En effet, s’agissant d’une association qui fonctionne principalement à travers « la toile », la géographie de ses membres s’étale à travers tout l’hexagone – et même à l’étranger.
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