Application au cas des bassins sédimentaires
Dans ce chapitre, nous allons nous intéresser à l’utilisation des données acquises expérimentalement pour estimer les surpressions dans les réservoirs profondément enfouis. En effet comme nous l’avons vu, cette thèse s’inclut dans un contexte d’exploration pétrolière. Parmi les phénomènes classiquement utilisés pour expliquer la présence de surpressions dans les bassins sédimentaires, on retrouve la libération d’eau par réaction minérale (Wangen (2001)) et dans le cadre de notre étude nous nous sommes focalisés sur la réaction de déshydratation des smectites en vue d’estimer la contribution de la libération d’eau sur les surpressions observées dans la nature. Ce chapitre est articulé de la façon suivante : tout d’abord, on introduira la problématique des surpressions dans les bassins sédimentaires ainsi que les origines qui leur sont classiquement attribuées, puis l’impact de la déshydratation des smectites et de l’illitisation sur les surpressions. Enfin, on s’intéressera à l’approche employée dans cette thèse ainsi qu’à l’application à un cas d’étude réel dans le delta du Niger. La sédimentation est un phénomène géologique qui a lieu par exemple lorsqu’une rivière chargée en particules solides arrachées aux roches voient leur vitesse de transport diminuer, comme lorsqu’elles se jettent dans la mer. En effet, les solides se déposent alors, puis, au cours des temps géologiques, sont recouverts par de nouveaux apports et s’enfouissent. Sous le poids des nouveaux dépôts, les sédiments se compactent et peuvent donner lieu à des transformations chimiques sous l’effet de la température et de la pression.
Au moment du dépôt, les sédiments ne sont pas compactés et présentent une porosité et une perméabilité relativement élevées. La porosité est remplie de fluide et tant qu’il existe un chemin reliant la porosité au fond de la mer, la pression de pore est en équilibre hydrostatique. Lors de l’enfouissement, le poids des nouveaux dépôts compacte les sédiments déjà en place, entraînant une expulsion du fluide contenu dans la porosité et pouvant isoler les sédiments de la surface. Ainsi la pression de pore dévie du gradient hydrostatique, on parle de régime de pression anormale. Si cette nouvelle pression est supérieure à la pression hydrostatique, on parle de surpression.(Figure 61) (Mello et al. (1994)). Si la surpression est trop importante, elle peut atteindre la pression lithostatique, qui correspond au poids de la colonne de sédiments, et ainsi entraîner la fracturation de la roche. Les surpressions apparaissent lorsque le fluide est expulsé de roches faiblement perméables et donc a du mal à s’écouler. Depuis de nombreuses années, la question de l’origine des surpressions est au centre des préoccupations des compagnies pétrolières. Wangen (2001) a recensé les principaux mécanismes susceptibles d’être à l’origine des surpressions. Le plus important est la sous-compaction, c’est-à-dire que le système se compacte mais que les fluides contenus dans la porosité ont du mal à s’échapper. Les autres mécanismes cités sont l’expansion thermique du fluide contenu dans l’espace poreux, la libération d’eau par réaction minérale, la génération d’hydrocarbures et la cimentation de l’espace poreux.
la sous-compaction et la cimentation de l’espace poreux sont les mécanismes qui génèrent le plus de surpressions dans les réservoirs profondément enfouis. Cependant, si la perméabilité du milieu est suffisamment faible et si les variations de volume solide ne compensent pas totalement le volume de fluide expulsé, les autres mécanismes sont également susceptibles d’avoir une contribution non négligeable sur la génération de surpressions. L’influence de l’eau libérée par réactions minérales, et en particulier l’illitisation des smectites, a été étudiée par de nombreuses équipes au cours des 50 dernières années. Les réactions de déshydratation au sens large du terme ont été identifiées comme étant des sources potentielles de surpressions dans les années 1960 (Powers (1967) ; Burst (1969)). L’illitisation a été fortement étudiée en raison du fait qu’une grande quantité d’eau est relâchée mais peu de travaux tiennent en compte du couplage de la compaction et de la déshydratation et l’influence sur la pression de pore et la porosité (Colton-Bratley (1987) ; Osborne et Swarbrick (1999)). Audet (1995) et Yang (2000) ont mis au point des modèles mécaniques pour la compaction des sédiments dont l’épaisseur des couches augmente au cours du temps. La réaction de déshydratation est thermiquement activée mais leurs modèles géochimiques de la réaction d’illitisation sont encore très simplifiés. Les études modélisant la déshydratation des smectites négligeaient soit l’effet de la température (Powers (1967)), soit étaient basées sur des hypothèses thermodynamiques fausses telles que considérer que les variations de volumes de solide et d’eau quand on augmente la température et la pression (Colton-Bratley (1987)). Les premiers travaux de thermodynamique ont été menés dans les années 1990 par Ransom et Helgeson (Ransom et Helgeson (1994a) ; Ransom et Helgeson (1994b) ; Ransom et Helgeson (1995)) mais à cause du manque de données expérimentales, leurs études sont basées sur des paramètres thermodynamiques estimés. Plus récemment, dans les années 2000, grâce à la compilation de données expérimentales et naturelles, les paramètres thermodynamiques ont pu être déterminés pour les smectites et les illites, afin d’enrichir des modèles existants (Parra et al. (2002) ; Vidal et Dubacq (2009) ; Dubacq et al. (2010)).