Application à une structure de grande dimension
Dans le chapitre précédent, le modèle a pu être validé à l’échelle de structures de laboratoire par la modélisation des résultats d’une étude expérimentale issue de [Ohno et al., 1989]. Le modèle a permis de modéliser les modifications de comportement mécanique induites par la RAG, et en particulier, l’anisotropie induite par les différentes quantités d’armatures, à la fois en termes de déformations et d’endommagements induits. De plus, la dépendance faible de la formulation à la taille des mailles a été testée et validée par le biais d’une étude paramétrique. A l’issue de ces validations à l’échelle du laboratoire, le modèle peut être utilisé pour l’analyse d’un ouvrage de grande dimension. La structure choisie est représentative d’une enceinte interne d’un réacteur de centrale nucléaire. La structure, présente une symétrie de révolution, ce qui permettra de se limiter à une portion angulaire de celle-ci. La structure est en béton armé et précontraint. A la demande d’EDF, seules les densités d’armatures passives ont été homogénéisés, les câbles étant maillés, leur comportement est modélisé selon une loi de comportement déjà validée par EDF dans [Code_Aster, 2017].
L’ouvrage est bien entendu supposé réactif, mais les modélisations seront également réalisées pour un béton non réactif afin de quantifier l’impact de la RGI par analyse comparative entre les deux configurations de calcul. Afin de réaliser cette analyse dans un contexte aussi réaliste que possible, nous supposerons que l’enceinte de confinement a 30 ans et que des données expérimentales sont disponibles depuis sa construction, ce qui est usuel dans le domaine nucléaire. Cette première phase permettra de mettre au point la méthode de calage du modèle à partir de mesures in-situ. Une fois cette étape réalisée, l’analyse est poursuivie pour simuler l’évolution de l’enceinte jusqu’à un âge de 60 ans, ce qui correspond à une prédiction de son état durant les 30 années suivantes.
Présentation de l’ouvrage
L’ouvrage étudié dans cette partie est une structure massive de type enceinte de réacteur d’une centrale nucléaire. Ce type d’ouvrage est généralement composé d’une double paroi reposant sur un radier, supportant diverses installations internes. Supposons que différents capteurs de déformation et de température aient été mis en place lors du coulage du radier et des voiles afin d’en assurer le suivi thermomécanique, et qu’une dizaine d’années après la fin de sa construction, les capteurs présents au niveau du radier et du gousset bas de l’enceinte interne montrent une expansion du béton contrastant avec les déformations de retrait et de fluage obtenues jusqu’alors, et que des études menées sur carottage aient attesté d’une réactivité de l’ouvrage, par exemple liée à la réaction sulfatique interne (RSI).
Réactivité du béton
La RSI est généralement la conséquence d’un échauffement excessif au jeune âge. Si la température excède environ 65°C, l’ettringite primaire issue de l’hydratation du clinker peut se dissoudre. Lorsque la température sera revenue à sa valeur ambiante, à condition toutefois que l’humidité soit suffisante, cette ettringite pourra se reformer, justifiant sa dénomination de différée [Godart and Divet, 2009]. Concernant l’influence de l’humidité sur les conditions de précipitation, [Graf and Johansen, 2007] estiment que le seuil minimal d’humidité nécessaire à la RSI est de 90 %. La précipitation est également impactée par la lixiviation des alcalins, et donc par la taille des échantillons qui, du fait des vitesses de diffusion de l’eau et des alcalins, modifie l’uniformité et le type de conditions de conservation humide, laissant penser que le seuil en humidité serait en réalité dépendant des vitesses d’échanges hydrique et ionique entre le cœur et la surface des éléments [Al Shamaa et al., 2015].
Bien que cette réaction soit assez complexe à modéliser, différents auteurs ont pu décrire les étapes clés de façon succincte afin d’évaluer la quantité d’ettringite différée formée [Baghdadi, 2008] [Brunetaud, 2005], [Salgues, 2013], [Sellier and Multon, 2018], [Thiebaut, 2018]. Ces mêmes auteurs ont pu noter que les modèles de pression développés dans le cadre de la RAG pouvaient être étendu à la RSI et inversement. En effet, ces deux pathologies conduisent à la formation de nouvelles phases dans la porosité du béton, et mènent toutes deux au développement d’une pression de gonflement interne dans une matrice déjà durcie. Les phénomènes induits par la création de cette nouvelle phase (déplacement des produits, expansion) résultent de la même mécanique microscopique et peuvent donc être décrits par un formalisme poromécanique similaire.