Apparition des jeux de rôle sur table
Apparus au milieu des années 1970 avec la publication de la première édition de Dungeons & Dragons (1974), les jeux de rôle sur table se sont rapidement développés aux États-Unis dans les milieux étudiants. En se confrontant à un public jeune et actif dans ses pratiques de loisirs, le jeu de rôle a rapidement pris de nombreuses formes. À une échelle macroscopique, politique et média- tique, il s’est ancré dans la culture populaire influençant la production de livres, de films et de jeux vidéo. Il a par ailleurs été l’objet de critiques virulentes de la part de groupes dénonçant la violence présente dans ces jeux ainsi que les présumées pratiques sataniques des participants.
Les jeux de rôle, une adaptation fantastique des War Games
Les jeux de simulations militaires sont nés dans le courant du XVIIIème siècle et ne se sontdémocratisés que plus tard. Les war games mettent en conflit deux armées ou plus qui sont dirigées par les joueurs qui endossent le rôle de général. Les armées sont représentées par des figurines qui évoluent sur un plateau selon les distances et la nature du décor [Caïra, 2007]. Longtemps canton- nés aux écoles d’officiers, ils se sont nourris de situations historiques se rapprochant le plus possible de la réalité (contexte, éléments du décor, composition des armées etc.) pour affûter l’esprit tactique des joueurs.
En 1953, Charles Roberts crée et publie le premier war game commercial et quelques années plus tard fonde la société Avalon Hill qui édite le second opus du jeu ainsi que d’autres war games parmi lesquels U-Boat, Civil War, Waterloo, Bismark et Stalingrad. Avalon Hill et SPI (un éditeur concurrent) publieront à eux deux des centaines de war games entre les années 50 et 70. Assez rapi- dement cependant, certains joueurs créent et investissent des univers fictifs comme c’est le cas dans Star Force (1974), premier war game de science-fiction se tenant dans l’espace [Caïra, 2007].
En 1973 Gary Gigax et Don Kaye, de jeunes amis férus de war games, fondent Tactical Studies Rules (TSR), une association de joueurs qui deviendra une entreprise de création de jeux, et éditent Chainmail, le premier war game à simuler des batailles médiévales. En développant le système de jeu, l’équipe de TSR met notamment en place un système d’arbitrage et un système de caractéris – tiques plus avancé. Les figurines ne représentent plus des contingents armés mais des petits groupes voire des personnages individuels qui ont dès lors des compétences qui leurs sont propres – certains sont meilleurs en mêlée, d’autres à distance ou en furtivité. Nourri par de nombreux emprunts au monde de la Terre du Milieu de John R. R. Tolkien (1937, 1955), Chainmail se tourne peu à peu vers un système s’inscrivant dans un monde de fiction où ce ne sont plus seulement des groupes hu -mains qui se battent entre eux mais où l’on peut jouer les conflits entre elfes, hommes et orcs que l’on trouve chez Tolkien [Partage, 1998 ; Caïra, 2007]. De plus, l’individualisation des personnages (que l’on retrouvera dans les jeux de rôle) donne à l’équipe de TSR tous les ingrédients pour créer le jeu de rôle tel qu’on le connaît aujourd’hui.
Individualisation du personnage et aventure collaborative
« Non seulement chaque figurine est jouée par un seul joueur, mais elle possède sa fiche tech – nique : le personnage de jeu de rôle est né. Il est avant tout défini par des fonctions, des capaci- tés susceptibles d’évoluer avec les victoires, suivant un système de niveaux d’expérience. Les joueurs commencent à lui donner un nom, à décrire brièvement son apparence physique et ses traits de caractère […]. Il s’agit surtout d’individualiser la simulation pour ouvrir au plus large l’éventail des actions permises. » [Caïra, 2007 :
Contrairement au système des war games, les jeux de rôle se présentent comme des aven- tures avant tout collaboratives. Les règles ne balayent pas tout le champ des possibles, c’est alors aux joueurs et au Maître de Jeu (MJ) de les approfondir : « The referee constructs a ‘world’ (in me- dieval fantasy games) or a ‘universe’ (in science fiction fantasy games), and these terms indicate that players can do whatever they wish within the confines of their character » [Fine, 1983 : 10]. Chaque participant investit l’environnement proposé par le jeu pour agir en son sein mais aussi pour lui donner une couleur particulière. On retrouve très fréquemment chez les rôlistes l’idée selon la – quelle ce sont bel et bien les joueurs et surtout le Maître de Jeu qui créent le jeu et construisent l’univers. Idée aussi présente dans les écrits de Gary Gygax, concepteur de D&D : « Advanced Dungeons & Dragons is a world. Of course, this world is not complete. It needs organizers and ad- venturers to order and explore it. It needs you ! » [Gygax in Mackay, 2001.
Les rôlistes ont mis en place différents moyens pour que le consensus ne soit pas synonyme de frus- trations ou de ressentiments. L’explicitation des attentes du MJ, l’établissement d’un contrat moral ou l’utilisation du roleplay comme argument sont autant de méthodes que les rôlistes utilisent pour prévenir les conflits. Deux joueurs en désaccord peuvent s’entendre en se projetant dans leurs per – sonnages : « Je voulais faire ça, mais c’est pas roleplay » ou « je te laisse faire ceci ou cela, je te donne cet objet, mon personnage ne peut pas le faire ou l’utiliser, ça ne lui correspond pas ». De plus, des conseils sont dispensés via les forums en ligne ou les magazines spécialisés dans le jeu de rôle. Ainsi, dans le numéro 19 de Casus Belli, le magazine spécialisé français de référence sur les jeux de rôle, une rubrique est consacrée aux concessions qu’un joueur ou un MJ peut faire afin de garder la cohésion du groupe :