Apport d’une approche translationnelle dans l’étude du lien entre flexibilité cognitive et compulsion
Le Trouble Obsessionnel Compulsif
Description sémiologique
Considéré depuis longtemps comme une maladie mentale rare, les études épidémiologiques réalisées en population générale retrouvent une fréquence du trouble obsessionnel-compulsif (TOC) variant entre 2 et 3 % sur la vie entière avec une distribution égale entre les femmes et les hommes (Abramowitz et al., 2009). Le TOC peut se déclarer durant l’enfance ou l’adolescence, aussi bien qu’à l’âge adulte (Stewart, 2016) et se retrouve dans les différentes populations étudiées à travers le monde (Weissman, 1998), ce indépendamment donc du milieu culturel du patient (Fontenelle et al., 2004). Ceci suggère ainsi une implication de mécanismes universels dans la pathogénèse du TOC. 1. Un tableau clinique caractéristique Ce trouble, dont la première description remonte à 1838 sous l’appellation « monomanie raisonnante » (Esquirol, 1838), est caractérisé par la présence d’obsessions et de compulsions pouvant, ou non, être associées. Les obsessions sont des pensées, impulsions ou représentations récurrentes et persistantes. Elles sont le plus souvent égodystoniques, c’est-à-dire reconnues comme absurdes et pathologiques par le sujet ; ce dernier faisant donc des efforts pour les ignorer, les réprimer ou les neutraliser car elles sont une source d’angoisse majeure. Les compulsions sont des comportements répétitifs (se laver les mains, ordonner, vérifier, etc…) ou des actes mentaux (compter, prier, répéter des mots en silence, etc…) en réponse ou non à une obsession, et qui doivent être appliqués selon certaines règles et de manière inflexible. Ces compulsions sont destinées à neutraliser ou à diminuer le sentiment de détresse, l’angoisse secondaire à l’obsession ou à empêcher un évènement ou une situation anxiogène redoutée, sans qu’il y ait une quelconque relation réaliste entre la compulsion et son objectif ou si c’est le cas, la compulsion aura systématiquement un caractère excessif par rapport à son objet. Pour rentrer dans le cadre d’un TOC, selon le DSM-5 (Diagnostic and Statistical Manual of mental disorders, 5e édition, American Psychiatric Association, 2013), la symptomatologie doit être présente pendant plus d’une heure par jour, et doit engendrer une souffrance marquée dans la vie de l’individu en altérant sa qualité de vie, ses relations familiales, ou son aptitude au travail par exemple. Ils doivent également ne pas être induits par un abus de substance ou s’intégrer dans un autre syndrome psychiatrique. Ces critères sont d’autant plus nécessaires 16 Partie théorique quand on sait que ces symptômes sont très communs avec près de 50 % de la population non clinique s’engageant dans des comportements ritualisés (Muris et al., 1997), et jusqu’à 80 % expérimentant des pensées intrusives, désagréables ou non désirées (Salkovskis & Harrison, 1984) ; ce sans entrainer de détresse ou d’impact fonctionnel. La Figure 1 résume les critères diagnostiques du TOC selon le DSM-5.
Mais une forte hétérogénéité clinique
En raison de la multiplicité des caractéristiques cliniques du TOC, plusieurs classifications ont été proposées pour tenter d’isoler des sous-types cliniques pertinents en se basant principalement sur le thème des obsessions/compulsions ou l’âge d’apparition du trouble.Le TOC se définit par une grande hétérogénéité dans sa symptomatologie, plusieurs thématiques obsessionnelles/compulsives se dégageant des observations cliniques. Ainsi, les cliniciens ont très vite cherché à distinguer des sous-types cliniques afin de progresser dans la compréhension du trouble. Des auto-questionnaires ou des entretiens semi-structurés ont été validés afin de quantifier ou de lister l’ensemble des thématiques des symptômes. L’entretien le plus utilisé aujourd’hui pour identifier les différentes obsessions et compulsions est la checklist de la Y-BOCS (Goodman et al., 1989) qui distingue différentes thématiques obsessionnelles (contamination, agression, sexe, maladie/corps, religion, accumulation, symétrie/ordre, etc…) et leur corolaire sur le versant compulsif (Figure 2). A partir de cet « inventaire », des tentatives de regroupement en sous-type clinique se basant sur des analyses factorielles ont abouti à la distinction de plusieurs dimensions cliniques. Ces dimensions se retrouvent dans la classification de Leckman qui est la plus utilisée aujourd’hui avec la reconnaissance de quatre facteurs : lavage/contamination ; obsessions agressives/vérifications ; accumulation ; symétrie/rangement (Leckman et al., 1997). Celle-ci s’est vue complétée plus tard par MataixCols qui y ajouta la dimension sexuelle/religieuse/rituels mentaux (Mataix-Cols, 2006) (Figure 3). Ces dimensions ont vite démontré leur pertinence clinique, des études ayant révélé qu’elles peuvent être prédictives de la réponse au traitement tant psychothérapeutique1 (Abramowitz et al., 2003) que pharmacologique2 (Starcevic & Brakoulias, 2008). De plus, il a été montré que les patients souffrant de TOC se différencient les uns des autres tant sur le plan neuropsychologique3 (Benzina et al., 2016) qu’au niveau des corrélats neuronaux de leurs symptômes4 (Mataix-Cols et al., 2004 ; Heuvel et al., 2009) selon la nature de leurs obsessions/compulsions. Ceci met donc l’accent sur la nécessité de prendre en compte ces dimensions cliniques dans les recherches menées sur le TOC tant en neuropsychologie qu’en neurobiologie. Un autre facteur d’intérêt dans l’identification de sous-types cliniques pertinents réside dans l’âge de début des troubles. En effet, l’âge d’apparition du TOC est très variable d’un patient à l’autre. Une étude prospective menée sur 40 ans (Skoog & Skoog, 1999) tend à montrer que le TOC apparait le plus souvent au début de l’âge adulte (40 %), avec néanmoins une proportion significative (29 %) d’individus ayant débuté la maladie avant l’âge de 20 ans. Ceci a conduit à distinguer le TOC d’apparition « précoce » du TOC d’apparition « tardive ». La frontière entre TOC précoce ou tardif n’est cependant pas très précise aujourd’hui de par le caractère arbitraire des critères utilisés pour différencier ces deux sous-types donnant des résultats inconsistants à l’interprétation difficile (Anholt et al., 2014). En effet, certaines études considèrent comme précoce un TOC apparu avant l’âge de 10 ans (do Rosario-Campos et al., 2001), d’autres 15 (Millet et al., 2004) ou 18 ans (Sobin et al., 2000). Ainsi, plutôt que de se baser sur un seuil arbitraire, Anholt et son équipe (Anholt et al., 2014) ont voulu déterminer cet âge en utilisant une méthode de classification objective (admixture analysis). C’est ainsi qu’ils établirent l’âge seuil de 20 ans confirmant bien la répartition bimodale de l’âge de début des troubles (Figure 4). A partir de ce seuil, ils purent mettre en évidence que les TOC précoces présentent une symptomatologie plus sévère que les TOC tardifs, rejoignant les observations d’une série de méta-analyses sur le sujet (Taylor, 2011a). Cette dernière, en plus de cette différence dans la sévérité du trouble, a montré que le TOC à début précoce est plus susceptible de se rencontrer chez les hommes, avec une plus grande fréquence de tics comorbides et un profil neuropsychologique moins altéré que dans la forme à début tardif. Il semblerait aussi que les formes à début précoce répondent moins bien aux traitements que les formes tardives, bien que l’amplitude de cette différence ne soit pas forcément cliniquement significative (Taylor, 2011a).
Intérêt d’une approche dimensionnelle
Du DSM au RDoC
Nous avons vu que le TOC est loin d’être un trouble homogène, suggérant ainsi l’inadaptation de la nosographie psychiatrique actuelle, reposant sur des catégories cliniques mutuellement exclusives. En effet, depuis les travaux d’Emil Kraepelin (Kraepelin, 1899) qui ont posé les bases il y a de cela plus d’un siècle de la nosographie moderne, la psychiatrie s’est fondée sur une approche catégorielle des troubles mentaux. Ce faisant, elle les considère comme des entités uniques et distinctes les unes des autres. Cependant, cette approche a finalement montré ses limites lorsqu’il s’est agi d’explorer l’étiologie de ces troubles (Hyman, 2010). En effet, les catégories diagnostiques référencées dans le DSM, ouvrage de référence dans la classification des troubles mentaux, sont loin de former des entités homogènes et les recherches menées au cours des trente dernières années sur les bases génétiques et neurobiologiques de ces entités cliniques ont en effet la plus grande difficulté à identifier des altérations qui leur sont spécifiques (Anderzhanova et al., 2017). Au contraire, ils tendent à montrer que si des altérations sont retrouvées, elles transcendent les barrières nosographiques inhérentes à l’approche catégorielle des troubles, comme c’est le cas pour la schizophrénie et le trouble bipolaire par exemple, qui ont des bases génétiques communes (Le-Niculescu et al., 2007). Ainsi, cette approche catégorielle des troubles mentaux entrave la recherche sur la physiopathologie mais aussi, par conséquent, le développement de nouveaux traitements (Cuthbert & Insel, 2013). C’est dans ce contexte qu’une nouvelle approche des troubles mentaux est apparue : l’approche dimensionnelle. Cette dernière reconnaît le chevauchement des symptômes de nombreux troubles mentaux et suggère qu’ils sont le produit de mécanismes communs. Ce concept de dimensions est appuyé par le programme Research Domain Criteria (RDoC) du National Institute of Mental Health5 , selon laquelle la maladie mentale sera mieux comprise comme le résultat d’altérations de la structure et des fonctions cérébrales normales impliquant des domaines spécifiques de la cognition, des émotions et du comportement (Cuthbert, 2014). Plus concrètement, l’architecture conceptuelle du programme RDoC repose sur une matrice (Sanislow et al., 2019) qui croise 7 niveaux d’analyse6 avec 6 domaines fonctionnels7 , euxmêmes décomposés en un petit nombre de construits théoriques non directement observables à un instant donné mais dont on suppose une validité expérimentalement testable (MacCorquodale & Meehl, 1948). Chaque case de la matrice (croisement construit/niveau d’analyse) fait ensuite l’objet d’études documentant les systèmes biologiques impliqués et leur spectre de fonctionnement (Figure 5). De fait, on ne part plus de troubles fondés sur des symptômes pour en chercher la physiopathologie, comme avec le DSM, mais on considère les symptômes comme secondaires à des dysfonctionnements de mécanismes sous-tendant différentes fonctions ; permettant ainsi l’identification de biomarqueurs à même d’améliorer la compréhension des troubles psychiatriques et d’orienter vers de nouvelles voies thérapeutiques.
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