Analyses cliniques
L’évènement qui a incité l’équipe à mettre en place un suivi individuel en sus de la thérapie de groupe est la découverte que Cassandre, depuis la prison, écrivait à des femmes qui passaient des petites annonces pour proposer leurs services comme gardiennes d’enfants. Dans ces courriers, Cassandre dupait ces femmes en se faisant passer pour un potentiel employeur, celles-ci vivant généralement dans des régions de France plutôt éloignées et ne pouvant donc pas se douter que l’adresse de leur correspondant était en fait celle d’une prison. Il entretenait alors des échanges épistolaires où il décrivait un enfant à garder qui s’avérait plutôt rebelle et suggérait ou demandait des précisions quant aux punitions et châtiments qu’elles se sentaient en mesure d’infliger. En outre, il demandait également des précisions détaillées quant aux soins corporels et à l’habillement qu’elles entendaient apporter à l’enfant mais aussi les tenues qu’elles-mêmes avaient l’habitude de porter. Cassandre est régulier aux séances que je lui propose. Il a toujours un ton calme et respectueux. Sa tenue est soignée. C’est un homme plutôt petit, mince, avec un visage très expressif qui lui donne un aspect quelque peu juvénile. Il s’exprime de façon calme et posée, avec une assurance dans la voix et des mots choisis qui reflètent des talents d’orateur et une certaine maîtrise de l’élocution en publique. Cassandre est le dernier enfant d’une fratrie de quatre. Son frère et ses sœurs sont passablement plus âgés que lui ce qui lui donne le sentiment d’avoir partagé peu de choses avec eux durant son enfance. Ce statut de « petit dernier » est renforcé par le fait que, nourrisson, il a souffert de maladies ayant amené à une hospitalisation, suscitant l’inquiétude de ses parents, plus particulièrement de sa mère, semble-t-il. Cet épisode, associé à des maladies bénignes mais régulières durant son enfance, et à sa petite taille, lui ont valu d’être catégorisé dans la famille comme « rachitique », « fragile », « à protéger ». Il déclare que durant une certaine période de son enfance, jusqu’à huit ans environ, il parvient à opérer un certain contrôle de ces maladies. Ainsi, dit-il, en se mettant dans un certain état d’esprit et en mangeant d’une manière particulière ou en omettant intentionnellement certains survêtements au moment d’aller dehors, il provoquait à coup sûr des maux de ventre ou poussées de fièvre lui permettant de rester chez lui avec sa mère, plutôt que d’aller à l’école. En cela, il avait possiblement une forme de maîtrise sur son corps, mais aussi très probablement sur la relation avec sa mère, sachant jouer de ce qui allait l’attendrir, l’émouvoir, ou l’angoisser pour qu’elle le garde auprès d’elle.
La place tout à fait privilégiée qu’il remplit auprès de sa mère semble donc inscrite dans l’histoire de son corps malade. Il met en avant dans son souvenir d’enfance comment son indisposition passagère provoque l’inquiétude et le rapprochement chez sa mère. En cela, il expose le fantasme de contrôler la distance ou le rapprochement offert par sa mère, en érotisant son corps pour elle, par la maladie qu’il prétend provoquer. Derrière cette construction, qui tend à mettre en scène une relation fusionnelle entre l’enfant et sa mère, se cache probablement une lutte contre une sensation bien plus angoissante : Celle de vœux de mort des parents, peut-être de la mère elle-même, ressentis par Cassandre-enfant au tout début de sa vie, dans une période d’avant la capacité de représentation. On peut faire l’hypothèse que ces maladies de la petite enfance, ce « rachitisme » souligné par le discours familiale peut être la cause, mais bien plus probablement la conséquence d’un fantasme parental inconscient mortifère. Cassandre dit peu de chose de la première hospitalisation de sa petite enfance. Si elle a constitué une franche rupture avec ses parents, si le pronostic vital était engagé… Un tel vécu a pu constituer une blessure profonde par la rupture de continuité de son environnement primaire et par le ressenti des préoccupations morbides, peut-être résignées à sa perte, que Cassandre a pu percevoir dans son entourage. En tout état de cause, la maladie semble effectivement porter la marque des angoisses agonistiques. Plus tard, il rejoue la maladie, en l’érotisant, afin de mettre à distance la menace d’effondrement. Cassandre ne sait pas quoi dire des moments où il décidait de mettre en œuvre ses « stratagèmes », mais il est probable qu’il vivait de façon indicible l’angoisse, dans des moments de vacillement de la figure maternelle. Par son corps d’enfant malade, il vient alors la combler, lui rendre son omnipotence nécessaire aux premiers moments de la vie et fantasmée dans leur relation incestuelle.