Analyser les pratiques spectatorielles à l’ère du « Web 2.0 »
, comment lire les opérations de réécriture des produits d’origine de la part des spectateurs ? Elles sont à considérer comme des éléments qui contribuent à bâtir l’architecture globale de Romanzo Criminale au même titre que le livre, le film, la série télévisée et les produits ancillaires. Nous étudierons les façons par lesquelles les spectateurs mettent en œuvre, à partir de Romanzo Criminale, un spectacle d’arts variés comportant des formes de lecture active et de réécriture, à travers l’analyse des productions que l’on peut appeler en employant un néologisme, UGC (« User Generated Content », contenu généré par les utilisateurs2), terme devenu populaire à partir de 2005, année où l’impact du « Web 2.0 » devient décisif dans les activités sur la Toile. Suivant J. Staiger, qui propose une perspective matérialiste historique qui nous servira à mettre l’accent sur des cas individuels et à ne pas tomber dans le risque de catégoriser de manière trop étanche les activités des spectateurs, nous décrirons une série d’usages de Romanzo Criminale. Ainsi, la perspective adornienne qui attribue aux masses une passivité absolue niant toute capacité théorétique et critique à l’individu (« l’individu disparaît devant l’appareil qu’il sert », Adorno et Horkheimer, 1974 : 135), doit être remplacée par un point de vue apte à mettre l’accent sur les activités d’appropriation des produits culturels des spectateurs. Il sera également nécessaire de trouver une nouvelle définition du mot populaire. Les études du fandom de provenance anglo-saxonne et notamment l’œuvre d’H. Jenkins, qui interprète le travail sur l’« invention du quotidien » que M. de Certeau commença à la fin des années soixante, ainsi que des lectures alternatives à la notion jenkinsienne de fan, nous suggéreront des pistes pour cette analyse culturelle de la spectatorialité « agissante ». Nous reviendrons sur ces points dans la partie consacrée au retour critique sur les outils, en fin de chapitre, à la lumière des pratiques observées.
. Les formes de discussion génèrent des modalités de sociabilité autour des produits audiovisuels (qui deviennent des outils d’agrégation sociale ou même des instruments pour la définition et la conservation de positions dominantes à l’intérieur d’un groupe). On retrouve également des formes d’engagement plus fortes (en termes de temps et de travail) que l’on peut définir avec le terme de fandom, qui concernent notamment la production de matériel ex novo de la part des spectateurs (vidéos, fanfictions ). D’autres pratiques sont « extracinématographiques » : elles concernent les « façons de se servir de son corps » (Mauss, 1934) importés du cinéma et appliquées à la vie quotidienne. On définira ces nombreuses activités à l’aide des termes braconnage et bricolage (Certeau, 1990), tactiques consistant à adapter les objets culturels à un monde personnel, à les habiter. La notion d’auteur se transforme, tout comme celle d’original ; les opérations de transformation et d’imitation (Genette, 1982), termes que nous utiliserons comme outils pour décrire les pratiques spectatorielles, deviennent les caractères premiers d’un réseau de produits noués par un tissu de renvois intertextuels et débordant dans le quotidien. L’activité des spectateurs trouve son territoire idéal dans le contexte du « Web 2.0 », où tout utilisateur est à la fois consommateur et producteur de contenu. Dans les pages qui suivent, nous passerons en revue différents espaces en ligne : des forums de discussion, le site de partage de vidéos YouTube, de nombreux blogs, le réseau social Facebook, des sites de fanfictions. Si des formes de récupération de cette « matière première » que sont les récits officiels ont toujours existé, avec les nouvelles technologies – qui assouplissent les dispositifs de production – et Internet – qui réduit de manière drastique le temps de distribution – les produits réécrits par les spectateurs circulent avec une liberté inconnue auparavant et trouvent plus rapidement leur terrain de réception (grâce à la structure en réseau qui facilite les échanges entre individus partageant les mêmes goûts). Ainsi, le panorama qui se définit possède des connotations