Analyse par le calcul à la rupture de la stabilité au feu des panneaux en béton armé de grandes dimensions
DIMENSIONNEMENT AU FEU DES STRUCTURES EN BÉTON ARMÉ
L’utilisation de panneaux verticaux en béton armé de grandes dimensions s’est aujourd’hui généralisée dans les constructions industrielles ou de stockage. L’objectif est d’obtenir des volumes plus importants, plus libres d’aménagement et facilitant la circulation des engins, comme dans le cas des bâtiments de logistique. Réalisés par coulage in situ ou par assemblage de panneaux préfabriqués, ces composants de la construction doivent obéir aux exigences de la réglementation incendie qui leur impose une tenue dont la durée varie en fonction de la nature et de l’utilisation des locaux. Il s’agit essentiellement d’empêcher la ruine de l’édifice avant que l’intervention des pompiers ait permis d’évacuer tous les occupants. Les modèles de calcul et de dimensionnement existants sont adaptés aux panneaux de plus petites dimensions dont le comportement au feu diffère très sensiblement de celui des panneaux de grandes dimensions. Le présent travail vise donc à enrichir les connaissances sur le comportement au feu de ce type de structure et à fournir une méthodologie de dimensionnement et les outils correspondants qui soient accessibles aux professionnels. Il devra notamment permettre d’identifier, par exemple, d’éventuels phénomènes que les impératifs de la simplification avaient jusqu’alors conduit à négliger. Ce premier chapitre, à vocation introductive, est destiné à détailler la problématique spécifique du dimensionnement au feu des panneaux de grandes dimensions et fournir des éléments sur les différentes méthodes couramment utilisées, ou faisant actuellement l’objet de recherches, pour le dimensionnement au feu des structures en béton armé. La problématique spécifique des panneaux de grandes dimensions rend généralement l’utilisation de ces méthodes impropre ou difficile, ce qui suggère la nécessité d’aller vers des approches plus rationnelles et élaborées que pour les ouvrages courants, mais qui demeurent praticables par l’ingénieur. De ce point de vue, la théorie du Calcul à la Rupture, dans le cadre de laquelle se situe le présent travail, paraît être une solution innovante. Ce type d’approche, fondée sur la vérification de la compatibilité entre l’équilibre statique d’une structure soumise à des -2- conditions de chargement données, et les exigences de résistance exprimées à travers les critères de résistance des matériaux, présente des avantages considérables liés à la simplicité de sa mise en œuvre et à la facilité d’interprétation des résultats obtenus.
MURS SÉPARATIFS COUPE-FEU EN ÉLÉMENTS PRÉFABRIQUÉS EN BÉTON
Les murs séparatifs coupe-feu dans les bâtiments industriels et entrepôts sont des systèmes constructifs destinés à séparer les locaux d’un bâtiment et à limiter la propagation du feu en cas d’incendie. La mise en œuvre d’un mur séparatif coupe-feu doit répondre à des exigences réglementaires qui consistent à préserver les vies humaines dans les meilleures conditions en facilitant l’évacuation des personnes ainsi que l’intervention des pompiers. Ces exigences font appel à trois critères de base (EN1992-1-2, 2005) : ◊ La résistance mécanique, symbolisée par « R », est la durée pendant laquelle le mur peut rester stable en place même si l’une des parties de la structure s’effondre. ◊ L’isolation thermique par le critère « I », considéré comme un état limite de service, impose la limite de 140K pour l’augmentation de température moyenne sur la totalité de la surface non exposée au feu et la limite de 180K pour l’augmentation maximale de la température en tout point de celle-ci. ◊ L’étanchéité aux flammes par le critère « E », se réfère à la fonction de séparation, c’està-dire l’aptitude à limiter la propagation du feu se déclarant d’un côté du mur à l’autre côté. Un mur séparatif coupe-feu en éléments préfabriqués en béton est constitué en général de panneaux préfabriqués en béton, associés ou non à d’autres éléments de structure tels que des poteaux (encastrés dans des fondations) et des poutres. Le caractère incombustible et la faible vitesse d’échauffement du béton sont des avantages majeurs pour assurer la fonction de sécurité des panneaux en béton armé, aussi bien du point de vue de la stabilité mécanique que de la limitation de la propagation de l’incendie. Les panneaux de grandes dimensions, et notamment de grande hauteur, présentent des caractéristiques rendant la vérification des exigences de sécurité structurale difficile. Dans le cadre des travaux de recherche présentés dans ce mémoire, on s’intéresse donc à améliorer les outils de vérification du critère «R». Des informations sur les caractéristiques, les prescriptions techniques de certains procédés ainsi que l’emploi des murs constitués de panneaux préfabriqués en béton sont fournis dans le guide (CIMbéton, 2007). Les panneaux se présentent couramment sous la forme de plaques pleines, de plaques nervurées ou de plaques sandwich. Les clauses techniques à insérer dans un marché de construction de murs en panneaux préfabriqués de grandes dimensions du type plaque pleine ou nervurée en béton ordinaire, ainsi que la fabrication et la mise en œuvre de ces panneaux sont spécifiées dans la norme française (DTU 22.1, 1993). Néanmoins, le -3- domaine d’emploi visé par ce document ne couvre pas toutes les configurations qui peuvent être réalisées actuellement. Il existe deux autres types de procédés qui sont les panneaux en béton précontraint et en béton cellulaire. L’utilisation des panneaux en béton précontraint permet de réaliser des éléments de structure de grande portée, tandis que le béton cellulaire offre des avantages du point de vue de l’isolation thermique. On présente dans ce qui suit quelques exemples de ces deux procédés qui font généralement l’objet d’avis techniques.
Procédé de panneaux en béton cellulaire
Les panneaux en béton cellulaire sont des éléments autoporteurs utilisés pour la construction de façades, de murs intérieurs ou de murs coupe-feu. La plus grande proportion d’air emprisonné dans le béton cellulaire par rapport au béton ordinaire lui confère de bonnes propriétés en termes d’isolation thermique. Les panneaux sont disposés aussi bien en bandes verticales juxtaposées (figure 1.1) qu’en bandes horizontales superposées (figure 1.2) et ils reposent à leur base sur une longrine en béton armé horizontale. L’épaisseur d’un panneau varie entre 15cm à 30cm, la longueur et la largeur standards sont respectivement de 6m et de 0,6m, ces dimensions pouvant aller jusqu’à 7,5m pour la longueur et jusqu’à 0,75m pour la largeur.En pose verticale, la hauteur du système de mur coupe-feu est donc limitée par la longueur des panneaux (maximal de 7,5m). L’accrochage en pied se fait à l’aide de fixations spéciales enfoncées à mi-épaisseur du panneau. Les têtes de panneau sont scellées dans une engravure de la longrine. En tête et en partie intermédiaire, l’accrochage se fait à l’aide de fixations métalliques protégées contre le feu. Les panneaux peuvent comporter un tenon et une mortaise (standard), ou deux rainures hémicylindriques, ou encore être planes. La pose horizontale des panneaux superposés permet la réalisation des murs coupe-feu de hauteur plus grande que la pose verticale, allant jusqu’au 24m, mais la largeur entre deux poteaux est limitée à 7,5m correspondant à la longueur maximale d’un panneau. Dans cette configuration, les panneaux peuvent être posés devant les poteaux mais la solution la plus fréquente est celle avec les poteaux en béton de section en H dans lesquels les panneaux sont insérés.1.2.2 Procédé de panneaux en béton précontraint Les panneaux préfabriqués en béton précontraint peuvent avoir jusqu’à une dizaine de mètres de longueur, de l’ordre de 2,4m de largeur et une épaisseur qui varie généralement entre 11 et 18cm. Ces panneaux sont en forme de plaques pleines et ils sont posés sur une ossature porteuse soit verticalement (figure 1.3), soit horizontalement. Dans le cas de la pose verticale, les panneaux sont juxtaposés et reliés entre eux par une conjugaison mâle/femelle verticale. Ils sont maintenus par deux files de poutre disposées en partie haute sur chaque face et supportés par une longrine rotulée en partie basse. Une jonction verticale par emboîtement mâle/femelle est utilisée pour assurer la liaison entre le panneau et les poteaux latéraux. Ces poteaux assurent en effet la stabilité du mur sous l’action des forces extérieures tel que le vent.
PROBLÉMATIQUE DES PANNEAUX DE GRANDES DIMENSIONS
Le comportement au feu d’un panneau de grandes dimensions, et notamment de grande hauteur, est d’autant plus difficile à analyser qu’il faut, d’une part tenir compte de la dégradation des caractéristiques des matériaux sous l’effet de la chaleur, d’autre part des déformations thermiques susceptibles de provoquer des changements de géométrie non négligeables. Or, les fours de dimensions courantes ne permettent pas la validation par essai du comportement au feu de ces structures. Se limitant dans un premier temps, afin d’alléger l’exposé, à la présentation d’un modèle simplifié dans un formalisme unidimensionnel, c’est-à-dire au cas où l’effet favorable des liaisons sur ses bords verticaux peut être négligé, le panneau peut être schématisé sous la forme d’une poutre verticale unidimensionnelle. On s’intéresse dans ce travail au problème de l’instabilité ou la rupture potentielle d’un panneau en béton armé de grande hauteur, soumis à son propre poids d’une part et à une exposition au feu sur une de ses faces d’autre part. N N M (a) (b) Figure 1.4. Panneau en béton armé (a) à froid et (b) au feu Partant d’un état initial avant l’apparition du feu, le panneau est modélisé comme une poutre verticale droite soumise à son poids propre, engendrant par simple équilibre une distribution linéaire croissante de la force axiale de compression N le long de la hauteur du panneau (figure 1.4(a)). En général, le panneau est conçu de manière à éviter tout phénomène -7- de flambage, tandis que la force de compression maximale en pied reste très inférieure à la résistance à la compression de la section. Quand une face du panneau est exposée au feu, le gradient transversal de température dans l’épaisseur de ce dernier induit une courbure thermique en raison des déformations thermiques très différentes qui en résultent entre les deux faces du panneau. Ces effets liés au gradient des déformations thermiques sont naturellement amplifiés par la grande taille de la structure et plus précisément par son élancement (rapport hauteur/épaisseur). Une telle structure élancée subit alors des déplacements hors plan importants qui, à leur tour, conduisent à un excentrement du poids propre par rapport au plan initial (figure 1.4(b)). En conséquence, des moments de flexion sont générés dans le panneau en plus de la distribution des efforts de compression axiale préexistants N. Ce phénomène constitue ce qu’il est convenu d’appeler « effet du second ordre » (ou effet P- delta) (voir par exemple l’ouvrage de Bazant et Cedolin (2010)). À mesure que l’excentrement augmente, les moments de flexion correspondants augmentent et donc également les déformations de courbure d’origine mécanique qui amplifient les déplacements transversaux et donc l’excentrement. En dehors de ce premier phénomène décisif qui peut être attribué à un changement de la géométrie de la structure, les données expérimentales montrent clairement que les fortes augmentations de température associées à l’incendie, conduisent à une dégradation importante tant des propriétés de raideur élastique, que des propriétés de résistance des deux principaux matériaux constitutifs: le béton et l’acier. C’est donc l’effet combiné de ces deux phénomènes (changement de géométrie d’une part, dégradation des propriétés des matériaux d’autre part) qui est susceptible de conduire à l’effondrement de ces panneaux de grande hauteur. Leur coexistence ne peut donc que rendre complexe la réponse structurale d’un tel ouvrage, ce qui mérite donc une analyse approfondie particulière.
CHAPITRE 1 : DIMENSIONNEMENT AU FEU DES STRUCTURES EN BÉTON ARMÉ : LA PROBLÉMATIQUE DES PANNEAUX DE GRANDES DIMENSIONS |