Application à la surveillance épidémiologique en santé animale
L’épidémiologie
L’épidémiologie est définie par les sciences médicales (humaines et vétérinaires) comme l’étude des maladies et des facteurs de santé dans une population [TDS+08]. Étymologiquement, le mot épidémiologie signifie « science de ce qui se rapporte à la population ». Il s’agit d’un domaine très vaste qui peut être découpé en plusieurs sous domaines. Nous distinguons principalement l’épidémiologie descriptive, l’épidémiologie analytique et l’épidémiologie théorique (cf. figure 1.1). L’épidémiologie descriptive a pour but d’étudier la répartition des phénomènes de santé dans les populations. Elle mobilise un ensemble de modèles et d’outils statistiques et y associe un vocabulaire précis permettant de décrire les situations épidémiologiques. L’épidémiologie analytique utilise l’épidémiologie descriptive pour tenter d’établir des relations causales entre les phénomènes de santé et les comportements des pathogènes, des individus, ou leur environnement. Enfin, l’épidémiologie théorique étudie de manière abstraite dans une population, des processus d’émergence, de diffusion, de maintient ou d’extinction de caractéristiques individuelles éventuellement transmissibles d’un individu à un autre. C’est dans le domaine de l’épidémiologie théorique que sont définis les modèles épidémiologiques mathématiques, dont l’utilisation date des années 80 [AM79]. L’épidémiologie analytique est en fait une succession d’allers-retours entre l’épidémiologie descriptive et l’épidémio8 logie théorique. La surveillance épidémiologique joue un rôle important puisqu’elle consiste à récolter les données de départ sur lesquelles reposent toutes les descriptions et donc les analyses.
La surveillance épidémiologique en santé animale
Réseaux de surveillance et réseaux de contrôle La surveillance épidémiologique formalise les processus d’observation des épidémies en caractérisant les activités liées à la collecte d’informations épidémiologiques sous la forme de dispositifs de surveillance épidémiologique. Les sciences médicales distinguent la prophylaxie qui consiste à lutter contre une maladie et la surveillance qui consiste à observer son comportement épidémiologique [DH07]. Pour faire un parallèle avec la médecine classique à l’échelle de l’individu, on pourrait dire que la surveillance épidémiologique regroupe les méthodes de diagnostic (c’est-à-dire la caractérisation d’un état clinique pouvant aider à l’action) à l’échelle d’une population et que la prophylaxie regroupe les méthodes de traitement de la population. La surveillance épidémiologique est organisée sous forme de réseaux de surveillance. La structure des réseaux de surveillance épidémiologique en santé animale est schématisée figure 1.2. Cette organisation découpe le réseau en différents niveaux d’intervention [DH07] : – 1er- Niveau terrain : éleveurs regroupés en Groupements de Défense Sanitaire – 2eme- Étage local : vétérinaires praticiens qui peuvent effectuer des prélèvements (Groupement Technique Vétérinaire) – 3eme- Niveau intermédiaire : unités vétérinaires d’État et laboratoires provinciaux – 4eme- Niveau central Cette organisation n’est pas strictement hiérarchique, ni dans le sens où les niveaux supérieurs auraient autorité sur les niveaux inférieurs, ni dans le sens où les niveaux inférieurs seraient systématiquement inclus dans les niveaux supérieurs. Mais 9 CHAPITRE 1. PROBLÉMATIQUE de manière générale, les niveaux inférieurs couvrent des régions géographiques, ou des parties de la population cible plus petites que les niveaux supérieurs. Par exemple le comité de pilotage décide des actions des postes de surveillance avec l’aide (l’éclairage) des unités intermédiaires et du comité technique alors que l’unité centrale gère la centralisation et les relations entre les intervenants, les équipes mobiles aident à la vie du réseau, et le niveau 1 décide individuellement de sa participation [DH07]. Le fonctionnement du réseau est basé sur la définition précise de cas de maladie que le réseau doit détecter. Les données (cas détectés) sont transmises des niveaux inférieurs aux niveaux supérieurs et éventuellement de manière transversale aux unités du même niveau d’intervention. En contre partie les informations agrégées et synthétisées sont redistribuées des niveaux supérieurs aux niveaux inférieurs. Le processus de collecte de données d’un réseau de surveillance dépend de son objectif. Les quatre objectifs suivants ont été identifiés[TDS+96, DH07] : 1. Déceler une maladie exotique ou inconnue 2. Hiérarchiser pour orienter la lutte 3. Suivre l’évolution de la maladie 4. Évaluer l’efficacité d’un plan de lutte On parle de réseau d’épidémio-surveillance pour les objectifs 2 à 4 et de réseau d’épidémio-vigilance pour l’objectif 1. La collecte de données réalisée par un réseau de surveillance diffère selon l’objectif du réseau. Un réseau d’épidémio-vigilance par exemple, va demander un échantillonnage qui permette une forte sensibilité (détection d’un cas même si la prévalence (le nombre ou la proportion d’individus malades dans une population) est très faible) et ne nécessite pas un échantillonnage représentatif de la population (la prévalence observée dans l’échantillon ne doit pas nécessairement être représentative de la prévalence dans la population). Au contraire un réseau d’épidémio-surveillance mis en place pour évaluer l’efficacité d’un plan de lutte va privilégier un échantillonnage représentatif (qui permette d’estimer la prévalence dans la population) mais ne nécessite pas une détection de tous les cas. De nombreuses méthodes statistiques ont été développées pour estimer le type de collecte de 10 CHAPITRE 1. PROBLÉMATIQUE données à implémenter en fonction des objectifs de surveillance [TDS+96, DMS10]. Un réseau de surveillance est associé à un système d’information formalisé (et éventuellement informatisé) qui comprend la description précise de tout le parcours des informations, ainsi que les délais de transmission maximum des informations. Des diagrammes des flux de données et des informations résultantes sont disponibles où l’on retrouve le croisement des informations venant des différents composants du réseau de surveillance se superposant. Des points de contrôle des informations sont définis à chaque étape, et ce jusqu’au niveau le plus bas possible. Dans l’idéal il existe des bases de données permettant saisie et suivi des données depuis internet. Néanmoins, des réseaux informels de surveillance peuvent court-circuiter ces systèmes d’informations. C’est particulièrement le cas dans les pays en voie de développement pour les maladies à contrôle obligatoire où la déclaration d’un cas dans un troupeau peut entraîner un abattage du troupeau qui ne sera pas indemnisé à l’éleveur. Des enquêtes sur ce sujet ont, par exemple, été réalisées par l’équipe AGIRs sur le cas de la grippe aviaire hautement pathogène au Vietnam. Les interviews d’éleveurs de volailles ont montré que les informations circulent entre les éleveurs de manière à anticiper des mesures de prophylaxie. Cependant, les données ne sont pas transmises au réseau formel ou ne remontent pas les niveaux d’intervention du réseau de surveillance parce que les acteurs du réseau veulent se prémunir de mesures de prophylaxie réglementaires (obligatoires) qui sont trop coûteuses à leur échelle (abattage au niveau de l’éleveur, quarantaine au niveau du village, …) [DF11]. Les processus de remontée des informations et les protocoles de collectes de données peuvent dont être dans la pratique moins clairs que le système d’information ne les décrit. Dans la mesure où la transition d’information au sein de ces réseaux peut être difficile à modéliser, nous nous attacherons dans cette thèse au processus de collecte de données, indépendamment du réseau qui a permis de récolter ces données. Nous utiliserons le terme de système d’épidémio-surveillance ou système d’épidémiovigilance suivant l’objectif visé 2 . Ce qui doit être remarqué au sujet de la composition des réseaux de surveillance est qu’il existe de fait un lien ténu entre le système de surveillance et le système de prophylaxie (aussi appelé système de contrôle). Si l’on regarde de plus près le réseau de surveillance qui implémente le système de surveillance, on se rend compte aisément que certains acteurs (notamment l’éleveur) font partie intégrante des deux systèmes. Ce point est crucial dans l’argumentation de notre thèse car, en généralisant, on observe que l’on est en présence d’un système d’observation qui à la fois doit nous permettre de fournir un diagnostic sur une situation clinique, et à la fois influe sur cette situation.
Évaluation des systèmes de surveillance
On peut distinguer deux types de méthodes d’évaluation d’un système de surveillance existant. Les premières consistent à évaluer la structure et le fonctionnement du réseau de surveillance qui implémente le système de surveillance. Ces méthodes se présentent généralement sous la forme d’un questionnaire standardisé qui vise à évaluer (de manière quantitative) l’adéquation entre la population à surveiller et les moyens mis en oeuvre par le réseau. Le type d’information récolté va par exemple être la quantité de bétail mesuré en Unité Gros Bovins (UGB) ou le financement du réseau en dollars américains pondéré par un indicateur du pouvoir d’achat en dollars américains [BAD+99]. Les secondes méthodes consistent à évaluer le système de surveillance en fonction des données qu’il récolte, en croisant par exemple les observations faites par le réseau avec celles réalisées sur la même population par un réseau différent [VGB11]. À ces méthodes il faut ajouter les méthodes d’évaluation de systèmes de surveillance théoriques qui utilisent la modélisation et la simulation. Le chapitre suivant présente un exemple de modélisation de réseaux de surveillance (cf. section 2.5.5). La recherche sur l’évaluation des réseaux de surveillance est un enjeu particulièrement important dans les pays du sud exportateurs d’animaux vivants. Les règles du commerce international leur imposent de satisfaire des critères quantitatifs très stricts énoncés par l’Office Internationale des Épizooties (OIE) pour pouvoir être reconnus indemnes d’une maladie contagieuse. Donnons comme exemple la peste bovine pour laquelle l’OIE demande une collecte ponctuelle annuelle : La procédure d’échantillonnage doit permettre de détecter la peste bovine avec une probabilité de 95% si elle est présente dans au moins 1% des troupeaux (ou des unités d’échantillonnage qui auront été définies). La surveillance clinique doit être maintenue pendant trois années successives pour aboutir au statut de pays indemne de maladie [DH07]. Les seules méthodes qui permettent de remplir ce type d’exigence aujourd’hui sont des méthodes d’échantillonnage qui demandent beaucoup de moyens que les pays du sud ne sont pas toujours en mesure d’investir dans la santé vétérinaire. L’évaluation des systèmes de surveillance fait donc partie des questions de recherche de l’équipe AGIRs et cette thèse a ainsi été associée au projet de recherche « Recherches pour l’Evaluation en Asie du sud est de la Surveillance de l’Influenza Aviaire (REVASIA) » [VDB+10, VGS+10].
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