Analyse structurale et biologique de cinq espèces débarquées sur le littoral

Description de la pêcherie de raies et requins au Sénégal

Historique de la pêcherie

La pêche est une activité économique et culturelle très importante en Afrique de l’Ouest. Elle constitue la première source de devises pour plusieurs pays et fournit de nombreux emplois et des revenus aux populations côtières. Les filières de pêche artisanale sont très organisées avec un partage bien défini des métiers qui sont des éléments essentiels de structuration sociale dans toute la zone Ouest africaine, en particulier au Sénégal.
En plus, au Sénégal, ce secteur d’activité a accueilli de nombreux acteurs nouveaux au cours des trente dernières années, issus pour la plupart des populations des régions intérieures affectées par l’exode rural pendant la période de grande sécheresse des années 70 et les crises économiques des années 80 et le début des années 90. Les politiques volontaristes des Etats visant à développer la pêche artisanale ont été appuyées par des financements importants des agences de coopération internationale. L’introduction de nouvelles technologies (engins de pêche, motorisation et chaîne de froid) a permis aussi une augmentation rapide de l’effort de pêche. L’idée prédominante était que les stocks côtiers, peu exploités, pouvaient supporter une mortalité par pêche bien supérieure à celle à laquelle ils étaient alors soumis.
Les élasmobranches (raies et requins) n’étaient pas ciblés par les populations côtières. Capturés de manière accessoire par les pêcheurs de petits pélagiques, ces poissons étaient transformés (salage – séchage) et échangés avec les populations rurales contre des céréales (région du Sine Saloum).
Le début de l’exploitation ciblée des Requins1 remonte seulement aux années 40 avec l’existence de plusieurs unités de traitement d’huile de foie installées sur la Petite Côte : pêcherie de l’Ouest Africain à Mbour, pêcherie de Joal, pêcherie normande à Popenguine, pêcherie Michel Haddad, pêcherie Lagoba à Sangomar. Cette huile était recherchée pour sa richesse en vitamine A. Mais l’éloignement des lieux de pêche et les dangers auxquels se sont toujours exposés les morutiers ont poussé ces industriels européens à rechercher la vitamine A ailleurs que dans le foie de morue. D’autant plus que des analyses avaient indiqué que l’huile de foie de Requins été plus riche en vitamines A, 15 000 à 75 000 unités grammes contre 500 à 1000 unités gramme pour le morue (Blanc, 1947).

Les pêcheurs

La pêche des raies et requins intéresse la plupart des communautés de pêcheurs résident au Sénégal. Les unités artisanales concernées sont en majorité sénégalaises à l’exception de quelques unités ghanéennes recensées à Diogué et Elikine. D’après une étude réalisée par le CRODT (Tabl. 1), les lébou apparaissent comme dominants dans l’exploitation de ces espèces. Ils constituent 46% du total des différentes communautés impliquées dans l’activité. Cependant la plupart de ces lébou ne les débarque que comme prises accessoires. En effet, ce sont les guet-ndariens (54,54%) et les étrangers ghanéens (18,18%) qui en majorité ciblent les Requins.
Cette étude du CRODT indique également que l’âge des pêcheurs varie entre 15 et 35 ans.
Les conditions de travail assez difficiles, surtout à bord des pirogues de marée, poussent les pêcheurs qui dépassent la quarantaine à céder la place aux plus jeunes.
Il existe deux catégories de pêcheurs de Requins. La première regroupe ceux qui effectuent des sorties quotidiennes. Ces pêcheurs forment un équipage de 3 à 6 personnes et utilisent généralement comme engin le filet dormant. Leurs pirogues ont des dimensions de 8 à 12 m et sont équipées pour la plupart d’un moteur de 25 chevaux (CV). La deuxième catégorie de pêcheurs elle, effectue des marées avec des unités à filet dormant ou à filet dérivant. Les pirogues qu’elle utilise ont des longueurs qui varient entre 18 et 22 m et sont propulsées par un moteur hors-bord de 40 ou 55 CV. La taille des équipages est de 6 à 10 pêcheurs. Pour un total de 1114 unités de pêche, ce sont ainsi près de 10 000 pêcheurs qui sont impliqués dans les pêcheries de Requins (source CRODT).

Pêche industrielle

Au niveau industriel, c’est au bord des navires chalutiers poissonniers, crevettiers et céphalopodiers que les Requins constituent des captures accessoires. Il existe aussi au port de Dakar de petits navires palangriers qui ciblent les Requins par saison notamment entre avril et juillet. Les Requins sont aussi capturés avec les lignes de traîne (pêche sportive).

Les Captures

La structure des débarquements montre que les Requins sont plus soumis à la pression de la pêche artisanale qu’industrielle (Fig. 2). Cette figure établie avec les statistiques de la DPM montre que les débarquements de Requins, avoisinant 2 000 tonnes au début des années 80, atteignent et dépassent de nos jours 8 000 tonnes pour les seules pêcheries artisanales.

Les formes de valorisation des raies et requins

Plusieurs produits sont dérivés des raies et des requins. Ce sont principalement le salé-séché, le métorah, les ailerons et l’huile. Il faut souligner cependant qu’au début des années 80, seuls les ailerons faisaient l’objet de transactions commerciales après les débarquements. La chair de Requin coupée en morceaux était vendue aux pêcheurs de ligne ou de casier de seiches pour leurs appâts.

Le Salé-séché

La transformation en salé-séché utilise impérativement un poisson frais de grande taille. Les espèces à la chair blanche sont recherchées, principalement les raies et les requins. On distingue deux phases dans la technique de transformation du salé-séché : la phase de saumurage et celle du séchage.
Le saumurage survient après le découpage, l’éviscération et le lavage. Les produits frais sont soumis à une salaison dans des cuves ou sur les claies de séchage à raison d’une couche de sel par rangée de pièce ou de morceaux (Fig. 3). Les cuves sont ensuite couvertes avec des sacs de jute pendant deux à trois jours. Après celà, les produits sont retirés puis lavés, salés à nouveau avant d’être exposées au soleil pour le séchage (3 à 5 jours) [Fig. 4].

Le Métorah

Le métorah est obtenu à partir d’un nombre très restreint d’espèces dont les raies et les requins font partis. Ces derniers le plus souvent de grandes tailles, sont éviscérés et découpés en morceaux de 10 à 15 cm. La matière est ensuite, maintenue à une distance d’environ d’un mètre d’un feu de bois et est fumée jusqu’à cuisson. Pour le métorah obtenu à partir du Requin, le fumage est assez long et peut durer jusqu’à 72 heures. Le séchage n’est pas pratiqué pour les raies et requins car le fumage rend la couche superficielle très dure.

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Les ailerons

Les ailerons sont coupés et mis à sécher au soleil sans traitement préalable (Fig. 5). Ils constituent les parties les plus précieuses de ces espèces en raison de leur haute valeur marchande. Ces produits motivent en premier lieu le développement soutenu de l’effort de pêche déployé sur ces espèces. Les ailerons de raies, particulièrement les Rhinobatidae, sont les plus recherchés sur le marché en raison de leur meilleure qualité et de leur consistance. Les ailerons sont forts appréciés par les Asiatiques pour leurs qualités supposées aphrodisiaques et de ralentissement de la vieillesse. Les fibres des ailerons seraient aussi utilisées en chirurgie.

Commercialisation

Les produits de la transformation des Requins sont faiblement consommés au Sénégal. Ils sont essentiellement destinés à l’exportation. Le salé-séché et le métorah sont expédiés essentiellement au Ghana, au Burkina-Faso et en Guinée tandis que les ailerons de Requins sont destinés au marché asiatique (Fig. 6). Presque, toute la production de salé-séché collectée au Sénégal transite par la Gambie qui constitue un marché d’éclatement vers les autres pays africains (Fig. 6).
Outre les pêcheurs, les principaux acteurs intervenant dans la commercialisation sont les collecteurs de produits et les importateurs – bailleurs de crédits. Les collecteurs de produits constituent une catégorie professionnelle aux fonctions diverses : financement de la pêche artisanale, collecte de produits frais destinés à la transformation et achat de produits finis pour le compte des importateurs-bailleurs de crédit. Par leur entremise, ces derniers financent aussi l’activité de transformation. Tous les collecteurs de nationalité sénégalaise sont en général d’anciens pêcheurs. Ils sont basés particulièrement à Joal, à Mbour, à Saint-Louis, à Elinkine et Kafountine. Quelques rares femmes sont impliquées dans la collecte de ces produits. Les collecteurs reçoivent en contrepartie de leurs activités une commission qui est fonction du tonnage collecté.
Dans certains ports comme Mbour par exemple, les “ Keud Katt ” servent d’intermédiaires entre les collecteurs et les pêcheurs. Ces derniers, ciblant particulièrement les ailerons de Requins, opèrent souvent en groupe et se partagent les gains en fin de journée.
Les importateurs-bailleurs de crédits font appel à des collecteurs de produits et mettent à leur disposition des moyens financiers et des moyens de stockage pour collecter les produits transformés. Ces importateurs-bailleurs de crédit sont respectivement par ordre d’importance de nationalité ghanéenne, guinéennes, congolaise, nigériane et angolaise.

Cadre de gestion et règles d’accès

Le cadre réglementaire des pêcheries

Les droits d’usage et les normes d’utilisation des potentialités halieutiques sénégalaises sont arrêtés dans le Code de la pêche (Loi 98-32 du 14 avril 1998) et ses textes d’application.
Les prises de Requins étant très accessoires au niveau de la pêche industrielle, ces pêcheries ne font pas l’objet d’un octroi spécifique de licence de pêche. Pour les unités de pêche artisanales ciblant principalement ou accessoirement les Requins, la réglementation se limite à un maillage minimal arrêté (Tabl. 3). Le maillage des filets de pêche artisanale est déterminé par la mesure de la maille étirée ou longueur de maille. Mais, contrairement à certaines espèces dont les débarquements et la commercialisation sont soumis à une certaine taille (sardinelles, ethmalose, chinchards, mérous, soles langues, dorades roses, langoustes..) ou à un certain poids (albacore, patudo, crevettes blanches,poulpes..), les raies et les requins ne font malheureusement l’objet d’aucune condition de capture, de débarquement ou de mise en vente.

Matériel

Site d’étude

Situé entre12°20’N et 16°03’N, le littoral sénégalais s’étend sur environ 700 km de côtes de l’extrême sud des côtes mauritaniennes à l’extrême nord des côtes de la Guinée Bissau (Fig.8). Il est subdivisé en trois grands secteurs côtiers : la côte nord (grande côte), la presqu’île du cap vert (partie la plus avancée dans l’atlantique) et la côte sud (petite côte et Casamance) (Barry-Gérard, 1994). La côte se prolonge sur un plateau continental d’environ 28 700 Km2 de superficie (Rebert, 1983 ; Barry .Gérard .M, 1994) entaillé d’une série de fosses dont les plus importants sont à Dakar et Kayar (Lauchie et al, 1977 ; Barry-Gérard, 1994).
Ce littoral présente une très grande diversité d’écosystèmes marins et côtiers (Fig. 8). Les zones deltaïques et estuariennes des fleuves Sénégal, Saloum et Casamance sont caractérisées par des mangroves associées à des mosaïques d’îles sablonneuses et de lagunes.
Les peuplements végétaux des vasières à mangroves sont constitués sur le littoral par des espèces caractéristiques dont Rhizophora racemosa, R. harisonnii, R. mangle, Avicennia africana, Laguncularia racemosa et Conocarpus erectus.
Ces écosystèmes renferment aussi une faune riche et variée constituée d’espèces permanentes et saisonnières. Ce sont des zones de nurseries d’une grande importance économique avec une faune à dominante de poissons, crabes, crevettes, oiseaux, huîtres et mollusques.
Les “Niayes” au nord constituent une zone littorale étroite parsemée d’un chapelet de dépressions cernées par les dunes vives et où affleure l’eau douce des nappes phréatiques sous-jacentes.
Dans le domaine marin, l’écosystème le plus important est constitué par l’ensemble du plateau continental marqué par l’alternance entre une saison froide avec régime d’alizés (novembre à mai) qui provoquent un « upwelling »côtier (remontée d’eaux froides le long de la pente du plateau continental riche en éléments nutritifs) et une saison chaude (octobre à juin) avec vents de mousson et qui correspond à l’arrivée d’eaux chaudes sur le plateau (Berrit, 1952 ; Rossignol et al, 1973 ; Barry-Gérard, 1994) et des précipitations qui dessalent les couches de surface. Ces caractéristiques hydroclimatiques font que les eaux sénégalaises sont parmi les plus poissonneuses du globe parce que favorisant d’une part une production importante de plancton, base de la chaîne alimentaire et d’autre part des conditions de reproduction très favorable pour beaucoup de poissons y compris les élasmobranches.

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