Application à l’immunodétection du diclofénac et de l’entérotoxine A de S. aureus
Introduction générale
De nombreux agents chimiques et biologiques risquant de porter atteinte à notre santé sont présents dans notre environnement (eau, air, aliments …). Nous sommes face donc à une nécessité pressante de surveiller les matrices alimentaires, environnementales, particulièrement les eaux, les sols et l’air. La possibilité de détecter des contaminants dans des matrices variées dépend de la sensibilité des méthodes analytiques disponibles. Ainsi, l’évaluation du risque associé aux contaminants peut varier de plusieurs ordres de grandeur. Dans la plupart des cas, le défi principal est de déceler ces molécules polluantes ou toxiques dès les très faibles teneurs en un minimum de temps et avec une grande spécificité. Les instruments classiques d’analyse utilisés pour la détection d’une espèce (bio)chimique sont généralement coûteux, volumineux et souvent complexes à mettre en œuvre. De plus, les phases de préparation des échantillons, d’incubation, et d’exploitation des résultats augmentent souvent très fortement la durée totale d’analyse. Les biocapteurs constituent une alternative efficace et économique par rapport aux instruments conventionnels d’analyse. Ces dispositifs reposent sur l’association d’un élément transducteur qui permet la lecture du signal et d’un récepteur qui assure la reconnaissance spécifique d’une cible dans un milieu complexe. L’intégration des anticorps dans les biocapteurs en tant que récepteurs moléculaires (i.e. les immunocapteurs) contribue à raccourcir la durée d’analyse et à augmenter la sensibilité et la spécificité de détection du fait de l’affinité inégalable qu’ont ces molécules pour leurs cibles. Cependant, l’activité des anticorps est étroitement liée à leur structure qui doit être donc préservée lors de leur immobilisation et nécessite un contrôle minutieux des conditions d’élaboration des immunocapteurs. Ainsi, d’importants efforts restent encore à réaliser pour l’obtention de biocapteurs robustes, sensibles et utilisables en routine. La nanostructuration de la surface sensible des biocapteurs par des nanoparticules d’or (GNPs) est une piste très prometteuse pour améliorer leur sensibilité. En effet, la topographie qui en résulte induit une augmentation de la surface sensible permettant d’immobiliser un plus grand nombre de ligands de capture, mais également une meilleure orientation de ces ligands qui les espace et préserve leur accessibilité les rendant plus efficaces dans le processus de reconnaissance de la cible. De plus, en s’appuyant sur les propriétés optiques singulières des nanoparticules d’or, en particulier sur la résonance de plasmon de surface localisée (LSPR), sensible à leur environnement local, il est possible de détecter des interactions biomoléculaires par mesure de la variation de la position de bande LSPR. Cette variation peut être aisément quantifiée par mesure du spectre d’extinction des GNPs avec un équipement standard de laboratoire (spectrophotomètre UV-visible) voire, dans certains cas, à l’œil nu. Quelque soit la stratégie envisagée, les nanoparticules d’or doivent être synthétisées, stabilisées contre l’agrégation, éventuellement immobilisées sur des surfaces et fonctionnalisées pour atteindre les objectifs de performance spécifiques. Dans ce contexte, l’objectif principal de ce travail est la conception d’immunocapteurs intégrant des nanoparticules d’or destinés à la détection d’une grande variété de cibles avec l’idée d’étudier l’apport potentiel des GNPs pour les performances analytiques de ces systèmes en termes de gamme de dosage et de limite de détection. Au-delà du besoin d’améliorer les performances analytiques des biocapteurs, sur un plan plus fondamental, la compréhension au niveau moléculaire des multiples étapes nécessaires à leur élaboration permettrait de généraliser les stratégies adoptées à d’autres applications impliquant des nanoparticules d’or. Nos travaux se sont focalisés sur la détection de deux types de cibles différant par leur taille et leur nature : le diclofénac, un polluant pharmaceutique de faible poids moléculaire et l’entérotoxine A, une cible protéique produite par la bactérie S. aureus (SEA). Dans cette étude, les nanoparticules d’or ont été utilisées en tant qu’agents de nanostructuration et également en tant qu’agents de transduction pour les immunocapteurs. Ainsi, deux stratégies (schématisées dans la Figure 1) ont été mises en œuvre : – La nanostructuration : Cette première voie est géométrique et consiste à structurer la surface du capteur à l’échelle nanométrique par immobilisation des nanoparticules d’or afin d’augmenter la surface spécifique ainsi que l’accessibilité des biorécepteurs. Dans cette partie, le contrôle de la densité et de la dispersion des nanoparticules, est un enjeu primordial puisqu’il est nécessaire de disposer de couches reproductibles et stables vis-àvis des multiples étapes de préparation. Cela requiert une fonctionnalisation préalable du substrat, dans notre cas des surfaces d’or et des surfaces de silicium oxydé, et également une post-fonctionnalisation des nanoparticules. Chacune de ces étapes élémentaires a été caractérisée par des techniques d’analyse de surface, jusqu’à l’élaboration des immunocapteurs nanostructurés afin de comprendre les mécanismes mis en jeu et de définir les conditions optimales de greffage des nanoparticules. Enfin, la performance des biocapteurs a été évaluée et comparée à celle atteinte avec des immunocapteurs plans (sans nanoparticules d’or) pour la détection de la SEA et du diclofénac. – La transduction : Dans la seconde voie la transduction est assurée par la position de la bande LSPR des nanoparticules. Ce format requiert également l’immobilisation des anticorps sur les surfaces des nanoparticules ainsi que le contrôle du mode de liaison et de la stabilité des colloïdes formés. Elle a été appliquée à la détection de SEA. Deux formats différents de dosage seront développés. La détection sera suivie par le changement de la position de la bande LSPR dans le spectre d’extinction UV-Visible résultant du changement d’indice de réfraction local induit par la réaction immunologique entre la SEA (libre, dans le format direct / immobilisée, dans le format compétitif) et l’antiSEA-GNPs.
Les biocapteurs
Cette partie est dédiée à l’état de l’art sur les biocapteurs en général et sur les immunocapteurs piézoélectriques en particulier, afin de mettre en évidence les axes d’amélioration à explorer pour les immunocapteurs piézoélectriques.
Introduction et historique
Dans les années 70, un capteur était souvent assimilé à une sonde. Ceci est lié au premier biocapteur développé par Leyland Clark et Champ Lyons en 1950 pour mesurer la concentration de l’oxygène dissous dans le sang 1 . En 1962, ce même biocapteur, appelé électrode de Clark, a été adapté pour doser le glucose dans le sang 2 . Puis en 1967, Updike et Hicks conçurent une électrode enzymatique pour doser le glucose dans une solution biologique 3 . Cette découverte est devenue une réalité commerciale en 1975 avec la compagnie Yellow Springs Instrument Company Inc (YSI) 4 qui l’a commercialisé. Depuis ces travaux pionniers, l’intérêt porté aux biocapteurs n’a cessé de croitre avec l’introduction de dispositifs simples et miniaturisés, parfaitement adaptés à l’électronique moderne 5 . Le biocapteur idéal doit être facile d’utilisation, peu encombrant et peu couteux. Les transducteurs, qui permettent de mesurer le signal, sont de natures très variées et de tailles de plus en plus réduites. Dans les années 90, le concept de laboratoires portatifs miniaturisés appelés ‘Lab-on-a-chip’ a émergé dans ce domaine grâce au développement de la microfluidique 6 . Le caractère interdisciplinaire de ce domaine de recherche, alliant biologie, chimie et physique, a fait que les biocapteurs sont utilisés dans de multiples domaines tels que le diagnostic biologique 7 , l’analyse de matrices environnementales 8 , le domaine agroalimentaire 9 , l’aérospatiale, la médecine légale ou encore la lutte contre le bioterrorisme 10. Leur champs d’application s’étend ainsi du contrôle des aliments à la recherche de vie sur Mars 11 . Le marché mondial des biocapteurs a évolué de 5 millions de dollars en 1985 à 13 milliards en 2010 et une prévision de 17 milliards en 2018 5, 12. Cette forte expansion est notamment liée à 1 Chapitre 1 : Contexte et étude bibliographique la demande importante des marchés de la sécurité, de la bio-défense, de la surveillance environnementale et du diagnostic médical à domicile. Le numéro de Juin 2004 du «Scientific American» décrit « des capteurs intelligents pour interconnecter le monde » 13. La couverture de «The Scientist» pose la question « Les biocapteurs sont-ils encore de la science-fiction? » en se référant à des capteurs utilisables sur le terrain pour signaler rapidement un évènement bioterroriste 14 . Le succès des biocapteurs se heurte toutefois à la « jeunesse » de ce domaine de recherche qui s’appuie sur peu de recherches fondamentales. De nombreux paramètres sont encore à maitriser pour comprendre et façonner les biocapteurs modernes, principalement les étapes de conception. 1.2. Généralités
Définition et principe de fonctionnement
Les biocapteurs, sont des outils analytiques permettant de reconnaitre et de quantifier une cible dans un milieu complexe. Ils sont constitués d’un biorécepteur intimement lié ou intégré dans un transducteur. Le biorécepteur assure la détection spécifique et sélective de la cible et l’information biochimique qui en résulte est convertie par le transducteur en un signal physique quantifiable et analytiquement exploitable 15. Dans le cas des biocapteurs d’affinité, la détection de la cible par le biorécepteur se fait par reconnaissance moléculaire. La Figure 2 en illustre le principe : Figure 2 : Représentation schématique d’un biocapteur. Le biorécepteur : constitue le premier maillon du biocapteur et son choix est primordial dans la construction d’un biocapteur. La structure des biorécepteurs est très variée et il Chapitre 1 : Contexte et étude bibliographique existe autant de biorécepteurs que d’analytes potentiellement détectables. Il s’agit la plupart du temps d’anticorps, de fragments d’ADN ou d’enzymes. Le transducteur : génère un signal représentatif de la liaison cible-récepteur. Le mode de transduction peut être, classiquement optique, électrochimique, piézoélectrique ou calorimétrique. Selon le type d’interaction entre la cible et le biorécepteur, on choisira le type de transducteur approprié pour exploiter au mieux cette reconnaissance 16 . Une unité d’amplification et de traitement du signal adéquate est également nécessaire au bon fonctionnement du dispositif. La détection peut être assurée avec ou sans marqueur. La détection sans marqueur (label-free) permet d’enregistrer directement les changements physiques qui se produisent durant le phénomène de reconnaissance biomoléculaire 17 alors que pour la détection avec marqueur, le biorécepteur doit être marqué ou une étape de révélation est effectuée pour observer la reconnaissance. Ce type de détection exige la production d’un biorécepteur combiné au marqueur, qui est parfois nocif, et souvent couteux (molécules fluorescentes). L’emploi de fluorochromes peut également altérer la reconnaissance et la réactivité des molécules étudiées 18 . Dans ce contexte, nous nous sommes plus particulièrement intéressés aux biocapteurs « labelfree ». Ils présentent l’avantage de fournir une réponse directe quand l’analyte se lie sur la surface mais ils exigent un contrôle avancé de la surface afin d’éviter les faux positifs que peut induire l’adsorption non spécifique.
Familles de biocapteurs
Les biocapteurs peuvent être classés selon le type de biorécepteur, selon le type de transducteur associé ou selon le domaine d’application 19 . Dans ce qui suit, nous optons pour un classement en fonction des biorécepteurs. Selon la nature de l’interaction entre l’analyte et le biorécepteur, les biocapteurs peuvent être recensés en deux catégories : les biocapteurs catalytiques et les biocapteurs d’affinité dont il sera question dans la suite. Avec les progrès de la chimie et de la biochimie, une troisième catégorie peut maintenant être intégrée, les récepteurs biomimétiques tels que les polymères à empreinte moléculaire 20 (voir Figure 3). Chapitre 1 : Contexte et étude bibliographique Figure 3 : Représentation schématique de différents biorécepteurs
Les biocapteurs catalytiques
Cette classe met en jeu une réaction catalytique entre une enzyme et son substrat, comme dans le cas du premier biocapteur biomédical réalisé par Updike et Hicks, qui permet le dosage du glucose en suivant l’activité enzymatique de la glucose-oxydase 3 . Les enzymes sont des protéines structurées de façon à posséder un site actif qui leur confère la capacité de catalyse spécifique sur un substrat donné. La rapidité de la réaction enzymatique, permet de produire plusieurs milliers de molécules par seconde 21 . Cependant, l’inconvénient des enzymes réside dans le fait qu’elles ne sont pas très stables et nécessitent parfois la présence de cofacteurs. Il y a également une perte d’activité par dénaturation de l’enzyme qui réduit les conditions et les temps de conservation . A la place d’enzymes isolées et purifiées, ce sont parfois des tissus animaux ou même des cellules entières, plus stables et plus robustes, qui sont utilisées .
Les biocapteurs d’affinité
Ces biocapteurs sont basés sur l’affinité entre les molécules biologiques de type récepteur/ligand comme l’association entre des saccharides et des protéines, entre un oligonucléotide et un brin d’ADN complémentaire, ou entre un antigène et un anticorps. Ceux se basant sur la reconnaissance anticorps/antigène sont appelés immunocapteurs et seront développés ci-dessous.
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