Les anticoagulants constituent un enjeu de premier ordre pour les patients, l’industrie pharmaceutique, les cliniciens et les biologistes, qui conjuguent leurs efforts pour étudier les mécanismes mis en jeu. Les deux derniers groupes interviennent dans le suivi des sujets traités et l’adaptation posologique. Les héparines non fractionnées ou de bas poids moléculaire ont dominé la scène comme étant la classe thérapeutique des anticoagulants la plus largement prescrite dans diverses indications, tant en préventif qu’en curatif pendant plusieurs décennies [1]. Les héparines, requièrent, pour certaines populations de patients, une surveillance biologique rigoureuse. En effet, ces produits présentent une ou plusieurs contraintes: une marge thérapeutique étroite, une biodisponibilité aléatoire, une variabilité interindividuelle, un risque d’effets iatrogènes (hémorragie, thrombopénie induite par l’héparine). Cette situation conduit le biologiste à exercer son art en relation étroite avec le clinicien pour comprendre les mécanismes d’action, adapter la posologie du médicament et éviter les accidents iatrogènes [1]. D’ailleurs, l’effet de l’héparine, ne peut pas être évalué par la mesure de sa concentration, comme cela se pratique pour d’autres molécules, mais par la mesure de son potentiel à inhiber le facteur Xa et le facteur IIa. C’est pour cela que les différentes héparines sont caractérisées par leur rapport d’activité anti-Xa/anti-IIa. Cependant, en pratique clinique, le maniement des héparines se fait uniquement en termes d’activité anti-Xa. En outre, à la recherche d’une efficacité toujours meilleure, un des éléments permettant de limiter le risque de survenue d’accident iatrogène, tout en conservant un bénéfice antithrombotique, est d’optimiser l’équilibre du niveau d’anticoagulation grâce au suivi biologique par la mesure de l’activité anti-Xa des héparines.
Paramètres généraux
Ce travail rapporte l’expérience du Laboratoire d’Hématologie de l’Hôpital Militaire d’Instruction Mohammed V de Rabat, l’un des rares laboratoires au Maroc qui détermine l’activité anti-Xa (Héparinémie). Il expose un aperçu global sur la surveillance des patients sous traitement héparinique en vue d’obtention d’une anticoagulation efficace notamment dans les zones thérapeutiques référentielles. Il renseigne sur les caractéristiques épidémiologiques des malades inclus dans notre étude ainsi que sur les circonstances de diagnostic. Nous rapportons une série de 10 cas de mesure de l’activité anti-Xa.
Age
L’âge moyen des patients inclus dans notre étude était de 58,9 ans, avec des extrêmes allant de 54 à 68 ans, la tranche d’âge la plus concernée était entre 55 et 57ans (40% de cas) ce qui concorde avec les résultats de l’étude faite au CHU de Fès [3]. Par contre, selon l’ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé) les sujets âgés entre 75 et 84 ans sont les plus susceptibles à utiliser l’héparine comme anticoagulant puisque l’incidence des maladies thromboemboliques augmente de façon exponentielle avec l’âge et d’ailleurs la plupart des études faites à ce sujet requièrent des patients âgés au-delà de 65 ans comme population cible de leur d’étude .
Circonstances de diagnostic et motif d’hospitalisation
Pour débuter un traitement héparinique curatif ou préventif dont l’indication est valide, tous nos patients étaient hospitalisés avec un diagnostic précis . D’ailleurs, notre série a révélé que la maladie thromboembolique constituait la situation clinique majeure pour l’instauration d’un traitement anticoagulant à base d’héparine ce qui rejoint les données de la littérature : elle représentait 6 cas dont la thrombose veineuse profonde est le chef de fil avec 4 cas, suivie d’un cas d’embolie pulmonaire et un cas de thrombose du système cave compliquant un myélome multiple [9, 10]. Dans deux cas il s’agissait de maladie rénale chronique au stade d’hémodialyse. Les deux derniers cas portaient sur l’infarctus du myocarde.
L’unité d’hospitalisation
La plupart de nos cas étaient hospitalisé au service de cardiologie avec un taux de 40%, suivi de la réanimation médicale avec 30% de cas, la néphrologie avec 20% de cas et en dernier l’hématologie clinique avec 10%, ce qui concorde avec ce qui est rapporté dans l’étude de C. Demange et all et diffère de l’étude P. Pottier et al. car cette dernière a exclu la pathologie thrombotique aigue et par conséquent la pathologie cardiovasculaire a été sous représentée dans cette étude .
Les antécédents et facteurs de risque
L’HTA et la thrombose veineuse profonde des membres inférieurs représentaient les principaux antécédents rapportés par nos malades.
Cas de surdosage
La connaissance de la prise en charge de surdosage à l’héparine relève de l’activité de tout praticien. Toutefois aucun surdosage n’a été déclaré parmi nos cas, ni celui qui est purement biologique ni l’autre qui s’accompagne de manifestations hémorragiques. Ceci en raison de la double surveillance clinique et biologique surtout par la mesure de l’activité anti-Xa qui demeure la méthode de référence pour détecter le surdosage à l’héparine. La prise en charge immédiate du surdosage consiste en une injection intraveineuse lente de sulfate de protamine qui neutralise l’héparine en formant un complexe inactif avec l’héparine ; 100 UAH de protamine neutralisent l’activité de 100 UI d’héparine.
La dose de protamine utile est fonction de la dose d’héparine injectée et du temps écoulé depuis l’injection de l’héparine, avec éventuellement une réduction des doses de l’antidote. L’efficacité du sulfate de protamine est nettement inférieure lors d’un surdosage par l’héparine non fractionnée et son rapport bénéfice/risque sera évalué avant prescription car son utilisation n’est pas dénuée de risque [4, 19, 34].
Surveillance plaquettaire pour détecter une éventuelle TIH
Comme il est stipulé dans les recommandations de bonnes pratiques (RBP) sur la prévention et le traitement de la maladie thromboembolique veineuse en médecine rédigées en décembre 2009 par un groupe d’experts sous l’égide de l’Agence Française de Sécurité Sanitaire des Produits de Santé (AFSSAPS), nous avons effectué une numération plaquettaire avant de démarrer le traitement héparinique chez tous les cas de notre série, qui s’est révélée normale avec des valeurs physiologiques entre 150.000 et 450.000/mm ³. Durant la période d’hospitalisation aucun patient n’avait présenté des manifestations cliniques évocatrices de thrombopénie induite par l’héparine ; d’ailleurs les cas de notre étude étaient classés dans la zone à risque d’incidence de TIH faible moins de 1% [4].
Epidémiologie
L’incidence de la TIH est variable, elle est de l’ordre de 0.1 % à 2 % en fonction de la présence ou non de contexte de chirurgie traumatique récente de moins de 3 mois, elle est plus fréquente avec l’HNF que l’HBPM ; vu la faible taille et le moindre degré de sulfatation, les HBPM interagissent plus faiblement avec le facteur 4 plaquettaire et entrainent un risque plus réduit de TIH [4].
Physiopathologie
Les thrombopénies induites par l’héparine résultent du développement d’anticorps IgG spécifiques du facteur 4 plaquettaire. Deux types de TIH survenant dans le cadre d’une héparinothérapie sont décrits : les TIH de type I et de type II. Les TIH de type I dues à une interaction directe de l’héparine avec les plaquettes sont asymptomatiques, précoces, modérées et transitoires, par contre les TIH de type II sont de nature immunoallergique, et constituent la complication la plus redoutable de ce traitement car elles sont associées à la formation de thromboses artérielles ou veineuses .
Diagnostic clinique et biologique
Une TIH doit être suspectée devant un nombre de plaquettes < 150 000/mm3 (ou 150 Giga/L) et/ou une chute relative des plaquettes de plus de 30 %, par rapport à la numération plaquettaire avant tout traitement. Elle apparaît essentiellement entre le 5ème et le 21ème jour suivant l’instauration du traitement héparinique (avec un pic de fréquence aux environs du 10ème jour).
Il faut initialement confirmer la thrombopénie sur tube citraté et/ou par un prélèvement capillaire avec un contrôle sur lame.
L’agrégométrie plaquettaire en présence d’héparine, la libération à partir des plaquettes de sérotonine marquée par le C14 et le test d’activation plaquettaire (HIPA) ou luminoagrégométrie plaquettaire sont toutes des méthodes spécifiques pour confirmer la TIH, mais elles sont difficiles à réaliser et sont peu sensibles. Récemment, l’introduction du dosage par ELISA des anticorps dirigés contre les complexes héparine-facteur 4 plaquettaire (H-FP4), impliqués dans la majorité des cas, a notablement amélioré le diagnostic de TIH.
La confrontation du score d’imputabilité après une analyse soigneuse de l’anamnèse, de l’histoire naturelle, avec les données biologiques de la numération plaquettaire et des tests biologiques spécialisés, devrait permettre de poser le diagnostic de TIH avec une approche plus fiable [4, 32].
Conduite à tenir devant une TIH
L’arrêt de l’héparine est obligatoire dès que le diagnostic de TIH est suspecté. Chez les patients ayant une thrombopénie sans thrombose, un traitement antithrombotique de substitution type danaparoïde sodique ou la lépirudine doit être entrepris avant même d’avoir les résultats des tests biologiques .
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