APPRECIATION DES RISQUES DE CONTAMINATION MICROBIENNE DE LA VIANDE DE PETITS RUMINANTS DANS LES ABATTOIRS
INTRODUCTION
L’élevage des petits ruminants s’est révélé être d’un bon appoint à la correction des déficits protéiques des populations sénégalaises. Les petits ruminants avec plus de 8 millions (DIREL, 2006) rentabilisent de manière optimale les grands espaces agropastoraux et survivent à des situations alimentaires difficiles tout en conservant une valeur marchande appréciable. Ce secteur permet à de nombreux petits producteurs de ruminants et à certains acteurs de la filière d’avoir des revenus et de pourvoir à leurs besoins en protéines animales. C’est ainsi qu’on assiste à une prolifération d’établissements de restauration appelés « Dibiteries » gérées souvent par des bouchers. Dans ces installations, la viande est servie aux clients après avoir subi une opération de grillade au feu de bois. Depuis l’abattage des animaux jusqu’à la cuisson, la viande subit de nombreuses manipulations avant d’être livrée à la consommation humaine. Cependant les acteurs de cette filière ignorant les bonnes pratiques d’hygiène, contribuent à la dissémination et à la multiplication des germes pathogènes lors de la production et de la commercialisation de la viande. Ce manque d’hygiène est donc à l’origine des contaminations bactériennes pouvant provoquer une toxi-infection alimentaire chez le consommateur. Les bactéries responsables sont : Salmonella sp, Escherichia coli producteurs de shiga-toxines, Staphylococcus aureus, Listeria monocytogenes (De Buyser et al., 2001). Au niveau mondial, ces toxi-infections alimentaires sont responsables d’un nombre considérable de décès, dont l’Afrique paye le lourd tribu (Käferstein et al., 1997). En Europe, la mortalité due aux intoxications alimentaires est peu importante, mais près de 50 000 cas de gastroentérites aigües par million d’habitants et par an sont couramment avancés (Tholozan et al., 1997). Au Maroc entre 2000 et 2004, 7118 cas de toxi-infections alimentaires ont été rapportés dont plus de 86% sont d’origine bactérienne (Cohen et al ., 2006). On estime que dans ce pays, la toxi-infection alimentaire collective (TIAC) est due essentiellement par Salmonella sp., Staphylococcus aureus, Clostridium botulinum et E. coli avec respectivement 42,8% , 37%, 1,7% et moins de 1% des cas. De plus la contamination des aliments d’origine animale et principalement des viandes et produits carnés est responsable de 28% des cas de TIAC (Anonymous, 2005). Au Sénégal, selon la Direction des Services Vétérinaires le nombre de cas déclarés d’intoxication alimentaire s’élève à 10097 dont 670 hospitalisés en 1991. La majorité des cas sont dus aux salmonelles (4661 cas pour 23 décès) et à Clostridium perfringens (2042 malades et 3 hospitalisations) (Aw, 1996). La consommation de la viande de petits ruminants étant important à Dakar, il est plus que nécessaire d’étudier les risques de contamination microbienne de la viande de petits ruminants dans les abattoirs et dans les dibiteries de Dakar. La présente étude, réalisée dans le cadre d’un mémoire de master en santé publique vétérinaire a pour objectif général, d’analyser les risques de contamination microbienne de la viande de petits ruminants produite dans les abattoirs et vendue dans les dibiteries de Dakar. De façon spécifique, il s’agit : 2 d’identifier les sources de contamination de la viande de petits ruminants dans les abattoirs et aires d’abattage en analysant les différentes étapes de la production ; d’identifier les sources de contamination microbienne de la viande pendant le transport ; d’identifier les sources de contamination microbienne de la viande dans les dibiteries ; d’identifier les dangers microbiens pouvant nuire aux consommateurs ; d’apprécier les conséquences de ces contaminations microbiennes ; d’estimer le risque de ces contaminations microbiennes chez le consommateur. Le document est présenté en deux parties : la première est consacrée à la synthèse bibliographique axée sur les accidents alimentaires d’origine bactérienne et l’analyse de risque en épidémiologie animale ; la deuxième partie qui est expérimentale comprend deux chapitres dont le premier décrit le matériel et les méthodes utilisés, le second les résultats obtenus, la discussion et enfin les recommandations à l’endroit des acteurs, des décideurs et des consommateurs.
LES ACCIDENTS ALIMENTAIRES D’ORIGINE BACTERIENNE
Généralités
La qualité microbiologique d’un aliment est un critère définissant l’acceptabilité d’un produit, d’un lot d’aliments ou d’un procédé sur la base de l’absence, de la présence ou du nombre de microorganismes et/ou de la quantité de leur toxine/métabolites, par unité(s) de masse, volume, surface ou lot (Afssa, 2008). Elle est l’affaire de tous ceux qui interviennent depuis leur production jusqu’à leur consommation. Une bonne compréhension des mécanismes de contamination aide au respect des règles de prévention. En effet, il existe plusieurs voies de contamination des aliments par les micro-organismes : les personnes, leurs vêtements, l’air, l’eau et les animaux. Ainsi deux types de contaminations importantes sont à distinguer : la contamination endogène et exogène. La contamination endogène des denrées alimentaires d’origine animale est causée par les germes commensaux du tube digestif des animaux. Quant à la contamination exogène, les agents microbiens sont apportés dans les denrées initialement saines, au cours des diverses manipulations (préparation des viandes, transport, stockage). Les accidents alimentaires peuvent ainsi être regroupés en infections, toxi-infections, intoxications et intoxinations. En cas d’infection, les micro-organismes vivants présents dans l’aliment provoquent des effets pathologiques variés par leur multiplication dans les entérocytes de l’intestin grêle et du colon. On parle de toxi-infection lorsque l’infection est suivie de la production des toxines protéiques ou glucido-lipido-protéiques. Les germes responsables des toxi-infections sont : Salmonella sp, Clostridium perfringens, Shigella sp, Vibrio parahaemolyticus, Bacillus cereus, Yersinia enterocolytica, Campylobacter sp, Listeria monocytogenes. Les intoxinations alimentaires se produisent à la suite de l’ingestion des toxines préformées dans l’aliment. Les signes cliniques sont très variés : vomissements, diarrhées et douleurs abdominales. D’autres syndromes d’ordre neurologique, vasculaire et hématologique sont aussi observés. Les principaux agents en cause sont : Staphylococcus aureus et Clostridium botulinum (Tayou, 2007). Les intoxications alimentaires interviennent à la suite de la consommation d’aliments contenant des substances toxiques. Les principaux agents sont l’histamine, le mercure, les mycotoxines (aflatoxines), les produits chimiques (additifs, pesticides, antibiotiques, détergents et désinfectants), les sels métalliques tels que le cuivre, le zinc, le plomb (Diallo, 2010). Dans les collectivités, on parle de toxi-infection alimentaire collective (TIAC) qui est l’apparition au même moment d’au moins deux cas de symptômes similaires le plus souvent digestifs chez des individus ayant consommé le même repas (Diallo, 2010). Les TIAC peuvent regrouper donc les trois sous-catégories précédentes. En milieu hospitalier, les TIAC ont un retentissement psychologique sur les patients et un important impact socio-économique (Hamza, 1998) car elles provoquent : un 4 prolongement du séjour hospitalier ; une aggravation de la pathologie sous-jacente ayant motivée l’hospitalisation ; une létalité non négligeable et une augmentation des frais hospitaliers.
Toxi-infections à Escherichia coli
Ce sont des gastro-entérites dues à des souches entéropathogènes d’Escherichia coli (E. coli) qui est un hôte normal du tube digestif, mais qui devient pathogène dans certaines conditions. Ces germes provoquent des troubles graves (diarrhée violente, nausées, vomissements), 12 heures après l’ingestion du repas chez le jeune qui peut en succomber. Chez l’adulte, des céphalées sont en plus observées. Les aliments dangereux sont les produits laitiers manipulés ainsi que les viandes (Abdoulaye, 1988). Les colibacilloses proviennent principalement de la mauvaise hygiène des mains (Abdoulaye, 1988).
Intoxination staphylococcique
Elle est provoquée par Staphylococcus aureus qui est une bactérie sphérique, aéro-anaérobie facultative à Gram positif. Elle sécrète des enterotoxines thermostables. Les troubles apparaissent brutalement, 2 à 3 heures après l’ingestion et ne sont pas accompagnés de fièvre. Les signes digestifs et généraux sont très marqués, parfois impressionnants (pouls rapide, chute de tension, hypothermie, vomissements incoercibles, diarrhée importante, etc.) rappelant un empoisonnement. Ils ne durent que quelques heures. Les aliments responsables sont rarement contaminés à l’origine. Cependant le lait de chèvre ou de vache peut être contaminé dans le cas de mammite staphylococcique de l’animal. Dans la majorité des cas, la contamination des aliments est due à des manipulateurs présentant des lésions cutanéo-muqueuses ou porteurs de germes (Balma, 1989). Peu d’études ont été réalisées dans le contexte africain pour l’analyse de risque de ces contaminations. Qu’en est-il donc des risques de contamination microbienne de la viande de petits ruminants dans les abattoirs et dibiteries de Dakar ?
L’ANALYSE DE RISQUE EN EPIDEMIOLOGIE ANIMALE
Généralités sur l’analyse de risque
De nombreuses définitions ont été données à l’analyse de risque (risk analysis en anglais). Nous retiendrons celle de AHL et al. (1993). L’analyse de risque est définie comme « une démarche scientifique faite dans le but d’identifier les dangers connus ou potentiels, d’en apprécier les risques, de les gérer et de communiquer à leur propos ». Cette définition possède le mérite de présenter clairement les quatre composantes de l’analyse de risque ; après l’identification du danger, le risque est apprécié, puis il convient de gérer ce risque, tout en communiquant à son propos (Figure 1). L’analyse de risque est un outil de choix d’aide à la décision en épidémiologie (Toma et al, 2002).
Définitions des principaux concepts
Danger
Le mot danger (hazard en anglais) fréquemment utilisé dans le langage courant, prend dans le contexte d’analyse de risque, une signification particulière. Il correspond à une notion qualitative. Un danger est alors représenté par des agents biologiques comme des virus (exemple : le virus de la fièvre aphteuse), des bactéries (exemple : Escherichia coli), des parasites (Trichinella spiralis), des substances chimiques (exemple : anabolisants) ou des particules (exemple : radionucléides) pouvant avoir un effet néfaste pour la santé (Toma et al., 2002). Pour d’autres, le danger correspond à la maladie elle-même (la fièvre aphteuse, la salmonellose, la trichinellose, etc.).
Risque
Le risque est quant à lui une notion quantitative. Le risque se définit comme étant la « probabilité de la survenue d’un danger, combinée à l’importance de ses conséquences indésirables ». Dans la notion du risque existent donc deux composantes (Figure 2) : – d’une part, la fréquence d’occurrence du danger (d’où découle la probabilité de survenue) ; – d’autre part, l’importance des conséquences du danger (c’est-à-dire la gravité). Selon les dangers, la fréquence peut être faible, moyenne ou élevée ; il en est de même pour les conséquences, en termes de morbidité, de mortalité et de pertes économiques (Toma et al., 2002).
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