Analyse socio-économique de la chaîne de valeur
du lait local dans le bassin arachidier
Production laitière au niveau de l’Union Européenne
Dans les années 60, l’Union Européenne instaura la politique agricole commune dont les objectifs étaient d’accroître la productivité de l’agriculture, assurer un niveau de vie équitable aux agriculteurs, stabiliser les marchés, garantir la sécurité des approvisionnements et assurer des prix raisonnables aux consommateurs (Ecolo, 2015). « La fantastique machine agricole est devenue folle : elle produit maintenant pour détruire ». Après une croissance effrénée, la surproduction du secteur laitier a conduit à des mesures de contingentement de la production pour réduire l’usage du lait dans l’alimentation des veaux, la floraison des montagnes de la poudre de lait et du beurre au niveau des stocks publics. Cet instrument de la politique agricole européenne, adoptée en 1984, est une arme d’ultime recours. Il définit les « droits à produire » c’est-à-dire « chaque État membre se vit attribuer un quota national pour les livraisons de lait et les produits laitiers livrés à des acheteurs (laiteries) et un quota national pour les ventes directes des producteurs aux consommateurs. En cas de dépassement de l’un ou l’autre de ses quotas nationaux, l’état membre est redevable, par litre de lait en dépassement, d’une pénalité égale à 115% du prix indicatif du lait ». Le droit à produire est la quantité maximale que les agriculteurs sont autorisés à produire, en quelque sorte un droit d’accès au marché accordé par le pouvoir public au producteur, lui garantissant dans des limites précises un droit de commercialisation sans pénalité. En plus, la régulation des prix a été privilégiée conduisant à une baisse du prix indicatif du lait de l’ordre de 15 %. Ces mesures ont réglé le problème des excédents, et permis la maîtrise quantitative des productions. Elles ont stoppé une dérive et constitué un moyen efficace et peu coûteux d’équilibrer les marchés laitiers (régulation par les marchés). Par exemple en France, elles ont conduit à la diminution des effectifs laitiers de 60 % (et continue aujourd’hui) et la perte du caractère social de la production laitière au profit d’une filière de performance économique (réduction de la production laitière française de 12 % entre 1983 et 1993, concentration et spécialisation de la production). Aussi, elles ont permis une amélioration du rendement moyen par vache (à 40 %) et une multiplication par 2,3 de la production moyenne par exploitation (Gasquet, 2006 ; FranceAgrimer, 2013). Ce programme de restructuration a 15 permis à l’Union Européenne d’atteindre l’autosuffisance alimentaire en moins de 10 ans, de résorber la surproduction de la poudre de lait et du beurre intervenue entre les années 70 et 80. Les crises alimentaires de 2007/2008, la chute des prix de 2009 puis l’augmentation des prix de 2010/2011 ont conduit à des variations importantes du prix du lait de +78 % à -50 % en Europe. L’effondrement du prix du lait a pour conséquence la disparition d’un tiers des exploitations laitières entre 2007 et 2010 (Choplin, 2016). Après 31 ans de régulation, comme prévu par la réforme du 23 juin 2003, l’UE a abrogé la politique des quotas en favorisant le libre marché et la fin des concentrations des zones de production. Cette mesure a créé une onde d’inquiétude sur les marchés internationaux notamment dans les pays en développement où le surplus de la production du vieux continent a servi à inonder les marchés et empêcher le développement d’une filière laitière locale en plein essor. Les conjectures se focalisent sur l’augmentation effrénée de la production par Etat membre sans considération des variations des volumes sur le marché européen et mondial du lait qui pourrait d’ailleurs engendrer une nouvelle crise (c’est-à-dire la baisse continue des prix). Ainsi, l’on assistera à une augmentation des exportations et une baisse des cours mondiaux des produits laitiers, voire une plus grande instabilité des approvisionnements en lait et produits laitiers provenant de l’Union Européenne. Les estimations de l’OCDE/FAO (2014) prédisent, par contre, une transition en douceur du fait d’une production effective restée bien en deçà des quotas fixés pour les années passées dans la plupart des États membres de l’Union Européenne. En avril 2015, la levée des quotas laitiers européens, considérée comme un bénéfice au bien-être collectif (Kroll et al., 2010), a stimulé la croissance de la production laitière totale dans l’Union Européenne. Entre 2014 et 2015 (avril-mars) la commercialisation a plus progressé en Irlande où le coût de production est le plus faible au monde (18,5%) [Choplin, 2016] et aux Pays-Bas (11,9 %) qu’en Allemagne (3,7 %) et au Royaume-Uni (2,9 %). D’ici à 2025, l’OCDE/FAO (2016) estime que la hausse de la production laitière (9 milliards de litres/an) et la faible croissance de la consommation intérieure (moins de 3 milliards de litres/an) devraient entraîner une augmentation de 58,5 % des exportations européennes des principaux produits laitiers par rapport à 2013 et 175% par rapport à 2009.
Caractéristiques du sous-secteur de l’élevage au Sénégal
Le sous-secteur de l’élevage au Sénégal est géré par le Ministère de l’Elevage et des Productions Animales (MEPA), autrefois appelé Ministère de l’Elevage. Il est le garant de la politique nationale de l’élevage (orientation, analyse et prévision, suivi et évaluation des actions de développement, coordination, règlementation et de contrôle) par le biais des quatre divisions (production animale, protection zoo-sanitaire, hygiène publique vétérinaire, et division pastorale) et leur dispositif de terrain : services régionaux et départementaux vétérinaires, des postes vétérinaires des communautés rurales associant des techniciens et des agents vulgarisateurs (auxiliaires) des centres d’animation pastorale. La mission de service public qu’il assure a été renforcée par la promulgation de la loi agrosylvopastorale, qui reconnaît l’élevage comme une forme de vulgarisation de la terre, et de l’élaboration en 2005 de la lettre de politique de développement de l’élevage (LPDE) dont les visées sont : l’assainissement de l’environnement de la production pour l’amélioration de la compétitivité, l’intensification de la production à travers la création de fermes privées modernes et la sécurisation de l’élevage pastoral (Duteutre, 2006). La LPDE a conduit à la mise en place d’un plan de développement de l’élevage (PNDE) allant de la période de 2012 à 2026. L’intervention de l’Etat dans le sous-secteur de l’élevage se fait à travers des projets de développement et programmes. Le projet d’appui à l’élevage (PAPEL), le programme national d’investissement agricole (PNIA), le programme spécial d’insémination artificielle (PSIA), le programme de Développement de la Filière Laitière Locale (PRODELAIT), le projet régional de gestion du bétail ruminant endémique en Afrique de l’Ouest (PROGEBE), le projet de développement de l’élevage au Sénégal et en haute Casamance (PDESOC) ont permis de maintenir la présence de l’autorité publique dans le sous-secteur de l’élevage. 27 Dieye et al. (2010) notent des incohérences entre les politiques de libéralisation du commerce et les projets de développement de l’élevage. En ce sens l’Etat incite à la production les éleveurs en les octroyant des subventions diverses (aliment, vaccin, amélioration génétique, etc.) d’une part, et encourage les importations des produits laitiers notamment la poudre de lait pour couvrir le déficit en lait local, d’autre part. Sous cet angle, il existe une relation de complémentarité entre les sous-filières lait importé et lait local mais aussi de concurrence par les prix remportée par la poudre de lait qui est généralement bon marché. Le gouvernement du Sénégal a affiché comme priorité le développement du secteur laitier à travers l’amélioration de la productivité des races bovines locales (passer de 1,5 à 5,5 voire 10 litres de lait par jour). Son ambition est de faire de l’insémination artificielle (IA) une arme essentielle afin de réduire la facture des importations en lait (qui ont été évaluées à 3 milliards FCFA en 1984, 15 milliards FCFA en 1994, 35 milliards FCFA en 1995, 47 milliards FCFA en 2006, 58 milliards FCFA en 2007, 83 milliards FCFA en 2010, et 60 milliards FCFA en 2012) qui pèsent lourdement sur la balance commerciale du pays (Ministère de l’élevage, 2007, Duteurtre et Corniaux, 2013). La technique d’insémination artificielle, a connu ses débuts de vulgarisation en 1995 dans le bassin arachidier par le biais de l’EISMV et le projet d’appui à l’élevage (PAPEL) en prit le relais en 1997. Cependant, c’est à partir de 1999 que le Sénégal fit de l’IA un programme de développement couvrant l’étendu du pays à travers le programme national d’insémination artificielle (PNIA). L’objectif de ce programme était d’accroitre la production laitière nationale, par la mise en œuvre d’une campagne d’amélioration génétique du potentiel laitier des races locales basé sur le croisement par le biais des semences des races améliorées. Ainsi, il a été préconisé l’introduction de races bovines plus performantes d’origine tropicale (Pakistanais – Guzérat) et européenne (Montbéliard). En effet selon Diop (1993) s’il y a une volonté politique réelle des autorités nationales, l’élevage africain est capable d’intégrer judicieusement et rationnellement les nouvelles données biotechnologiques pour être au rendez-vous de l’autosuffisance alimentaire.
Place de l’élevage dans l’économie nationale du Sénégal
Les ménages agricoles au Sénégal sont estimés à 755 532 (dont la plupart est issue des couches les plus vulnérables du monde rural où 57,1% des individus vivent en dessous du seuil de pauvreté (Kamuanga et al., 2007 ; ANSD, 2011a)). Ils sont constitués de 60% des ménages d’éleveurs (433 519,2 ménages), soit une augmentation de 24% (83 519,2 ménages) par rapport à l’an 2000 (ANSD, 2011a et 2014). Avec 433 519 familles actives dans le secteur, l’élevage joue un rôle important dans le développement économique et social du pays, et constitue un excellent moyen de réduction et de lutte contre la pauvreté. Les services officiels ont plusieurs manières d’appréhender la contribution de l’élevage à l’économie nationale. Ainsi, le Ministère de l’Elevage et des Productions Animales estime la valeur ajoutée du cheptel animalier aux prix courants à 263 milliards de francs CFA (MEPA, 2011) et le poids de l’élevage dans la valeur ajoutée totale du secteur primaire à 23,6% en 2010. L’élevage est la deuxième grande activité du secteur primaire après l’agriculture du fait de sa contribution à la régulation des équilibres macroéconomiques et sociaux. Selon l’ANSD (2013), l’élevage présente un potentiel important en termes de création de richesses avec une contribution de 28,8% à la formation du produit intérieur brut (PIB) du secteur primaire, et de 31 4,2% au PIB national en 2012 (PSE, 2014). La contribution au PIB a subi des variations importantes entre 1996 et 2012 : un élan de progression entre 1996 et 2000, et un déclin de 2002 jusqu’à aujourd’hui (tableau VI). Salih (1993) cité par Ould Taleb et al. (2011) fait remarquer que la contribution du pastoralisme au PNB agricole estimée à 78% est supérieure à bon nombre de pays africains, notamment la Mauritanie, l’Ethiopie, le Mali et le Tchad (environ 34%).
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