Des comptines pour débuter en anglais avec plaisir
L’enseignement des langues étrangères au primaire, lancé par Lionel Jospin en 1989 pour le CM1-CM2, fête aujourd’hui ses 17 ans. Il est obligatoire dès le CE2 depuis 2005 et, à la rentrée 2007, il s’appliquera aussi au CE1. Un programme transitoire pour le cycle 3, s’adressant aux élèves n’ayant pas bénéficié d’un enseignement de langue vivante les années précédentes, est entré en vigueur à la rentrée scolaire 2002 et se poursuivra jusqu’en 2007/2008. Reformulés dans le Hors Série du Bulletin Officiel du 29 août 2002, ses objectifs se veulent à la fois linguistiques (« formules usuelles de communication, lexique, syntaxe et morphosyntaxe ») et culturels (« des connaissances sur les modes de vie et la culture du pays ».) A l’issue du CM2, les programmes ainsi définis estiment que « les élèves devront avoir acquis un niveau voisin du niveau A1 de l’échelle de niveaux du Cadre européen commun de référence pour les langues », c’est-à-dire, en clair, qu’en face d’un interlocuteur faisant l’effort de parler lentement anglais, les élèves pourront, sur un sujet de conversation familier, comprendre, poser et répondre à des questions. Et écrire quelques phrases personnelles, du type carte de vœux ou carte postale.
Ce qu’on sait de l’apprentissage à 5-8 ans d’une langue
C’est dans la fenêtre des 5-8 ans qu’il semblerait qu’on apprenne le mieux une langue étrangère : avec un cerveau en plein développement, l’enfant fixe mieux les automatismes d’apprentissage d’une langue. Une chercheuse de l’Université de Franche-Comté, Christelle Dodane, a ainsi synthétisé les actuelles connaissances sur le sujet1, et nous reprenons in extenso son analyse qui a le mérite d’être claire, et dont nous soulignons les idées fortes qui se traduisent sur le terrain pour l’enseignant en anglais.
« Au cours du développement, il existe une période « idéale » pour tout apprentissage. Avant 12 mois, l’enfant possède des capacités exceptionnelles qu’il ne recouvrera à aucun autre moment de sa vie : ses capacités lui permettront d’acquérir sa langue maternelle en un temps record. (…) Mais, à mesure que l’enfant va s’imprégner de sa langue maternelle, ses capacités perceptuelles vont se restreindre. Le système perceptuel fixe progressivement des points de repères, constitués par des structures sonores simples, facilement codables et mémorisables. Leur prégnance va provoquer une spécialisation sur le système maternel. Ainsi, l’enfant qui, à 6 mois, pouvait encore discriminer un grand nombre de sons, verra, vers l’âge de 10-12 mois, sa perception se restreindre sur les seules distinctions utiles dans sa langue maternelle. Dans la mesure où il se spécialise sur les sons spécifiques de sa langue maternelle, l’enfant perd donc une partie de sa capacité à discriminer finement de manière auditive et à produire vocalement les sons étrangers à sa langue maternelle. (…)
Jusqu’à 6 ans, l’enfant traite les séquences verbales par contours intonatifs, avant un traitement plus local. Ce comportement perceptuel est en parfaite cohérence avec le développement cognitif de l’enfant qui éprouve, au même moment, des difficultés à intégrer les détails et à articuler le tout et les parties. Pendant cet âge heureux, l’enfant fait encore preuve de capacités excellentes à restituer la prosodie d’une langue étrangère d’autant que ses capacités d’imitation sont maximales entre 4 et 8 ans. (…) Cette pulsion mimétique permet à l’enfant d’apprendre rapidement une langue. (…)
Entre 7 et 9 ans, l’enfant traverse une nouvelle période de réorganisation perceptuelle : il passe d’un traitement global à un traitement analytique. Cette stratégie, nouvelle pour lui, sollicite de sa part beaucoup d’attention et de contrôle, ce qui expliquerait les pertes de discrimination constatées à cet âge. Pourtant, les influences de la langue maternelle sont encore trop récentes pour avoir définitivement altéré les capacités auditives de l’enfant ; la discrimination des contrastes non natifs, bien que moins performante, peutêtre facilement réactivée grâce à un léger entraînement auditif. L’enfant bénéficie également d’un développement cognitif plus avancé : il possède des connaissances et des aptitudes acquises pendant sa scolarité, qui lui permettront d’apprendre rapidement une langue étrangère. Il est ainsi capable de répéter de longues séquences, il a de meilleures connaissances des caractéristiques générales de la langue (connaissances métalinguistiques), il commence à découvrir consciemment les règles et son système sémantique est mieux organisé. (…)
Les oubliées des manuels pour les maîtres français
Les chansons apparaissent en particulier dans le Document d’accompagnement des programmes 2002, qui propose sur trois pages d’utiliser la chanson « The Animals Went In Two by Two »3 . Mais dans les ouvrages pour les professeurs francophones traitant de l’enseignement de l’anglais au primaire, les comptines sont souvent les parents pauvres de l’arsenal pédagogique, réduites par exemple dans le manuel « Hop In CE2 » à cinq chansons apprises sur l’année.
Pourtant les comptines pourraient devenir un élément systématique de toute séquence d’apprentissage, car elles présentent de nombreux avantages, ainsi que l’expose la première partie de ce mémoire. Elles peuvent dès lors servir de support à un enseignement phonologique, lexical et culturel, dont des exemples seront développés dans une seconde partie. Et quand le but de l’enseignant est de faire succéder à leur répétition pure et simple un travail sur le sens, le mime, et la création d’histoires, les comptines deviennent de précieux adjuvants de la motivation des élèves, comme le détaille la troisième partie.
Apprendre une langue, c’est avant tout prendre du plaisir
Est-il à cet égard nécessaire de rappeler combien il est important de susciter, dans l’apprentissage de l’anglais au primaire, le plaisir d’apprendre de nouveaux mots, mais aussi la gourmandise de pouvoir les chanter le soir à la maison ? Il n’est d’envie d’apprendre une langue que par besoin de communiquer dans cette langue, et ce désir et ce plaisir sont au cœur de la réflexion de ce mémoire.
Il serait cependant naïf de soutenir que les comptines sont la boîte à outils magique remède à la séance monotone, ronronnante ou déjà-faite-l’année-passée-avec-l’autre maîtresse, comme ne manquent jamais de le faire remarquer les élèves.
Les comptines suscitent aussi d’autres dilemmes : faut-il préférer une classe qui répètera à la perfection une comptine rabâchée jusqu’à l’écoeurement ou une classe qui chante en petit nègre un texte anglais appris vite et uniquement à l’oreille ? Combien de temps passer sur l’apprentissage des paroles ? Les comptines doivent-elles êtres traitées comme de simples supports, ou sont-elles un objectif pédagogique à part entière ? Autant de difficultés sur lesquelles nous reviendrons en conclusion en indiquant les réponses possibles que nous ont apporté l’expérience du terrain, qui concerne ici une classe de CE2 de 16 élèves n’ayant jamais pratiqué l’anglais avant, suivie durant l’année scolaire 2006-2007 en stage filé.