Applications de l’instabilité elliptique
Aéronautique
Historiquement, l’instabilité elliptique a été découverte durant la guerre froide, quasiment simultanément de part et d’autre du rideau de fer. A l’Ouest, l’instabilité elliptique a été découverte dans un contexte aéronautique, au cours des études de sillages d’avions. En effet, l’avion génère en se déplaçant différents tourbillons qu’il laisse dans son sillage. En particulier, la portance des ailes génère deux tourbillons principaux (fig. 1.1a), intenses et contra-rotatifs. La portance des gros porteurs produit des tourbillons d’une telle intensité qu’un petit avion traversant son sillage subit un violent mouvement de roulis qui le met en danger. Ce type d’accidents a conduit les aéroports à imposer des temps d’attente entre chaque décollage et atterrissage. Le trafic augmentant, la dissipation de ces tourbillons devient alors un enjeu économique important. Les études de ces tourbillons de sillage et de leur dissipation ont ainsi conduit Crow (1969) à étudier l’interaction d’une paire de tourbillons contra-rotatifs, étude précisée par Widnall et al. (1971) et Moore (1971). Ces travaux montrent l’existence d’une instabilité à grande longueur d’onde, dite de Crow, qui engendre la formation d’anneaux de vorticité (fig. 1.1b), mais ces travaux semblent également indiquer l’existence d’une instabilité à courte longueur d’onde. Cependant, Moore & Saffman (1974) soulignent que ces prédictions théoriques sont probablement un artefact de la théorie utilisée. Simultanément, en considérant la dynamique d’anneaux tourbillonnaires, Widnall et al. (1974) prouvent que les analyses précédentes ne sont en fait correctes qu’en présence d’une forte vitesse axiale, et démontrent l’existence de l’instabilité dans un contexte plus général : l’instabilité elliptique est découverte 1 ! Le mécanisme de l’instabilité sera expliqué par Moore & Saffman (1975) et Tsai & Widnall (1976), et elle est donc parfois appelée instabilité de Moore-Saffman-Tsai-Widnall (MSTW). Plus tard, Bayly (1986) et Waleffe (1990) démontrent son existence dans le contexte plus générique des écoulements à lignes de courant elliptiques, et elle est donc explicitement nommée par Malkus (1989) instabilité elliptique 2 . Dans les sillages d’avions, cette instabilité, tout comme l’instabilité de Crow, est donc susceptible d’être excitée et ainsi de favoriser la dissipation des tourbillons de bout d’aile (voir le brevet de Corjon et al., 2004, basé sur cette idée)
Géo/Astro-physique
Il est couramment admis que les forces de flottabilité sont à l’origine du champ magnétique des planètes et des étoiles. Ainsi, le modèle actuellement accepté pour la Terre considère que le champ magnétique terrestre provient de la convection thermo-solutale du noyau externe liquide. Cependant, la validité d’un tel modèle est discutable pour certaines planètes ou lunes telles que la Lune primitive, la Terre primitive, Ganymède, Mercure, etc. De plus, même dans les cas où ce modèle semble valide, des mécanismes additionnels peuvent modifier significativement le mouvement du fluide, en particulier les forçages mécaniques tels que les marées, la précession ou la libration. Il semble donc important de caractériser la réponse du fluide à ces forçages pour les noyaux fluides des planètes telluriques mais aussi, plus généralement, pour les atmosphères des planètes gazeuses, les océans internes, aussi appelés de sub-surface, des satellites de glace et les zones convectives ou radiatives des étoiles.
Introduction aux fluides tournants
Cette section établit les équations fondamentales régissant la dynamique d’un fluide incompressible dans un repère en rotation en partant des équations usuelles de NavierStokes en repère galiléen. L’adimensionnement des équations fait alors apparaître les nombres adimensionnels pertinents pour ces écoulements. Une présentation plus complète du sujet peut être trouvée dans les ouvrages de Greenspan (1968), de Rieutord (1997) ou de Guyon et al. (2001).
Dynamique en référentiel non-galiléen
On note ρ la masse volumique du fluide, supposé incompressible et newtonien, ν sa viscosité cinématique, Ω(t) le vecteur rotation dépendant du temps t du référentiel, r le vecteur position, ua la vitesse du fluide dans un repère galiléen (repère absolu représenté par un indice a) et ur sa vitesse dans le repère en rotation (repésenté par un indice r). En repère galiléen, les équations de Navier-Stokes pour un fluide soumis à un potentiel φ de forces massiques.
Écoulements à bas nombre de Rossby
Dans cette section, on considère les écoulements à faibles nombres de Rossby, i.e. ceux pour lesquels les effets de rotation et de force de Coriolis sont dominants. L’écoulement dit de rotation solide est alors la principale réponse du fluide tournant. A cet écoulement primaire s’ajoutent des écoulements de plus faibles amplitudes, dit secondaires, comme les écoulements géostrophiques présentés en section 1.3.1. Enfin, les écarts à cet écoulement de base sont associés à des propagations d’ondes dans les fluides tournants. De telles ondes ne sont pas liées à la compressibilité du fluide (ce serait alors des ondes acoustiques) mais à l’effet de la force de Coriolis. La linéarité des équations du mouvement à faible nombre de Rossby permet une étude simple de ces ondes qui jouent un rôle primordial en géophysique. La présentation de ces notions indispensables se base sur l’introduction aux fluides tournants de Guyon et al. (2001), en partie synthétisée dans la thèse de Lagrange (2009). 1.3.1 Écoulements géostrophiques Comme cela a été mentionné, en l’absence d’accélération de Poincaré la rotation solide est toujours solution de l’équation du mouvement (section 1.2.1). L’équation du mouvement (1.3) admet aussi d’autres solutions, moins triviales, dont certaines peuvent être déterminées sous quelques hypothèses simplificatrices. Supposant Ro ≪ 1 et E ≪ 1, les équations (1.3) et (1.5) se réduisent à ∂tu + 2 ez × u = −∇p , (1.7) ∂tζ = 2 (ez · ∇)u .
Colonnes de Taylor-Proudman
Considérons un petit objet fixé sur la paroi inférieure d’un cylindre de fluide en rotation solide. La vitesse de rotation du cylindre est alors légèrement changée de sorte qu’une 8 Chapitre 1. Introduction 1.3 Écoulements à bas nombre de Rossby faible rotation différentielle est créée entre le cylindre et le fluide. L’expérience (fig. 1.2a) montre qu’apparaît alors au dessus de notre objet un écoulement qui s’étend sur toute la hauteur du cylindre (car il est indépendant de z) : il forme une colonne de fluide. En fait, tout se passe comme si l’intérieur de cette colonne était séparé de l’extérieur. A l’extérieur de la colonne on a alors le même écoulement que si on avait un fluide parfait en rotation s’écoulant autour d’un cylindre solide vertical. Cette colonne de fluide a été prédite théoriquement par Proudman et confirmée expérimentalement par Taylor. On parle de colonne de Taylor ou de cylindres géostrophiques. De fait, du colorant injecté à l’intérieur de cette colonne y reste pendant très longtemps tandis que du colorant injecté à l’extérieur évite le cylindre. De plus, un déplacement de l’obstacle sur le fond déplacerait également la colonne de Taylor qui le surplombe ainsi que le colorant. Notons que dans de telles expériences, l’écoulement n’est pas parfaitement géostrophique car le théorème de Taylor-Proudman n’est par exemple pas vérifié à l’éventuelle surface libre ou à l’interface intérieur/exterieur de la colonne de Taylor où la viscosité n’est plus négigeable (il y a donc un petit échange de fluide à ce niveau). Coriolis et élasticité apparente des fluides en rotation Considérons à présent un objet solide, une bille par exemple, au sein d’un fluide tournant (fig. 1.2b). Un mouvement vertical nécessite alors une force plus importante lorsque le fluide est en rotation, et l’influence du mouvement vertical se transmet à de grandes distances en-dessous et au-dessus de la bille (en l’absence de rotation, la perturbation due au mouvement s’amortirait sur une distance de l’ordre de la dimension de l’objet). Enfin, des injections de colorant montrent que le déplacement du solide génère des rotations du fluide de sens contraire au-dessus et en dessous de celui-ci. Tout ceci est quantifiable avec l’équation (1.8) dont la composante selon ez s’écrit ∂tζz = 2 ∂zuz, ce qui permet d’écrire la divergence de (1.7) sous la forme ∂ ∂t(△p) − 4 ∂uz ∂z = 0 , (1.11) ce qui donne pour une perturbation périodique de pulsation λ △ p − 4 λ2 ∂ 2p ∂z2 = 0 , (1.12) équation appelée équation de Poincaré depuis le travail de Cartan (1922). Supposant le corps de révolution autour de ez et ∂rp = 0 sur l’axe du corps, une vitesse de translation orientée par ez génère une vorticité ζz de signe contraire au-dessus et en-dessous de l’objet ainsi qu’une surpression au-dessus de l’objet, et une dépression en-dessous. De plus, pour de faibles amplitudes, ces écarts de pression augmentent linéairement avec le déplacement : si on relâche le corps, il revient en oscillant à sa position d’équilibre. Tout se passe donc comme si le fluide en rotation était muni d’une certaine élasticité, d’une ’raideur’ dimensionnelle de l’ordre de l’échelle de pression ρΩ 2R2 . Cette élasticité apparente n’est en aucun cas liée à la compressibilité du fluide mais uniquement à la rotation qui tend à s’opposer aux perturbations tridimensionnelles (théorème de TaylorProudman).