Analyse et modélisation multi-agents de transports flexibles
Transport collectif, semi-collectif et individuel
En France, le transport en commun urbain est assuré en grande majorité par les services collectifs (i). Les systèmes considérés sont les autobus (mode le plus répandu si l’on raisonne en nombre de lignes) ; le métro ; et les tramways, qui connaissent un regain d’intérêt depuis les années 1980 (CERTU 2004). Au Sénégal, l’offre est principalement composée de services semicollectifs (ii) avec les différents types de minibus et les taxis collectifs. Dans une moindre mesure, certains déplacements sont assurés par le transport individuel (iii). En France ou au Sénégal, ce sont principalement les services de taxis qui répondent à cette demande. Nous proposons ici une classification selon le matériel roulant (et non selon l’infrastructure), puis nous abordons le fonctionnement de ces systèmes dans les chapitres suivants. Les modes de transport collectifs (i), également nommés transports de masse, rassemblent tous les services avec des véhicules de grande capacité, c’est-à-dire capables de transporter entre 40 et 50 clients ou plus, sur un même itinéraire (CERTU 2004). En France, les modes de transports collectifs sont variés puisqu’on y trouve les services d’autobus standards et articulés sur voirie, les autobus en site propre (Bus à Haut Niveau de Service), les tramways et les métro qu’ils soient automatiques ou non (Marcadon et al. 1997; Bavoux et al. 2005). Au Sénégal, la majeure partie des déplacements se fait en minibus. Seul le service de bus Dakar Dem Dikk fonctionne avec des véhicules de grande capacité (GMAT 2007). Le transport semi-collectif (ii) est beaucoup moins présent en France, même si depuis quelques années on voit de plus en plus de minibus circuler dans nos villes. Ces services ont généralement pour objectif de mutualiser les déplacements dans des secteurs ou la demande de mobilité est relativement faible. Les véhicules peuvent être des minibus de 20 à 40 places (certains sont maintenant électriques), des fourgons d’une dizaine de places, où de simples voitures de 5 à 7 places assises. Le potentiel de clients de ces zones urbaines étant variable, le remplissage des véhicules est lui aussi très variable et l’utilisation des minibus permet de limiter les coûts globaux (notamment lorsque le taux de remplissage est faible). Parmi ces services, les Transports À la Demande (TAD) se sont largement développés au cours de ces 15 dernières années dans les villes françaises. Il existe aussi toutes sortes de navettes urbaines qui desservent les parkings en périphérie de ville, les stations de tramways, les gares, les aéroports, etc. De plus, nous observons des services privés qui sont généralement réservés à une certaine catégorie de population (ex. : transport de personnel d’entreprise). À Dakar, la très grande majorité des services sont semi-collectifs, c’est-à-dire que le nombre de passagers prévu ne dépasse pas 40 personnes. Dans la pratique, le chargement est parfois supérieur à cause du non-respect des règles et de la saturation de l’offre. Les transports semicollectifs correspondent aux services de minibus avec une capacité comprise entre 25 et 35 clients, mais aussi aux taxis clandestins et aux taxis légaux qui pratiquent le taxi collectif et – 33 – Partie 1.L’offre de transport en France et au Sénégal accueillent jusqu’à 7 personnes à bord selon les voitures. Ces services permettent une bonne rentabilité pour l’opérateur et un prix relativement bas pour le client. Enfin, le transport individuel (iii) concerne tous les services fonctionnant avec un seul client par course. Un client ne signifie pas forcément une seule personne à bord puisque lorsque nous prenons un taxi, nous pouvons le prendre à plusieurs, avec en général un maximum de 4 à 7 places disponibles. Néanmoins, le véhicule réalise une seule course, il ne prend pas d’autres clients en cours de route. Le prix demandé est généralement calculé en fonction de la course, quel que soit le nombre de personnes transportées. A noter que ce principe est également valable pour le transport public français. Les services individuels français concernent principalement les taxis, sous toutes leurs formes, hors taxis collectifs ou taxis illégaux. Ce sont pour la plupart des services privés comme nous allons le voir ci-après.
La notion de public et de privé
Le terme « transport public » est plutôt commun en France. Nous parlons très fréquemment de transport public et de service public de transport sans vraiment faire de distinction. Cela n’est pas étonnant dans la mesure où la quasi-totalité du transport public est financée et organisée par les pouvoirs publics, contrairement aux pays en développement, où le service public de transport est limité. La notion de transport public ne se confond pas avec celle de service public de transport : les transports ouverts à tout public ne sont pas forcément tous organisés par des autorités publiques. Certains peuvent être de nature privée, comme c’est le cas pour la plupart des services sénégalais. Selon l’article L. 1000-3 du code des transports, le transport public en France rassemble « tous les services de transports de personnes ou de marchandises, à l’exception des transports qu’organisent pour leur propre compte, des personnes publiques ou privées » (Ministère du Développement durable 2012). « Le transport public relève d’une activité professionnelle de prestation de transport pour compte d’autrui. Le transport public routier de personnes comprend (articles 25, 26 et 32 du décret n º 85-891 du 16 août 1985) : • les services publics réguliers de transport routier de personnes qui sont des services offerts à la place dont le ou les itinéraires, les points d’arrêt, les fréquences, les horaires et les tarifs sont fixés et publiés à l’avance ; • les services publics à la demande qui sont des services collectifs offerts à la place, déterminés en partie en fonction de la demande des usagers et dont les règles générales de tarification sont établies à l’avance et qui sont exécutés avec des véhicules dont la capacité minimale est fixée par décret ; • les services occasionnels, c’est-à-dire soit les circuits à la place, dont chaque place est vendue séparément et qui ramènent, sauf dispositions particulières, les voyageurs à leur point de départ, soit les services collectifs qui comportent la mise d’un véhicule à la disposition exclusive d’un groupe ou de plusieurs groupes d’au moins dix personnes. Ces services occasionnels ne peuvent être exécutés que par les entreprises inscrites au registre des entreprises de transport public de personnes » (CERTU 2006). – 34 – Partie 1.L’offre de transport en France et au Sénégal En France le service public de transport a deux objectifs majeurs : • répondre aux besoins de mobilité des populations que ce soit en milieu urbain, périurbain et rural, avec une certaine qualité de service (confort, sécurité, pollution), et pour des coûts raisonnables ; • contrer la dépendance automobile en proposant des modes de déplacement efficaces et alternatifs à la voiture particulière. La volonté étant bien sûr de mutualiser les déplacements, autrement dit de réduire les flux urbains et limiter les nuisances (congestions, pollution, accidents, etc.). La Loi nº 82-1153 d’orientation des transports intérieurs (LOTI) est la loi fondamentale qui régit l’organisation du transport public en France. Elle a été publiée dans sa version initiale le 30 décembre 1982. La version en vigueur au moment de la rédaction de ce mémoire est la version consolidée du 1er janvier 2013. La LOTI clarifie les relations entre autorités organisatrices et opérateurs en imposant la passation d’un contrat entre les deux parties (Legifrance 2013). La loi SRU du 13 décembre 2004 encourage aussi l’intégration de la réflexion sur les transports dans une stratégie d’ensemble pour le fonctionnement des agglomérations urbaines, et encourage les rapprochements institutionnels entre les Autorités Organisatrices de Transport (AOT). Il est expliqué dans la LOTI que « le plan de déplacements urbains (PDU) définit les principes de l’organisation des transports de personnes et de marchandises, de la circulation et du stationnement, dans le périmètre de transports urbains ». Le périmètre de transports urbains correspond au territoire d’une commune, ou à l’étendue territoriale d’un établissement public ayant reçu comme mission d’organiser le transport public de personnes. La distinction entre transport public ou privé repose donc sur le fait que le service est organisé par une personne pour le compte d’autrui (transport public) ou pour son propre compte (transport privé). Aussi, comme pour le transport public et les services publics de transport, il ne faut pas confondre transport privé et service privé de transport. Le transport privé ne relève pas d’une profession : il constitue une activité. Ce sont, par exemple, toutes les personnes qui se déplacent chaque jour avec leur voiture particulière pour aller au travail, ou des parents qui emmènent leurs enfants à l’école, etc. Ils sont libres, sous réserve du respect de la police générale, de l’ordre public, de la sécurité et bien entendu du Code de la route. Selon l’article 2 du décret nº 87-242 du 7 avril 1987, le transport privé concerne aussi les moyens de transport organisés par les collectivités publiques, les entreprises et les associations pour les besoins normaux de leur fonctionnement, notamment pour le personnel et leur membre (excluant les déplacements de nature touristique). Le transport doit être effectué à titre gratuit, avec des véhicules appartenant ou loué par l’organisateur, et servir au bon fonctionnement de l’établissement qui l’organise (Legifrance 2013). Les services privés de transport destinés au public sont relativement peu développés en France, en comparaison aux pays africains. Cela s’explique, entre autres, par la très forte réglementation du secteur. En dehors des possibilités de délégation de service (cf. Partie 1 Chapitre 4.1), la LOTI empêche toute forme de concurrence avec les services publics de transport, ce qui laisse très peu de marge de manœuvres pour les opérateurs privés. En France, les services privés de transport les plus connus sont les taxis. Ce sont des sociétés individuelles (quelques personnes) qui souvent se regroupent en association ou en groupement d’intérêts économiques (GIE) pour être plus compétitifs et mieux s’intégrer à l’offre de transport globale.
L’offre de transport en France et au Sénégal
Encore aujourd’hui, certaines sociétés essayent, avec beaucoup de difficultés, de se frayer un chemin dans le secteur des transports. Par exemple, le service low-cost de la société Easy Take, dans le sud de la France, ont été confrontés à une série de procès pour concurrence déloyale envers les taxis, jusqu’à la liquidation de l’entreprise (Fauvet 2012; Lucas 2012). Le principe était d’offrir un service à la personne, sur réservation et à moindre prix. Pour avoir un ordre d’idée, il était possible de se déplacer à Avignon pour moins de 5€. Ce faible coût était compensé par un affichage publicitaire important à la fois sur les véhicules et dans l’habitacle (avec des écrans vidéo). Ce service indépendant a rapidement pris de l’ampleur, notamment pour la desserte de la gare de TGV qui est relativement excentrée à Avignon et qui constitue un lieu de desserte très prisé par les taxis. Il œuvrait aussi à la sortie des boîtes de nuit et réalisait des bons taux de remplissages des véhicules. 1.3 Secteur formel et informel Au Sénégal, la réglementation et le fonctionnement des transports sont sensiblement différents. Nous ne parlons pas vraiment de services publics de transport dans la mesure ou les services publics, tels que nous les observons en France, n’existent pas au Sénégal. Cela s’explique par leurs coûts de fonctionnement importants et par les difficultés de gestion qu’ils entraînent. La grande majorité du transport public à Dakar est gérée par des opérateurs privés. Seule la société de bus Dakar Dem Dikk bénéficie d’un fonctionnement mixte (privé-public). Cette notion de service public n’étant pas adaptée au contexte sénégalais, nous qualifions les services de formels ou d’informels. D’après la définition du dictionnaire, un transport formel est un service « dont la forme est déterminée » (Robert & Rey 2001), c’est-à-dire dont le fonctionnement est parfaitement défini, délimité, maîtrisé par les autorités organisatrices de transport. Dans la pratique, cette définition est à nuancer, car le contrôle est rarement absolu et il arrive parfois que des transporteurs du secteur formel adoptent des comportements dis informels, c’est-à-dire qui dépassent le cadre réglementaire (modification imprévue d’itinéraire, surcharge des véhicules, etc.). Néanmoins, nous pouvons considérer comme service de transport formel tout service officiellement autorisés (disposant d’une licence) et fonctionnant globalement selon les accords fixés avec les pouvoirs publics. Les opérateurs du secteur formel à Dakar sont la compagnie d’autobus, Dakar Dem Dikk (DDD), les récents minibus de l’Association de Financement des Professionnels du Transport Urbain De Dakar (AFTU), qui ont pour objectif de remplacer les anciens minibus du secteur informel, la compagnie du Petit Train de Banlieue, complétés par les opérateurs autorisés de taxi (légalement enregistrés) (DTT 2007). Pour comprendre les spécificités du secteur des transports à Dakar il nous semble nécessaire de faire une rapide rétrospective sur l’évolution du cadre institutionnel et de préciser les réglementations en vigueur : « Dès son accession à l’indépendance, le Sénégal s’est doté d’instances et d’outils chargés d’organiser et encadrer les transports terrestres. Ainsi sont nés dès le début des années 1960 diverses commissions consultatives, un code de la route et une réglementation portant sur les transports routiers publics et privés de marchandises et de voyageurs. Jusqu’au milieu des années 80, les transports en France et au Sénégal routiers en général et le sous-secteur du transport urbain en particulier semblent avoir fait l’objet d’une réglementation abondante, mais sans cohérence apparente en termes d’intégration. Durant les années 80 est apparue la nécessité d’une réforme en profondeur des transports urbains résultant notamment de l’inadéquation du cadre institutionnel et réglementaire. La composante institutionnelle de cette réforme initiée en 1992 et le renforcement des capacités sont à l’origine de la création du Conseil Exécutif des Transports Urbains de Dakar (CETUD) en 1997 et de la révision de l’organisation et des attributions des services en place. Un nouveau cadre d’action et de concertation de tous les acteurs intéressés, tant publics que privés, a été concrétisé notamment par la Politique du sous-secteur des transports urbains, la Politique de Sécurité routière, la Charte de la mobilité urbaine et l’adoption d’une loi définissant l’orientation générale et de développement du secteur (2003). Bien que cette réforme du cadre institutionnel et réglementaire ait influé positivement sur la mobilité urbaine, force est de constater que certains objectifs n’ont pas à ce jour été atteints et que de nouveaux dysfonctionnements sont apparus » (GMAT 2007) Aujourd’hui, les licences de véhicule et les agréments de transport sont délivrés par le Ministère des Transports du Sénégal. Les prix sont officiellement déterminés par le Ministère des Finances. La planification et la coordination du secteur sont assurées par le Conseil Exécutif des Transports Urbains de Dakar. Le CETUD est un conseil autonome sous tutelle du Ministère des Transports. « Il regroupe au sein de son organe de décisions et de délibérations des représentants de l’État, des collectivités locales (2/3 au total) et du secteur privé, notamment les professionnels du secteur (1/3) » (Bertholet 2004). « Ses opérations sont financées par le Fond de Développement des Transports Urbains […] Il peut conclure des accords de concession avec les opérateurs autorisés, assigner des itinéraires et peut proposer les limites d’un accord de compensation avec les opérateurs si les prix officiels ne couvrent pas le coût » (IBIS 2008). Le CETUD joue donc le rôle d’autorité de régulation de la mobilité urbaine à Dakar. Il est le seul organe de cette envergure au Sénégal pour la planification des transports urbains. Ainsi, même si sa mission est centrée sur la région de Dakar, son expérience se veut profitable à l’échelle du pays. Il agit aussi en tant que réceptacle pour l’aide internationale (Diagne & Stucki 2012). Malgré tous ces efforts, le déclin de l’ancienne SOciété de TRAnsport en Commun (la SOTRAC) à la fin des années 90 a entraîné un fort développement du secteur informel. Lors du recensement de 1997, on estimait que le secteur informel couvrait entre 70 % et 80 % des déplacements à Dakar (IBIS 2008). La majorité de la population voyageait à bord de minibus Renault et Mercedes, appelés communément « cars rapides » (cf. illustration 5) et « Ndiaga Ndiaye ». Beaucoup de ces véhicules circulent encore aujourd’hui. Ils sont très vieux et souvent vétustés. Leur circulation pose de nombreux problèmes de congestion, de sécurité, et de pollution. Une autre composante du secteur informel à Dakar concerne les taxis collectifs. Ils fonctionnent pour la plupart en toute illégalité, c’est pourquoi nous les nommons communément les taxis « clandos » (cf. illustration 5). Des initiatives ont été prises par les autorités pour limiter leur circulation en banlieue, mais ces taxis sont aujourd’hui présents dans toute la métropole dakaroise, ainsi que dans les principales villes du Sénégal (Thiès, Saint Louis, etc.)
Introduction |