Les travaux présentés dans cette recherche ont pour objectif de discerner les apports de la réalité virtuelle dans la prise en charge des troubles cognitifs et comportementaux. La réalité virtuelle, domaine hautement pluridisciplinaire qui s’appuie sur un vaste éventail de technologies, peut en effet contribuer à comprendre le fonctionnement humain, à aider l’individu dans ses handicaps et à soigner ses troubles et dysfonctionnements.
Notre démarche repose sur deux applications menées l’une en psychiatrie dans le cadre du projet européen Vepsy (Telemedicine and Portable Virtual Environments for Clinical Psychology), l’autre en neuropsychologie dans le cadre d’un PHRC (Projet Hospitalier de Recherche Clinique). Ces travaux s’inscrivent dans le contexte de l’étude de la faisabilité technique et clinique de l’utilisation de la réalité virtuelle dans la thérapie d’une part et dans l’évaluation d’autre part. Ils entraînent une réflexion sur la création d’environnements virtuels générateurs d’émotions et adaptés à la reconstruction cognitive et comportementale dans le premier cas ; permettant d’évaluer des sujets dans des situations proches de la vie quotidienne dans le second cas.
La réalité virtuelle est un domaine pluridisciplinaire qui se trouve à la croisée des chemins des sciences et techniques et des sciences humaines. Des applications fondées sur ses techniques se sont développées dans des domaines nombreux et variés, dont ceux de la psychiatrie et de la neuropsychologie. La réalité virtuelle (RV) fut d’abord entrevue par les thérapeutes comme une technologie leur permettant de réaliser un nouveau paradigme d’interaction « Humain – Monde virtuel ». Mais nous le verrons, la RV est plus qu’une technique et offre d’autres possibilités.
Après avoir défini notre vision de la réalité virtuelle au sens général, nous préciserons son acception dans le cadre de la prise en charge des troubles cognitifs et comportementaux, et finalement grâce aux deux études que nous présenterons, nous nous concentrerons sur l’utilisation que nous en avons faite.
Depuis son introduction par Jaron Lanier en 1986, la réalité virtuelle a connu de nombreuses définitions focalisées sur sa finalité, ses aspects technologiques, ses applications ou ses fonctions. La définition que nous proposons s’appuie sur les travaux et réflexions menés ces dernières années (Fuchs et al., 2003; Fuchs and Richir, 2003a, b; Grumbach, 2003). La réalité virtuelle est un domaine scientifique et technique permettant à un individu (ou à plusieurs) d’interagir en temps réel avec des entités 3D au moyen d’interfaces comportementales, dans un monde artificiel dans lequel il est plus ou moins immergé. Ce monde artificiel est soit imaginaire, soit symbolique, soit une simulation de certains aspects du monde réel. L’interaction avec le monde virtuel est cognitive et sensorimotrice.
L’immersion peut être décrite comme « l’état d’un participant lorsque l’un ou plusieurs de ses sens … est isolé du monde extérieur et n’enregistre plus que des informations issues de l’ordinateur. » (Pimentel and Teixeira, 1994). Le degré d’immersion est dépendant des interfaces utilisées tandis que le niveau d’immersion nécessaire et bénéfique est variable selon les applications (Stanney et al., 1998).
L’interaction de l’utilisateur avec le monde virtuel est assurée par les interfaces comportementales par le biais des canaux sensorimoteurs. Ces interfaces peuvent informer l’utilisateur de l’évolution du monde virtuel (interfaces sensorielles), ou informer l’ordinateur des actions motrices de l’homme sur le monde virtuel (interfaces motrices). L’éventail des interfaces comportementales est vaste, du profil minimal constitué par le couple écran-souris aux moyens les plus sophistiqués et les plus immersifs tel le visiocube, ou CAVE , et pourra être consulté dans différents ouvrages (Burdea and Coiffet, 1993; Pimentel and Teixeira, 1994; Fuchs, 1996; Fuchs et al., 2003).
L’interaction en temps réel est assurée par les interfaces comportementales dans la mesure où l’individu ne perçoit aucun décalage temporel entre son action sur l’environnement virtuel (EV) et la réponse sensorielle de ce dernier. Lors de cette interaction dans l’EV, les fonctions cognitives et sensorielles de l’individu sont sollicitées de façon pseudo-naturelle, c’est-à-dire différemment de leur sollicitation naturelle dans un environnement réel, des conflits sensoriels pouvant par exemple naître.
Les applications de réalité virtuelle sont centrées sur les individus, et développées pour que ceux-ci y soient immergés pour y accomplir une activité déterminée. Afin de permettre l’immersion et l’interaction, le concepteur doit analyser les processus d’interfaçage entre l’utilisateur et le système virtuel ainsi que les dispositifs à concevoir.
Nous mettons en rapport notre démarche de conception d’un système virtuel avec le modèle hiérarchique proposé par Fuchs concernant l’immersion et l’interaction dans un EV (Fuchs, 1999), et comportant trois niveaux :
– le niveau sensorimoteur, puisque l’individu est connecté à l’ordinateur par ses sens et ses réponses motrices. Il est à noter, qu’à ce niveau, les interfaces et l’ordinateur sont incorporés dans la boucle « perception, cognition, action » de l’utilisateur, et viennent la perturber, du fait par exemple des temps de latence ;
– le niveau cognitif, qui correspond aux processus cognitifs mis en œuvre par l’utilisateur lors de l’immersion et de l’interaction. Il s’agit alors de comprendre à partir de quels modèles mentaux il pense et agit. Au travers de schèmes (Piaget and Chomsky, 1979) qu’il a acquis dans les situations réelles, l’individu interagit avec le monde virtuel. Lorsque l’utilisation de schèmes est impossible, des métaphores (image symbolique de l’action ou de la perception souhaitée : par exemple valider un achat en cliquant) ou des substitutions (sensorielles ou motrices : par exemple, un son émis lors de collision avec des objets) lui sont proposées ;
– et le niveau fonctionnel, i.e. celui de l’immersion et l’interaction pour une tâche donnée.
Cette structuration hiérarchique est également fondée sur un découpage transversal entre le sujet et le monde virtuel. Ainsi au niveau sensorimoteur, l’ordinateur gère la réalisation physique du monde virtuel, tandis qu’au niveau cognitif, le logiciel de RV en gère la modélisation comportementale. Pendant ces étapes, le système virtuel fournit à l’utilisateur des aides logicielles comportementales facilitant immersion et interaction sensorimotrices et cognitives. Les aides logicielles sensorimotrices (ALS M) vont permettre par exemple d’améliorer, grâce à des filtres, la qualité des signaux, ou bien d’améliorer, en cas de tremblements, les réponses motrices de l’utilisateur. Les aides logicielles cognitives (ALCog) vont, elles, lui faciliter la tâche dans l’EV tout en respectant l’objectif de l’immersion et de l’interaction fonctionnelles. Prenons comme exemple l’individu qui doit s’asseoir sur une chaise dans un EV ; il se dirige vers la chaise, et à proximité de celle-ci le logiciel prend en main l’action de s’asseoir, libérant ainsi l’individu des soucis de précision dans la navigation. Enfin, au niveau fonctionnel, ce modèle est complété par une décomposition en Primitives Comportementales Virtuelles (PCV) telles que l’observation, la manipulation, la navigation, etc.
Les deux conditions, interaction et immersion, sont un objectif à atteindre (Fuchs, 1996). Elles doivent être en partie réalisées, même modestement, pour parler d’un système fondé sur les techniques de la réalité virtuelle.
Lors de la conception d’un EV se pose également la question du réalisme de l’EV. Mais les critères de réalisme sont nombreux, rendant le recours à cette notion problématique. Le réalisme peut être atteint de diverses manières selon l’objet évalué (image, réaction, comportement), le rôle de l’observateur, ou la tâche (évaluation d’une apparence ou de la crédibilité) : a) réalisme de la construction de la simulation par le respect des lois de la physique, de l’évolution ou du comportement humain ; b) fidélité de l’expérience perceptive, i.e. l’expérience perceptive serait crédible si elle était vécue dans le monde réel (Carr, 1995) ; c) fidélité psychologique, i.e. « la proportion dans laquelle la tache simulée engendre une activité et des processus psychologiques identiques à ceux de la tâche réelle » (Patrick, 1992) ; d) illusion du réel, ou encore illusion d’une réalité qui n’existe pas (Carr, 1995), souvent associée à la notion de présence . La notion de réalisme dépendra évidemment du monde artificiel que nous choisirons de développer, celui-ci pouvant être imaginaire, symbolique ou une simulation de certains aspects du réel.
Chapitre 1 Introduction |