Apports de la musique préexistante

Le film

Le film dont nous allons tenter d’analyser la bande originale s’intitule Le grand bain. Il a été réalisé par Gilles Lellouche et est sorti en 2018. La musique originale de ce film a été composée par Jon Brion et orchestrée par Steve Bartek. La supervision musicale du film à elle été assurée par Emmanuel Ferrier de la société L’R du trésor, un label spécialisé dans la musique originale.
Commençons par justifier notre choix concernant ce film.
Ce film grand public, un feel good movie en quelque sorte, a été très largement diffusé.
L’aspect conventionnel de cette œuvre permettra une approche intéressante pour un grand nombre d’autres films de cette catégorie.
Le grand bain pourrait être classé dans le genre des tragicomédies. Le spectre des émotions qu’il peut procurer au spectateur étant très large les choix musicaux pourront relever d’intentions et de fonctions très différentes. Les musiques que l’on trouvera dans la bande originale de ce film sont donc d’esthétiques et de types très divers, on y trouvera aussi bien des musiques originales que des musiques préexistantes et d’illustration.
Introduisons désormais l’intrigue de ce film.
Nous suivons dans ce film la situation de Bertrand, quadragénaire atteint d’une dépression, chômeur de longue date et dont la vie de famille est parfois compliquée. Alors qu’il accompagne sa fille à la piscine, Bertrand apprend l’existence d’une équipe de natation synchronisée masculine, qu’il décide de rejoindre. Cette dernière est constituée de personnages souffrant eux-aussi d’un certain mal-être : problèmes professionnels, pécuniaires, familiaux, amoureux… Un jour les membres de l’équipe découvrent l’existence d’un championnat du monde de natation synchronisée masculine et l’absence d’une équipe française dans la discipline. Malgré un niveau général assez médiocre, l’équipe choisit de s’inscrire à la compétition et se lance dans un entraînement intensif. Nous embarquerons enfin avec les personnages pour un voyage qui les mènera en Norvège, lieu de la compétition.
Après une performance de haute volée, l’équipe de France remportera le titre de champion du monde de natation synchronisée, et le film se refermera sur le retour triomphal de l’équipe dans sa ville.
Ce film dépeint l’évolution psychologique positive des différents personnages. L’expérience partagée par les membres de l’équipe leur aura permis de sortir de leurs routines moroses, de s’évader de leur quotidien et de retrouver une certaine estime d’eux même.
Avant de nous attarder sur des analyses de la musique et de son rôle dans des séquences précises, étudions les données macroscopiques de la bande originale de ce film afin de pouvoir nous faire une idée du contenu musical global de l’œuvre.
Afin de nous appuyer sur des données concrètes, voici quelques documents que nous avons élaborés. Il s’agit respectivement du relevé général des différentes interventions musicales (la Cue sheet), du relevé des musiques additionnelles puis originales. Nous incorporerons de même à ces deux derniers documents des données telles que la place occupée par les œuvres (1er plan, arrière-plan…), ou encore leur caractère ou non diégétique.
Le relevé des musiques originales mentionnera les thèmes utilisés et celui des musiques additionnelles comportera des catégories comme les références, l’esthétique ou la provenance des musiques.

Apports de la musique originale

Comme nous l’avons mentionné, la musique originale se base sur un matériel thématique très restreint : seulement trois thèmes. Ces thèmes sont toutefois déclinés sous différentes formes selon l’action qui se déroule à l’image. Les variations peuvent correspondre à des changements d’instrumentations, de nuances, ou encore des élaborations mélodiques ou harmoniques. Étudions dès lors deux séquences dans lesquelles le même thème apparaît sous deux formes différentes. La première d’entre elle est accessible grâce au lien suivant :

CUE 10

A cet instant du film, Bertrand vient de se confier pour la première fois sur sa dépression aux membres de son équipe qui lui ont alors manifesté leur soutien. Ici, la musique vient illustrer le soulagement de Bertrand après cette annonce et sa réception.
Le thème est décliné de façon épurée. Il est confié au piano, subtilement accompagné par une guitare-basse électrique. Viennent ensuite s’ajouter un vibraphone et un xylophone puis des sonorités aériennes dans les registres aigus. La mélodie s’estompe peu à peu au grès d’harmonies majeures et modales aux caractères chaleureux et colorées (enchaînements Do Maj 7 – La Dom 9).
Cette variation du thème participe du sentiment de légèreté dans lequel baigne Bertrand, état émotionnel que l’image et le son seuls auraient difficilement pu exprimer à un tel degré. Intéressons-nous maintenant à l’apparition de ce même thème sous une forme différente :

CUE 16

Dans cette séquence, Marcus, patron d’une société au bord de la faillite va tenter, dans un élan de folie, de commettre une fraude à l’assurance en incendiant son propre véhicule de fonction.
La musique illustre ici son cheminement intérieur et sa détermination qui s’accroît jusqu’au passage à l’acte. La musique est entièrement construite sur un imposant crescendo. Les instruments jouent dans des nuances de plus en plus fortes et l’orchestration évolue vers le tutti : des bois puis des percussions se joignent progressivement à l’ensemble, abordant des motifs rythmiques de plus en plus hachés. Une ligne mélodique chromatique ascendante aux cordes fait encore monter la tension jusqu’à être doublée par une guitare électrique au son saturé au moment du passage à l’acte, signe de non-retour, et enfin des arpèges joués fortissimo aux violons viennent sceller le climax alors que la voiture est en flammes.
Comme dans l’exemple précédent, la musique transcrit ce double mouvement qui relie le cheminement intérieur du personnage aux émotions identificatoires de celui qui les reçoit – le récepteur de la scène. C’est généralement la façon dont la musique originale est utilisée dans ce film. Ses interventions permettent des avancées dans la narration, avancées souvent difficilement exprimables par l’image ou le son puisque fréquemment liées à des évolutions psychologiques chez les personnages.
Parlons enfin d’une dernière scène musicalement très intéressante : celle de la performance des français au championnat du monde de natation synchronisée :
L’intérêt de cette scène sur le plan musical est de nous fait entendre une musique préexistante diégétique (Easy lover – Philip Bailey & Phil Collins) au sein de laquelle vient s’insérer une musique originale. Cette séquence nous montre bien les effets différents que peuvent procurer au spectateur ces deux types de musique.
De par les codes sémantiques qu’elle dégage, la musique Easy lover confère à la scène son dynamisme, son énergie et lui imprime son caractère exaltant. Le spectateur lui aussi perçoit et ressent ces émotions, bien que de manière différente en fonction de sa connaissance et de son rapport à cette musique. Lorsqu’il visionne cette scène, le spectateur s’extrait en quelque sorte de l’intrigue du film et de sa trame narrative que la musique préexistante et les métadonnées qui lui sont associées lui permettent d’occulter brièvement.
En revanche, dès que la musique originale intervient, le spectateur revient instantanément à la narration et pourra se remémorer les difficultés rencontrées par ces personnages ou le chemin parcouru pour en arriver là.
Cet exemple illustre ainsi parfaitement les concepts d’identification par assimilation et par affiliation théorisés par Anahid Kassabian abordés dans la troisième partie.

Apports de la musique préexistante

La musique additionnelle, selon qu’elle apparaisse de manière diégétique ou extradiégétique a des fonctions qui diffèrent quelque peu. Lorsque qu’elle est diégétique, la musique additionnelle pourra être considérée comme faisant partie intégrante du décor.
Comme nous l’avons vu dans la troisième partie, elle permettra aussi de situer le film dans un cadre spatio-temporel défini. Nous nous intéresserons davantage ici à la musique additionnelle lorsqu’elle intervient de manière extra-diégétique.
La musique additionnelle extra-diégétique est dans ce film principalement utilisée dans le but d’imprégner l’image des codes et émotions qu’elle véhicule. Contrairement à la musique originale, les interventions de musiques additionnelles ne font ainsi pas avancer la narration. C’est par exemple le cas dans la séquence suivante :
Dans cette séquence, les membres de l’équipe de natation synchronisée reviennent dans leur ville, fort de leur sacre. Il s’agit en quelque sorte d’un épilogue, la narration est à l’arrêt et la musique sert à exprimer la jubilation ressentie par les nageurs à cet instant. Les paroles éponymes de la musique utilisée (So good, so right – Imagination) témoignent du rôle dédié à la musique dans cette séquence.
Analysons enfin une dernière séquence incorporant une musique préexistante extradiégétique :
Ce moment du film correspond au début de l’entraînement intensif entrepris par les membres de l’équipe en vue des championnats du monde. On y découvrira le quotidien des différents personnages influencé par ce nouvel objectif : tout au long de la scène nous voyons les protagonistes s’entraîner activement que ce soit à la piscine ou sur leur lieu de travail.
Cette scène témoigne de la façon dont les musiques populaires préexistantes ont influencé le cinéma. Hilary Lapedis, que nous avons cité au cours de la troisième partie émet l’idée suivante :
« […] mais c’est l’effet de la relation changeante entre la musique populaire et l’image qui est intéressante – la façon dont la musique populaire, dans son format de trois minutes a influencé la structure narrative du cinéma grand public. »
En effet, on peut constater que cette séquence dans le film, comparable à un clip musical, a été entièrement pensée pour accueillir la musique (Physical – Olivia Newton John).
La performance des acteurs y est entièrement chorégraphiée ce qui peut nous amener à penser que le choix de la musique a même pu précéder l’écriture de la scène. A l’inverse de la musique originale qui peut s’adapter à l’image, nous nous trouvons ici dans un cas de figure où le montage image a été adapté à la musique.
Enfin, la musique a encore pour fonction d’attacher à l’image les émotions qu’elle véhicule et on notera une fois de plus la pertinence des paroles par rapport à l’action (Let’s get physical / Let’s get animal) bien que très certainement initialement pensées dans un contexte tout autre.

Conclusion

Nous avons donc pu étudier la bande originale d’un film récent, comparer les proportions de musiques originales et additionnelles. Nous nous sommes intéressés à leur provenance ou encore à la manière dont elles pouvaient apparaître à l’image et ce qu’elles pouvaient lui apporter. En procédant de la sorte, nous avons étayer de façon concrète les concepts abordés tout au long de notre travail.

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