APPRENTISSAGE DES VOYELLES ORALES
Objectif et description générale de l’expérience longitudinale
Dans ce chapitre, nous examinons les difficultés en perception et production des dix voyelles orales du français /i e ɛ a ɔ o u y ø œ/ pour des enfants apprenants tunisiens en première année d’apprentissage du français. Nous avons mené trois tests en trois temps différents sur 9 mois d’apprentissage : D’abord, un premier test diagnostic T0 à 3 mois de cours de français (96 heures) afin de relever les difficultés en perception et production pour les dix voyelles orales en début d’apprentissage. Par la suite, nous avons divisé nos apprenants en deux groupes. Un groupe A expérimental et un groupe B contrôle. Nous avons administré au groupe A un entraînement phonétique (pendant 7 semaines) à la suite duquel nous avons appliqué un deuxième test T1. Ce test nous permet d’étudier l’effet d’entraînements phonétiques sur les performances des apprenants en perception-production. Enfin, un troisième test T2 après 9 mois de cours de français (288 heures) a été administré. Perception et production des voyelles orales françaises par des enfants tunisiens néo-apprenants du français 81 Ce test a pour objectif d’observer la progression de l’apprentissage des apprenants et de comprendre comment évoluent leurs perception et production des voyelles françaises entre le début et la fin de l’année.
L’entraînement phonétique
Quels objectifs ont les exercices d’entraînement phonétique que nous avons administrés à nos apprenants ? Nous avons posé comme objectif pour ces exercices d’entraînement auditif et articulatoire, d’amener les apprenants à identifier correctement les voyelles orales du français, distinguer les contrastes du système des voyelles orales du français non ou mal perçus et t à produire des voyelles françaises proches acoustiquement de celles des natifs. Nous nous sommes appuyés sur les problèmes interférentiels et les difficultés de perception/production relevées suite aux tests diagnostiques effectués à T0. Il s’agit en effet, non pas « d’inculquer à l’apprenant de nouveaux traits inexistants dans son système phonologique, mais de lui apprendre à modifier les traits qu’il a l’habitude d’utiliser dans sa propre langue » (Callamand,1981 :). Les exercices doivent ainsi, permettre à l’apprenant d’ajuster sa perception/production en modifiant en plus ou en moins des traits qu’il connait déjà. Ainsi, les exercices d’entraînement que nous avons proposés incitent l’apprenant à prendre conscience des particularités des nouveaux sons qu’il entend et qu’il produit. Il apprend à les distinguer des sons de son système maternel mais aussi à les distinguer les uns des autres.
Quelles formes prennent nos exercices d’entraînement phonétique ?
L’entraînement est fondé sur la perception d’une part et la répétition d’autre part. Les entraînements sont essentiellement à l’oral. Nous avons évité au maximum de recourir au code écrit. Nous avons choisi de présenter et de faire produire les voyelles cibles essentiellement dans des mots monosyllabiques isolés (exercices d’identification et répétition). Nous avons recouru par ailleurs à des mini-dialogues où nous avons inséré les voyelles cibles dans des syllabes accentuées (exercices de production). Toutefois, nous ne concentrons pas l’attention sur le lexique, les entraînements n’ont pas une réelle visée communicative. Ensuite, nous avons veillé à ce que les voyelles soient présentées dans des « contextes facilitants » 22. Callamand (1981) présente dans son ouvrage « Méthodologie de l’enseignement de la prononciation » des fiches pédagogiques pour chaque son avec des consignes sur les traits à renforcer pour chaque son, les contextes les plus favorisants et des exemples de difficultés progressives. Nous avons choisi de nous appuyer sur ces fiches pour l’élaboration de nos exercices. Les entraînements ont suivi un ordre croissant en difficulté. Nous avons adopté la progression proposée par Lauret (2007). Cette progression se présente comme suit : de la perception vers la production ; des structures syllabiques simples aux structures complexes ; du plus accentué au moins accentué et du plus favorisant au moins favorisant.
Comment se déroule une séance d’entraînement ?
Nous avons toujours débuté la séance par des exercices d’échauffement associant la voix et le corps. Des exercices qui associent perception et articulation où l’apprenant prend conscience du geste articulatoire du son nouveau toujours en opposition à un autre son. La gestuelle, aide l’apprenant à s’approprier l’articulation et apporte des précisions sur les contrastes articulatoires entre certaines voyelles. Viennent par la suite les exercices d’entraînement auditif : Nous avons construit nos exercices d’identification, comme nous l’avons mentionné ci-dessus, à partir de paires minimales. A l’écoute de la paire, nous avons demandé si les mots sont identiques ou différents. Les apprenants lèvent des cartons verts pour « identiques » ou rouges pour « différents ». Ensuite, pour les exercices de discrimination, les apprenants écoutent une série de mots principalement monosyllabiques et doivent reconnaître la voyelle cible. Dès qu’ils entendent le mot contenant le son, ils lèvent le carton vert sinon c’est le carton rouge qui est levé. Parfois, nous essayons de rendre ces exercices plus ludiques, en demandant par exemple aux apprenants de se lever s’ils entendent le son et de rester assis s’ils ne l’entendent pas où d’avancer d’un pas s’ils entendent par exemple un /y/ et de reculer d’un pas s’ils entendent /u/. Dans cet exercice on veille à ce que les stimuli aient les mêmes contours intonatifs et ne varient que par le son qu’on vise à assimiler. L’objectif reste de faire acquérir à l’apprenant les nouveaux sons en oppositions avec d’autres sons. Il est à noter que ces exercices se font sans aucun support orthographique et que la correction est immédiate. A la suite des entraînements perceptifs, nous avons proposé aux apprenants des exercices de production sous forme de répétions. Les sons cibles sont insérés dans des syllabes accentuées et en contexte favorisant. L’apprenant écoute donc, puis répète. L’exercice de répétition a pour objectif de favoriser « l’assouplissement de la prononciation » de l’apprenant. Lauret (2007) affirme que la répétition est une notion d’habitude et d’automatisme très importants en prononciation. Les apprenants répètent d’abord des phrases courtes (trois mots maximum) puis des minidialogues sous la forme d’un jeu de rôle. Le jeu de rôle est un bon exercice pour favoriser l’assimilation de caractéristiques rythmiques, dynamiques, accentuelles et mélodiques. L’apprenant parle plus fort, il joue un rôle, il n’a pas peur de l’erreur. En ce qui concerne les consignes données lors des entraînements perceptifs et articulatoires, elles sont données en français et sont accompagnées par des gestes. Par exemple : Je montre l’oreille pour dire « écoutez ». Nous avons précisé à chaque fois le nombre d’items à écouter pour les exercices d’identification et de discrimination. En ce qui concerne les exercices de production, les consignes sont également, courtes et claires. Finalement, le traitement de l’erreur et la correction sont généralement immédiats.
Quelles difficultés rencontrées lors de l’entraînement phonétique ?
Nous avons été confrontée dans ce type d’exercice à un grand problème de lexique. En effet, nous étions très limitées quant au vocabulaire maîtrisé par nos jeunes apprenants ; et comme Perception et production des voyelles orales françaises par des enfants tunisiens néo-apprenants du français 85 nous voulions que nos exercices d’entraînements s’intègrent parfaitement dans leur programme scolaire, nous avons été contraintes à nous limiter à un lexique familier aux apprenants. En outre, les apprenants ont eu beaucoup de difficultés quant à l’exercice de jeu de rôle. En effet, cet exercice même s’il reste assez court, avec deux échanges, demande une attention par rapport au sens. De ce fait, le travail sur la prononciation ne peut se faire qu’une fois le dialogue est compris et mémorisé par les apprenants.