Analyse type : Cock Music Smart Music

Présentation de Fauve

Lors de la première période de cette séquence, après avoir accueilli mes élèves encore fatigués de leur weekend, je leur ai annoncé que nous allions passer la fin de l’année à travailler sur le thème de la Chanson française. Mon accroche a été une fausse piste : je leur ai diffusé le début du clip de La Fouine, Paname Boss (2013), dans lequel on pouvait notamment entendre ces délicieuses paroles, le tout dans un clip très fouillé, fait de voitures de sport, de lunettes de soleil et de chaines en or : Trafic de stupéfiants sur mon casier judiciaire Nique sa mère le commissaire et son salaire de misère … Contrôle de keufs : nique ta mère j’ai pas mes papiers Inculpé, toi y’a qu’à la salle de sport que t’as un casier À Paname toutes les michtonneuses te l’diront mon frère : Y’a pas qu’au tabac qu’on gratte un millionnaire ! Que l’Sept-Huit m’en soit témoin : j’suis pas d’une famille aisée J’suis plus cramé qu’un poulet braisé : va t’faire baiser ! Contrôle abusif, j’baise l’État sans préservatif Mes rebeux trouvent ça jouissif… Directement après, j’ai diffusé le clip de Cock Music Smart Music. L’idée était de faire naître le débat, de comparer les avis : en quoi tel morceau était-il meilleur ou moins bon ? Original ou cliché ? Vulgaire ou beau ? Différents points de vue ont émergé, dont plusieurs défendaient le texte de La Fouine, ce que j’ai trouvé positif. De façon générale, je n’ai jamais cherché à encenser Fauve, au contraire : rien ne m’aurait semblé plus ridicule que de leur dire ce qu’il fallait apprécier absolument et ce qu’il fallait rejeter.

Je voulais justement qu’ils développent leur propre jugement et le vocabulaire pour l’exprimer. Après la diffusion des clips et le petit débat qui en a résulté, j’ai passé les dernières 20 minutes de la période à présenter Fauve : par oral, j’ai expliqué qui ils étaient, d’où ils venaient en termes géographiques et socio-économiques, quel était leur style de musique, quelles étaient leurs thématiques et où en était leur carrière. Je tirais ces informations pour la plus grande partie de Wikipédia et de leur site internet. Et je dois avouer que cela suffisait à une séquence de cette taille. Les recherches menées depuis m’en ont appris plus ce groupe. Toutefois, même si cela fournit davantage de confort en tant qu’enseignant, je ne suis pas convaincu qu’une maîtrise absolue d’un artiste ou d’un auteur soit toujours nécessaire lors de l’étude en classe d’un disque ou d’un livre. Au contraire, le fait que je découvre ce groupe en même temps que mes élèves amenait un peu plus de compréhension vis-à-vis de leurs interrogations. A la toute fin de la période, je leur ai présenté la séquence que j’avais planifiée : la prochaine période qui serait consacrée à l’analyse d’un morceau, les deux suivantes où ils allaient travailler par groupes de deux et les trois dernières où ils présenteraient leur travail devant la classe, selon un dispositif bien précis qui sera développé plus loin.

Analyse type : Cock Music Smart Music

La période 2 a été consacrée à l’analyse de Cock Music Smart Music. Le but de cette analyse d’une quarantaine de minutes n’était pas de montrer à quel point je connaissais Fauve, à quel point je maîtrisais ce morceau – dont je n’ai compris la signification profonde que très tardivement dans mon expérience d’auditeur de Fauve. Le but était de montrer ce qu’il était possible de faire avec un morceau de musique, genre que la plupart n’avaient jamais eu l’occasion d’analyser en classe. Il s’agissait donc d’une analyse modèle, montrant les pistes possibles. Et 40 minutes ont été nécessaires afin de permettre à la classe de participer, de répondre à mes questions, de comprendre le chemin de pensée que j’empruntais pour arriver à mes conclusions. Mais avant de commencer à présenter cette analyse, il faut brièvement expliquer pourquoi j’ai choisi ce morceau plutôt qu’un autre en guise d’introduction. La première raison concerne sa difficulté : à la différence d’autres titres de Fauve assez explicites (que l’on pense à Rub a Dub, Sainte Anne, Lettre à Zoé, etc.), le sens de Cock Music Smart Music est assez obscur lors d’une première écoute. (Sans compter que le flow très rapide du chanteur ajoute à cette difficulté de compréhension générale.) Quel rapport entre le titre du morceau, les témoignages des 3 personnages présents à chaque début de couplet, le refrain évoquant les épiphanies (champ lexical religieux s’étendant à tout le texte : « Pierre », « Seigneur », « Matthieu »), le clip où des jeunes, filmés de dos, marchent dans une ville de nuit ? Au départ, j’avais choisi ce morceau en raison de son titre, qui me permettait de faire le lien entre le morceau de La Fouine et Fauve, en faisant l’hypothèse que l’on pouvait distinguer deux types de musique. Mais j’ai découvert en analysant ce morceau le weekend précédent le début de ma séquence, avec le texte sous les yeux, qu’il était bien plus qu’une postulation de deux qualités différentes.

Et j’ai découvert alors que ce morceau était peut-être celui dont rêvent tous les enseignants de français ; voyons en quoi. Cock Music Smart Music, c’est d’abord un titre : d’entrée est posée l’opposition entre de la musique intelligence et de la musique sexiste, si on le traduit littéralement. En partant de cette distinction, ce morceau va lentement passer de la musique à la parole, au langage, puis du texte à l’art et au pouvoir de ce dernier, celui d’ « agrandir la vie ». La structure du morceau est très régulière : 3 couplets suivis par le refrain et une conclusion. Chaque couplet se structure de façon identique, avec deux sous-parties. Une première où un personnage témoigne : « Je revois encore Dan / Matthieu / Thibault …Il me disait comme ça : « … » » ; une seconde où le témoignage est commenté : « Il y a quelque chose d’ironique / de mystique / de magnifique dans tout ça / dans son affaire / dans son histoire ». Le refrain est également composé de deux parties, pratiquement identiques, on découvre l’occupation du narrateur : chercheur d’épiphanies.

Le premier couplet explicite le titre.

Dan affirme qu’ « il faut distinguer le Cock Music et le Smart Music ». Comme si chaque génération estimait que la musique qu’elle écoute est intelligente et que celle de la génération suivante est vulgaire. La seconde partie de ce premier couplet met en scène Dieu, sous le nom de « Big Magnet », et Saint Pierre. Dieu décide que l’Homme (« l’autre taré en bas ») « avancera les yeux bandés » « pour les cent prochaines années ». Ce n’est que grâce à l’injonction de Saint Pierre que Dieu place « des indices par-ci, par-là ». Cette petite scène explique le sens du refrain à suivre : « Jour et nuit, je traque les épiphanies ». Epiphanies peut à ce moment encore être interprété dans un sens religieux : Dieu a privé l’Homme du contact avec l’au-delà et ce n’est que par de rares révélations que le divin se manifeste. Le sens de cette épiphanie va toutefois rapidement évoluer avec le second couplet où apparaît une réflexion sur le langage, dans la bouche de Matthieu, dont on devine rapidement qu’il ne s’agit pas de l’Apôtre : « Mon vieux, tu savais que le verbe cristallisait la pensée ? Je te jure, un mot sur une idée foireuse, c’est exactement comme un baiser, t’as pas remarqué ? » La seconde partie de ce couplet explicite cette réflexion : « Pouvoir ramasser les mots par terre et les jeter comme des pierres contre les parois plongées dans le noir pour en faire sortir les choses qui blessent.

Grâce à la parole, réussir à s’armer contre les sales pensées. » On a ici à voir la question du langage et de son utilisation : thérapeutique et communicationnelle d’une part, artistique d’autre part : « Essayer d’attraper les syllabes à la volée pour en faire des bougies qui éclairent et qu’on placera sous les paupières, ou des jolis bouquets pour une fille qui nous plaît. » Le refrain qui suit, tout identique qu’il soit à celui que l’on a déjà entendu, commence à changer de sens : épiphanie perd petit à petit son sens religieux pour se parer d’une dimension mystique païenne : c’est la joie du poète devant une rime trouvée, le vertige du peintre devant un paysage baigné de soleil. Le dernier couplet continue de faire évoluer le sens de l’épiphanie : « Tu sais qu’on peut flotter au dessus du sol rien qu’avec la parole ? » On arrive ici au niveau suivant : tout le monde n’est pas poète, tout le monde n’est pas peintre, mais tout le monde a accès à l’art : « Moi j’ai rien vu, rien lu, rien entendu et surtout rien compris », mais il existe ces autres : Grâce à eux, eux qui ont reçu le feu sacré Qui permet de tout voir, eux, les machines à observer, Les machines à mettre des mots sur tout, Eux, qui écrivent plus vite que la pensée. Et avec ça, ils agrandissent la vie Ils font apparaître les fils Qui relient toutes les choses entre elles. Ainsi par le biais de l’art, chacun peut voir sa vie « agrandie », ce qui est l’un des objectifs principaux du cours de français : l’ouverture à un monde artistique, à d’autres idées, d’autres mondes11.

Le sens de l’épiphanie du refrain se transforme finalement en celui de la découverte constante de l’art. Le narrateur, « alcoolique en manque », « amant », « dément », passe donc du statut de dévot, à celui de trouvère pour finalement s’émerveiller devant les oeuvres d’autres artistes. Quant à la conclusion, les 8 derniers vers, on peut la prendre comme l’acte fondateur de Fauve, le sens de leur association, selon leurs propres dires : leur but au départ étant simplement de se réunir et d’écrire afin d’évacuer, par les mots, par le langage, les angoisses et les frustrations de la vie d’adulte : « La parole comme vaccin contre la mort, la parole comme rempart contre l’ennui. Parler, parler, parler encore, parler pour affronter la nuit. » Après cette analyse qui montre l’étendue des pistes que l’on peut explorer à partir de ce morceau, examinons brièvement les liens entre le clip et ce qui a été dit plus haut. Dans une nuit constante, des personnages seuls, filmés de dos, marchent dans une ville ou sur un pont. A partir du second couplet, on nous montre toujours des groupes de deux, toujours de dos, toujours marchant. A partir du troisième, la taille des groupes augmente, les lampes de poche se font plus nombreuses et on imagine que tous se retrouvent. Le décor évolue alors et les personnages marchent dans un bois surmontant la ville qui offre un panorama nocturne magnifique, mais le clip se termine sur les individus qui marchent toujours, puis sur le halo d’une lampe sur le sol.

Table des matières

1. Introduction
2. Fauve
2.1. Justification du choix de ce groupe
2.2. Fauve ou du bon usage d’Internet
2.3. Thématiques
2.4. Corpus retenu pour l’étude en classe
3. Séquence didactique
3.1. Contexte d’enseignement
3.2. Objectifs d’apprentissage
3.3. Présentation de la séquence
3.3.1. Présentation de Fauve
3.3.2. Analyse type : Cock Music Smart Music
3.3.3. Travail de groupe
3.3.4. Dispositif de restitution
4. Analyse et Discussion
4.1. Points forts
4.2. Points faibles
4.3. Modifications et adaptations possibles
5. Conclusion
6. Bibliographie
7. Annexes
7.1. Cock Music Smart Music
7.2. Kané
7.3. Sainte Anne
7.4. Nuits Fauves
7.5. 4’000 Iles
7.6. Blizzard
7.7. Voyou
7.8. Jeunesse Talking Blues
7.9. Infirmière

Cours gratuitTélécharger le document complet

Télécharger aussi :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *