Analyse protéomique des enzymes impliquées dans la voie de dégradation du 2-EHN
Le terme protéome est apparu la première fois en 1995 (Wassinger et al., 1995). Il s’agit de l’ensemble des protéines exprimées par le génome d’une cellule ou d’un tissu à un instant donné et dans des conditions données. C’est le produit final de l’expression d’un génome. Alors que le génome reste relativement constant d’une cellule à une autre, le transcriptome est considéré comme dynamique mais son analyse consiste à identifier, à un temps donné les séquences codantes du génome qui sont exprimées. Cependant, celui-ci ne prend pas en compte les fluctuations dues aux régulations post-traductionnelles des protéines. En revanche, le protéome est « dynamique » et varie de façon importante en fonction de différents facteurs comme l’environnement cellulaire, l’état physiologique des cellules, le stress et dans notre cas précis, la présence de produits toxiques comme le 2-EHN (Graves et al., 2002). C’est le protéome de M. austroafricanum IFP 2173 que nous étudierons dans ce chapitre. Le génome de cette bactérie n’est pas connu, mais nous avons fait l’hypothèse qu’il était assez proche des génomes d’autres mycobactéries disponibles dans les bases de données pour identifier les protéines induites en présence de 2-EHN.
Stratégie d’analyse protéomique
Cette première partie présente la démarche expérimentale employée pour identifier les protéines de la souche IFP 2173 impliquées dans la dégradation du 2-EHN. Les outils d’analyse protéomique utilisés dans cette étude sont sommairement décrits car ceux ci se sont considérablement perfectionnés ces dernières années, notamment depuis l’avènement des techniques de spectrométrie de masse pour l’analyse et le séquençage peptidique.
Analyse des protéines induites sur 2-EHN M. austroafricanum
IFP 2173 utilise le 2-EHN comme unique source de carbone et doit donc synthétiser des enzymes spécifiques à son assimilation. L’objectif de l’analyse est de comparer le profil des protéines sur 2-EHN à celui des protéines présentes sur un autre substrat témoin pour cibler et identifier les enzymes responsables de la dégradation du 2- EHN.
Choix de la méthode d’analyse : électrophorèse 1D ou 2D ?
L’analyse de base des protéines consiste à les dénaturer en présence de SDS et à les faire migrer sur un gel d’électrophorèse en fonction de leur masse moléculaire. C’est une méthode simple à mettre en œuvre et reproductible. Elle peut être utilisée pour séparer des protéines ayant des masses comprises entre 10 et 300 kDa. A partir des années 1975, l’introduction de la technique d’électrophorèse bidimensionnelle (2DE) par, entre autres, Klose (1975) et Scheele (1975) a permis de faire évoluer les outils d’analyse des protéines. L’électrophorèse bidimensionnelle consiste à séparer dans un premier temps les protéines en fonction de leur point isoélectrique, sur un gel d’acrylamide contenant un gradient de pH. C’est l’étape d’IEF, pour isoélectrofocalisation. Cette technique a été perfectionnée par les travaux de Görg et al. (2000) qui précisent l’importance de la température de l’isoélectrofocalisation et du choix des ampholytes pour la reproductibilité de la séparation des protéines. Dans un second temps, les protéines qui ont migré en fonction de leur point isoélectrique, sont séparées en fonction de leur masse moléculaire en conditions dénaturantes. Cette méthode d’analyse comporte de nombreux avantages. Elle permet d’analyser avec précision la charge et la masse des protéines. Elle permet, d’une part, de visualiser les modifications post-traductionnelles, les phosphorylations et les glycosylations. D’autre part elle permet de faire une carte du protéome. Il existe des bases de données de ces cartes disponibles sur Internet comme par exemple à l’adresse suivante : http://www.expasy.org/ch2d/2d-index.html. Néanmoins, certaines difficultés liées à la solubilisation et à la préparation de certaines protéines font qu’il est impossible de visualiser l’ensemble des protéines. Ainsi les protéines membranaires hydrophobes, les protéines extrêmophiles (hypersalines), les protéines de taille extrême (très petites < 10 kDa ou très grandes > 300 kDa) et les protéines présentant des valeurs de pI extrêmes (basique ou acide) sont rarement détectées sur gel 2D, à moins d’employer des conditions de séparation particulières. De plus, il peut y avoir des biais dans l’analyse liés à l’hyperabondance de certaines protéines, à l’agrégation de glycoprotéines et au mauvais transfert de protéines de la première dimension vers la deuxième. J’ai dans un premier temps fait l’analyse des protéines sur des gels d’électrophorèse monodimensionnelle (1DE), puis bi-dimensionnelle (2DE). J’ai été confrontée à des problèmes de séparation des protéines membranaires en gels 2DE, comme illustré par la figure 4.5. Les protéines ne sont pas correctement séparées en fonction de leur point isoélectrique et ont mal migré dans la deuxième dimension. Bien que certains auteurs aient réussi à améliorer la qualité de ces gels en optimisant la méthode de préparation des protéines membranaires (Sabirova et al., 2006), j’ai préféré analyser les protéines membranaires sur gel SDS-PAGE classique. J’ai améliorer la résolution de ces protéines sur gel SDS-PAGE en utilisant un système de tampon tris-tricine selon la méthode de Schägger et al. (2006), plutôt que le système tris-glycine (méthode classique de Laemmli et al. (1979)).
Choix du substrat témoin
L’objectif est de comparer les protéines induites sur 2-EHN par rapport à un substrat de croissance témoin. Les cultures sur 2-EHN, ont été ensemencées à une D.O.600 variant de 0,8 à 1 avec des bactéries ayant au préalable poussé sur un substrat de préculture comme l’acétate, le succinate, le Tween 80, le glycérol ou l’isooctane. L’étude de l’influence du substrat de préculture sur la cinétique de dégradation du 2-EHN, décrite p 88-89, montre qu’avec l’acétate, du succinate ou du Tween 80 comme substrat de préculture, la cinétique de dégradation du 2-EHN est similaire. J’ai aussi testé le glucose (qui provoque souvent une répression catabolique) et l’éthanol pour les cultures et les précultures de la souche IFP 2173. J’ai comparé les résultats d’électrophorèse 1D et 2D et j’ai choisi d’utiliser l’acétate comme substrat de référence. C’est un bon substrat pour la souche IFP 2173 et de plus, le métabolisme de l’acétate ne met pas en jeu d’enzymes spécifiques de la dégradation des acides gras. Une illustration de ces résultats pour l’électrophorèse bi-dimensionnelle est représentée par la figure 4.7. En comparant les gels 2D sur acétate et sur 2-EHN, j’ai pu identifier une trentaine de protéines spécifiques à la culture sur 2-EHN.ette approche protéomique différentielle, basée sur une comparaison visuelle des gels 2DE a permis de sélectionner des spots 2DE spécifiquement induits sur 2-EHN. Cependant, bien que les gels aient été reproduits au moins trois fois, l’analyse n’est pas quantitative. Il aurait fallu pour cela traiter les résultats de réplicats de gels avec un logiciel d’analyse comme Melanie (Image Master) et faire des analyses statistiques. Cependant, nous avons voulu confirmer nos résultats par un marquage métabolique en présence des acides aminés radioactifs.
Marquage métabolique au 35S
Le marquage métabolique consiste à introduire dans le milieu de culture des acides aminés radioactifs, comme par exemple la méthionine marquée au 35S. Lors de la culture de la souche IFP 2173 sur 2-EHN et sur acétate, la méthionine et la cystéine marquées au 35S ont été ajoutées et se sont incorporées dans les protéines in vivo au cours de l’incubation (5h sur acétate et 30 h sur 2-EHN). Les protéines ont ensuite été extraites et analysées en électrophorèse 1D pour la fraction protéique membranaire et 2DE pour les protéines solubles selon le même mode opératoire que celui décrit dans la partie matériel et méthodes (pages 70-75). Les résultats d’autoradiographie des gels ont révélé que la plupart des spots de protéines spécifiques à l’extrait 2-EHN étaient les mêmes que ceux déjà mis en évidence par coloration au bleu de Coomassie.