Analyses et interprétations des résultats
En réponse à la première sous-question, il s’agit ici de repérer les principaux éléments didactiques et pédagogiques du projet d’enseignement pris en considération par les professeurs des écoles du panel observés ou questionnés en vue de permettre aux élèves d’acquérir les connaissances sur les nombres, les opérations et la maitrise des techniques du calcul mental. Pour mieux appréhender le constat qui suit concernant les choix didactiques et pédagogiques faits par les professeurs des écoles pour concevoir leur projet d’enseignement, nous cernons d’abord la manière singulière avec laquelle ils interprètent les prescriptions (en fonction de leurs représentations, de l’apprentissage visé, des contraintes, des moyens dont ils disposent et de leurs exigences) à partir de la notion de tâche redéfinie (Leplat, 1980 ; Amalberti et al., 1991 ; Rabardel et al., 1998) préconisée par Goigoux (2007) pour lequel l’analyse « peut permettre d’inférer les objectifs que les maîtres se donnent, loin parfois de ceux que les chercheurs leur prêtent et d’éviter, ainsi, de graves contresens sur leur activité » (p.57). Cependant, l’activité de l’enseignant ne se limite pas à la tâche redéfinie. À vrai dire, une fois confrontée à la réalité, cette dernière subit des réajustements in situ dans le but de faire face à la contingence (Vannier, 2013). Ainsi, l’activité effective correspond en fait à la tâche réalisée (Rogalski, 2003). Toutefois, tâche réalisée et activité effective ne sont, ni l’une ni l’autre, directement observables (Vannier, 2013). Par voie de conséquence, nous inférons la tâche redéfinie à partir de la double analyse de l’action effective en classe et des verbalisations de l’enseignant au cours des entretiens (Goigoux, 2007). Ensuite, nous décrivons les stratégies d’enseignement élaborées par les professeurs autrement dit l’organisation des contenus mathématiques.
Puis, nous étudions les apprentissages visés à partir des activités possibles186 des élèves en adéquation avec l’enseignement dispensé. Enfin, nous appréhendons le rapport du professeur des écoles aux manuels dans son travail de préparation. Pour rappel, à l’instar de Roditi (2005), l’ensemble des textes rédigés pour argumenter les choix des enseignants et présentés infra tout au long de cette section sont le résultat de la transcription des séances observées et des notes prises durant le déroulement. Une fois construits, ces récits ont été soumis à la fin de la deuxième année d’observation (juin 2015) au professeur afin qu’il corrige, modifie et critique les arguments avancés concernant sa pratique de sorte qu’ils communiquent au plus juste le projet qu’il s’était fixé et la manière dont il l’a mis en œuvre. Toutes les remarques de l’enseignant ont été discutées lors d’un entretien avant d’être prises en compte dans la réécriture des récits. Pour finir, la troisième année d’observation a permis de préciser et de renforcer la cohérence du réseau d’arguments avant de l’entériner au cours d’un dernier entretien avec l’enseignant (mars 2016). Forts de cette explication préalable sur la recherche d’identification d’outils pédagogiques relatifs à la première question, nous émettons l’hypothèse que le professeur des écoles tient compte principalement de sa situation de travail, des élèves et de lui-même, quand il conçoit son projet d’enseignement. C’est pour cette raison que nous avons jugé utile de présenter et d’expliquer infra les approches et actions réfléchies de chaque enseignant compte tenu des difficultés des élèves et supports utilisés pour donner corps à l’hypothèse retenue.
Éléments pris en considération par Astride pour concevoir son projet d’enseignement
Pour commencer, voilà une enseignante de 46 ans, ayant de nombreuses années d’expérience aussi bien dans le corps enseignant (22 ans) que dans la gestion du cours préparatoire (15 ans). Son esprit scientifique développé par une licence de biologie constitue selon, elle, un atout majeur pour amener ses élèves à réfléchir et à élaborer des stratégies mais elle reconnaît également avoir acquis ses compétences professionnelles au contact de ses pairs car elle exerce en école d’application depuis 11 ans. Astride a une conception utilitaire du calcul mental qui, selon elle, est en relation étroite avec les nécessités de la vie : les élèves doivent apprendre à calculer rapidement et avec justesse pour résoudre des problèmes de la vie courante. « Je leur dis toujours, il faut savoir compter parce qu’on va vous « kouyonné (« escroquer » en créole guadeloupéen) », explique-t-elle. Du point de vue d’Astride, les prescriptions sont « explicites sans être explicites » et assez succinctes comme le laissent entendre les propos suivants : « quand tu prends le BO, au niveau du CP en calcul mental c’est rapide hein, très rapide tu as …calculer mentalement des sommes et des différences c’est tout. À toi de te débrouiller pour trouver comment faire acquérir la compétence ». Astride décrit son cours préparatoire de 14 garçons et 12 filles comme une « classe bavarde qu’il faut tenir » dont le niveau est « plutôt moyen » mais qui aime le calcul mental et a développé des attitudes ritualisées « même si, mis à part les très bons élèves, ils ne réussissent pas tous forcément ». Compte tenu du profil de sa classe, l’enseignante pense que l’addition avec passage de la dizaine risque de « poser problème à certains élèves » : ceux qui ne perçoivent pas le passage de la dizaine ou ont une représentation erronée du nombre. D’autres, « parce qu’ils ne maîtrisent pas les décompositions de 10 ou les tables d’addition ou mettent encore trop de temps pour les mobiliser ».