Apport du scanner dans le dépistage des hémorragies cérébrales chez les patients traumatisés crâniens légers
Résultats des scanners cérébraux
Dans notre étude, la tomodensitométrie systématique réalisée chez ces patients a retrouvé 18 cas d’hémorragies cérébrales sur un nombre de 97 patients ; soit un rendement diagnostique de 18,5%. Ce résultat va dans le même sens que certaines données de la littérature. De nombreux auteurs confirment des taux voisins variant entre 13 et 20%, et ont conclu à la nécessité du scanner systématique chez ces patients [9,24]. D’autres études présentent des chiffres variant entre 7,2 et 11,3% [22]. Enfin, certains auteurs rapportent des chiffres beaucoup moins élevés voisins de 4% [12,26]. Il existe un écart entre nos résultats et certaines études citées ci-dessus. L’explication peut être multifactorielle. Tout d’abord, les populations étudiées ne sont pas toutes identiques et homogènes. En effet, il n’existe pas de consensus concernant les classifications utilisées [17]. On parle de « Mineur» ou « léger » selon le score de Glasgow, et du« groupe 2 » ou « à risque modéré » selon la classification de Masters, et sont source de confusion [30], car les différentes entités qu’elles représentent s’interprètent mais ne se confondent pas. Les études réalisées ne sont donc pas toutes facilement comparables.
Intérêt d’un scanner cérébral de contrôle à J2
La durée de la surveillance des patients présentant un TCL sous ACO et/ou AAP est estimée à 48 heures. C’est la durée dite de vulnérabilité au cours de laquelle le cerveau est susceptible de développer une hémorragie intracrânienne après ce type de traumatisme. Les résultats des études à propos de l’intérêt d’une imagerie répétée sont contradictoires. En 2012, Kaen et al ont rapporté 2 cas d’HIC au scanner de contrôle sur 137 patients sous warfarine ou héparine, soit 1,4%. Les 2 patients en question s’étant dégradés neurologiquement, ils ont conclu que seul ce type de patient pourrait en bénéficier [19]. En 2012, Menditto et al ont observé sur un ensemble de 87 patients, 5 nouvelles HIC au scanner de contrôle soit 6% [23]. En se basant sur l’ensemble de ces 2 cohortes, Li avait conclu dans son étude [20] qu’une nouvelle lésion survenait chez un patient sur 25 avec un scanner initial normal [19,23]. Le pourcentage des hémorragies cérébrales retrouvées au deuxième scanner dans notre travail est de 4,8% (n=5), similaire à la série de Li. [20] La négativité des premiers scanners a pu cependant être causée par la précocité de l’examen (dans les trois premières heures) : selon Jehl, E. et al [18], une imagerie normale à ce stade n’exclut pas la survenue ultérieure de lésions cérébrales (1/3 des scanners normaux à la 3ème heure vont montrer des saignements après 6 h).
Consultation post TC à J 21
Nous avons observé dans notre étude deux cas de patients rentrés à domicile à l’issue du deuxième scanner cérébral normal, qui se sont présentés moins d’un mois après pour somnolence, sans nouveau contexte de TCL. Le scanner immédiat a révélé un HSD. Cette observation souligne l’importance d’une information claire et appropriée des patients et de leur entourage, avec remise systématique d’une liste écrite de symptômes, clairement expliqués, devant les amener à consulter à nouveau en urgence. La consultation post TC a permis de refaire le point sur les traitements des patients et de revoir systématiquement l’indication des anticoagulants et/ou AAP. Cette relecture de l’ordonnance a aussi été rapportée dans la thèse de Schotté T. en 2013 [30], avec une majorité de médecins traitants qui avaient procédé à une remise en question de leur prescription d’antithrombotique, débouchant sur une part non négligeable d’arrêt de prescription.
Orientation des patients
Dix de nos patients ont été transférés dans un service spécialisé (UHCD, neurologie), avec surveillance de leur état de dégradation neurologique. Le scanner a modifié la prise en charge, en permettant au patient de bénéficier d’une surveillance étroite avec possibilité d’acte neurochirurgical rapide en cas d’altération neurologique. Même si un avis neurochirurgical par téléphone a été demandé pour chacun de nos patients ayant présenté une hémorragie cérébrale, aucun transfert en neurochirurgie n’a été effectué, que ce soit pour une surveillance ou pour un geste chirurgical. 33 5- Devenir du traitement ACO et/ou AAP : La présence d’une HIC au premier scanner impose une antagonisation immédiate et complète par CCP et vitamine K pour les patients sous AVK, sans attendre le résultat de l’INR, afin de réduire de façon significative la progression de l’hémorragie et la mortalité [7,11]. De même, le Groupe d’Intérêt en Hémostase Périopératoire (GIHP) recommande l’administration de CCP activés [13,26]. Les patients présentant une HIC au deuxième scanner ont été antagonisés et surveillés pour tous, avec arrêt temporaire de l’anticoagulation et de l’antiagrégation plaquettaire, permettant une évolution clinique tout à fait favorable. Cette décision thérapeutique aurait été plus délicate à prendre si un de nos patients était porteur d’une prothèse valvulaire ce qui n’est pas le cas. On ne peut connaître l’évolution qui aurait pu se faire si les traitements n’avaient pas été arrêtés. C’est pourquoi il est difficile de prétendre pouvoir se passer d’un scanner de contrôle en se fiant à la seule clinique. 6- L’âge et le sexe : Dans notre série d’étude, 13,4% des patients qui présentaient une lésion cérébrale étaient âgés de plus de 75 ans alors que seulement 5,2% des patients étaient âgés de moins de 75 ans. La prévalence de survenue d’une lésion cérébrale est estimée à 8,2% chez les hommes et à 10,3% chez les femmes. Cela prouve que le risque de survenue d’une HIC augmente nettement avec l’âge avec une légère prédominance féminine. Les mêmes résultats ont été retrouvé dans la littérature [31,32 ], en effet, la part de TC due aux chutes est plus élevée dans la population féminine et augmente avec l’âge De plus de multiples études ont noté que la mortalité par chute (mécanisme lésionnel de faible énergie) était supérieure à tout autre type de traumatisme à 34 cet âge, et que la personne âgée était plus sujette à se blesser par ce mécanisme. Le risque de décès par chute est approximativement 7 fois plus important après 65 ans que chez le patient plus jeune.
La molécule ACO et/ou AAP
Dans les recommandations de la SFMU, il est indiqué que les patients sous anticoagulants oraux constituent une population à risque d’hémorragie cérébrale après un TC, même si l’examen neurologique initial est rassurant [18]. Concernant les AAP, les données sont variables : plusieurs études ne considèrent pas la prise d’AAP comme favorisant le saignement cérébral post TC [11], mais certaines tendent à prouver que la prise d’AAP serait un facteur de risque indépendant d’hémorragie intracrânienne traumatique [1]. Douze de nos 18 patients ayant eu des lésions cérébrales étaient sous AAP en monothérapie ce qui représente 12,3% de la population d’étude, alors que seulement (6,2%) était sous ACO. L’analyse de nos données a montré une légère prédominance des AAP (66,6%) responsables d’hémorragie cérébrale, rejoignant les résultats de l’étude de Brewer et al [1] qui tendent à prouver que les AAP serait un facteur de risque d’hémorragie cérébrale aussi important que les ACO. 8- Le dosage de l’INR : Notre étude a permis de démontrer que le dosage de l’INR n’est pas un facteur déterminant dans le dépistage des HIC puisqu’aucun de nos patients présentant une HIC n’a été surdosé en anticoagulants, allant contre les conclusion d’une étude faite par Menditto et al, considérant un taux d’INR˃3 comme facteur de risque de survenue d’une HIC chez ces patients. 35 9- Symptômes : PCI et amnésie post-traumatique : Dans notre étude, 9 patients seulement ont présenté une perte de connaissance, et 15 ont rapporté une notion d’amnésie post-traumatique, la perte de conscience était indéterminée chez plusieurs patients. Nous n’avons pas mis en évidence de relation statistique significative entre la présence d’une perte de connaissance et l’apparition de lésion cérébrale à l’examen tomodensitométrique systématique. Ces résultats vont à l’encontre des anciennes publications [6,14] pour lesquelles la perte de connaissance constitue un facteur de risque majeur de lésion intracrânienne. Autres signes cliniques : Notre étude a également essayé de réaliser une corrélation entre des signes cliniques moins fréquents présentés par les patients et d’éventuelles lésions cérébrales. Les symptômes les plus communs sont les céphalées, les nausées et vomissements, une discrète somnolence, ainsi qu’un ralentissement psychomoteur. Ces symptômes n’ont pas été associés à des lésions cérébrales sauf pour un cas de céphalée et un cas de somnolence. Ces résultats sont assez étonnants, car certains de ces signes cliniques sont reconnus comme étant sensibles d’une lésion cérébrale dans les suites d’un traumatisme : les études de Haydel et Miller [12,24]considèrent les céphalées, nausées et vomissements comme critères de sélection des patients devant subir un examen scannographique cérébral en urgence. Or, notre étude ne retrouve pas de lien statistique significatif entre la présence d’une telle symptomatologie et celle d’une lésion intra-crânienne 36 10- Place de la chirurgie : La plupart des études sur les TC légers s’intéresse à l’identification des lésions qui nécessitent ou nécessiteront une intervention chirurgicale. Celles-ci sont peu fréquentes, le recours à la chirurgie se faisant dans 0,2% à 3,2% des cas.Ces chiffres sont donc très bas, mais sont supérieurs aux nôtres . L’étude de Garra [8] rejoint notre étude et ne retrouve aucun cas nécessitant une prise en charge chirurgicale. Ces différences peuvent s’expliquer par l’attitude interventionniste des équipes neurochirurgicales : en effet, un hématome sous-dural isolé de faible épaisseur chez un patient sans signe neurologique déficitaire ne cause pas de mortalité, et la mortalité reflète seulement les risques inhérents de la chirurgie. 11- Place des autres marqueurs : Le scanner cérébral reste le gold standard en termes de diagnostic d’HIC. Différents problèmes ont été soulevés du fait de sa non disponibilité parfois en urgence, son coût et de l’irradiation qu’il entraîne (un scanner cérébral= 40 clichés pulmonaires= 300 jours de radiation naturelle). Smith et al ont notamment répertorié sur une période de 14 ans l’ensemble des examens radiologiques réalisés auprès de deux millions d’Américains montrant ainsi que 3% d’entre eux avaient reçu des doses cumulées considérées comme à haut risque de cancer radio-induits. Ces différents éléments ont conduit à réfléchir à d’autres marqueurs, notamment biologiques Une étude chinoise s’est penchée sur l’intérêt du dosage des D-Dimères comme facteur prédictif de lésions hémorragiques retardées pour des patients se présentant pour des TC, toute gravité confondue. Elle a montré que lorsque le dosage initial était supérieur à 5 mg/L, il y avait un haut risque d’HIC au scanner à H 24, mais aucune étude spécifique au TCL n’existe ce jour. 37 Depuis plusieurs années, de nombreux auteurs se sont penchés sur la protéine S100 B, synthétisée par les cellules gliales du système nerveux central et de la gaine de Schwann. Sa concentration dans les liquides biologiques augmente en cas de lésion aigue du tissu cérébral. Son dosage plasmatique, plus facile de réalisation et moins onéreux qu’un scanner, s’inscrit dans les biomarqueurs pour le diagnostic des TCL. La dernière étude française multicentrique STIC-S100 est en accord avec différents travaux précédents, son intérêt : un dosage précoce et inférieur à 0,10 µg. /L, permet de prédire la normalité du scanner cérébral avec une valeur prédictive négative proche de 100%. Selon Zongo [34] et al, il permettrait de diminuer de 30% le nombre de scanners. Les Scandinaves l’ont dorénavant intégré dans leur arbre décisionnel. Pourtant, ils rejoignent les auteurs français et concluent à la non indication de ce dosage chez des patients sous ACO.
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